TRANSPARENCE, SECRET, DISCRETION
L’exigence démocratique de transparence, celle des règles du jeu, des prises de décisions, l’égalité de tous devant la loi, est contiguë à une autre transparence, l’intimité des personnes. Commence alors la difficulté de savoir comment fixer « la frontière entre le nécessaire et le condamnable ». L’effraction de l’intimité nous concerne tous, peu ou prou, et en particulier ceux qui ont à se raconter pour bénéficier de l’appui social. L’antidote à l’effraction de l’intime est le secret.
Pour le travail en partenariat et en réseau, comment concilier l’exigence de transparence (du fonctionnement public et institutionnel) et le droit au secret (de l’intime) ? Certains s’y retrouvent et d’autres pas.
Du côté des pratiques, respecter le secret professionnel, notamment médical, nécessite souvent d’être des « acrobates du secteur ». Il faut « restaurer un espace privé », il faut parfois qu’un praticien accepte « de ne pas tout savoir et de ne pas tout comprendre, échappant au besoin compulsif de partager le secret professionnel avec l’ensemble des collègues… »; mais que penser de la prétention de « faire de l’intime une enclave totalement fermée au reste de l’institution », identique, dans son excès, à la prétention contraire «que tout doit circuler, être potentiellement échangeable » ?
Pour éviter un dogmatisme coupé du réel des pratiques, nous avons besoin de questionnements. Connaît-on bien les situations de « violences humiliantes », dévastatrices du côté de la honte? A quelles conditions la honte est-elle au contraire « un marqueur d’humanisation » ? Et que penser du « récit civil » demandé aux personnes Rmistes, de sa « force morale », de sa « valeur d’échange », de sa « maîtrise des drames individuels » ? Cette idée forte, non conventionnelle, pourrait-elle aider à discriminer les récits traumatiques et les autres ? A propos, « qu’y a-t-il dans le jardin secret ? C’est un secret ». C’est vrai, mais la beauté de la réponse ne doit pas nous rendre mutiques.
Ce numéro a l’ambition d’ouvrir à la question du secret partagé, donc d’une éthique partagée ; pour ce faire, nous avons besoin de principes et d’outils conceptuels :
1) Les praticiens de Chambéry soutiennent simultanément l’exigence du secret et du partage ; ils insistent sur la différence qualitative entre le dossier écrit et l’oralité, ce qui est évident mais généralement peu théorisé.
2) Gilles Devers, juriste, campe les points clefs du droit positif concernant le secret professionnel partagé ; il rappelle aux phobiques du vide juridique que « c’est plutôt une chance d’avoir à disposition l’intention du législateur, sans trop de modalités pratiques, de telle sorte qu’il y a une véritable part pour le travail d’adaptation indispensable dans une société complexe qui témoigne véritablement d’une préoccupation pour la personne ».
3) Enfin, André Carel, psychanalyste, donne un concept précieux pour ce travail d’adaptation. Il intercale, entre le droit au secret de l’intime, et l’exigence de transparence du public, un espace intermédiaire : celui du privé, à distinguer de l’intime, qui fonctionne selon les règles du tact et de la discrétion. C’est là que se traite « la conflictualité propre au vivre ensemble » dans les institutions, les réseaux, la famille ; la règle n’est pas ici le secret mais la discrétion. La discrétion est en effet un travail: le secret partagé serait-il autre chose que ce travail ?