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Agir pour l’accompagnement psychiatrique et social des personnes migrantes

Andrea Tortelli - Groupement hospitalier universitaire Psychiatrie - Neurosciences Paris
Alain Mercuel - Groupement hospitalier universitaire Psychiatrie - Neurosciences Paris

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, Psychiatrie, PUBLIC MIGRANT, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°83 – Contribuer à la santé mentale (mars 2022)

La récente vague migratoire engendrée par les conflits au Moyen-Orient et en Afrique, la plus importante depuis celle de l’après-guerre vers l’Europe1, met à l’épreuve les systèmes de soins de santé mentale dans les pays d’accueil. Les personnes migrantes accueillies représentent une population particulièrement exposée à de multiples facteurs de risque de développement de troubles psychiatriques comme conséquence soit de leurs parcours migratoires, soit des mauvaises conditions de vie qu’elles rencontrent dans les pays qui les accueillent (Abbott, 2016 ; Steel, 2009 ; Daly, 1996).

Parallèlement, nous observons que, dans plusieurs pays, la prise en charge psychiatrique de cette population reste marquée par une inégalité d’accès et une discontinuité des soins par rapport aux natifs (Satinsky, 2019 ; Suphanchaimat et al., 2015). Au premier plan, des barrières aux soins sont identifiées : l’accès aux droits, l’instabilité de logement, la discrimination du système, la perception des soins en psychiatrie, la méconnaissance des systèmes de soins, mais aussi la barrière de la langue (Hacker et al., 2015). Dans cet article, nous allons présenter un nouveau dispositif dédié à la prise en charge psychiatrique de cette population vivant en Île-de-France. Un de ses objectifs est de faciliter l’accès aux soins psychiatriques et plus globalement aux droits communs des personnes grâce à l’accompagnement d’une équipe pluridisciplinaire (psychiatre, infirmier, assistant social, psychologue, interprètes-médiateurs) et ce afin d’atténuer l’impact des facteurs psychosociaux sur l’évolution de la souffrance psychique.

La situation en Île-de-France

C’est en Île-de-France, et plus particulièrement à Paris, que nous retrouvons une forte population de migrants qui sont, depuis plusieurs années, en situation de grande précarité sociale et administrative. Plus fréquemment qu’ailleurs en France, ces personnes sont confrontées à des situations de vulnérabilité psychique. En 2012, en Île-de-France, plus de la moitié des 30 000 sans-abri étaient des individus nés à l’étranger. Aussi, on estimait à 300 000 le nombre de personnes en situation irrégulière en France, dont 60 % étaient situées en région parisienne (Brutel, 2016 ;; Yaouancq et Duée, 2014).

Depuis 2015, une augmentation des personnes en situation irrégulière est observée à Paris. En effet, en conséquence du démantèlement de la « jungle » de Calais et des politiques locales très contraignantes qui s’en suivent, plus récemment impactées par le Brexit (CNCDH, 2021), des milliers de migrants sont arrivés en région parisienne. Les caractéristiques sociodémographiques de cette population constituée d’une majorité d’hommes, non francophones, issus de diverses origines sont toutefois constamment en mutation au regard de l’évolution des conflits politiques, des crises économiques dans les différents pays, mais aussi des politiques migratoires européennes. Ces dernières, plutôt restrictives, plongent les personnes dans une « errance administrative ». Impactées par les lois « Dublin » (Défenseurs des droits, 2015), elles arrivent en région parisienne après avoir vu leurs demandes d’asile rejetées dans d’autres pays européens. Le temps écoulé entre le départ du pays et l’arrivée en France a augmenté progressivement entre 2016 (autour de six mois) et 2020 (autour de quatre ans). Le temps du trajet entre le pays d’origine et l’arrivée en France a également augmenté (autour de cinq ans actuellement). En général, la France n’est pas la première destination des personnes, mais souvent la dernière, celle de l’ultime recours. Sur le plan national, de nos jours, 7 demandeurs d’asile sur 10 n’obtiennent pas de statut de réfugié et voient leur situation sociale s’aggraver après de longues procédures (Ministère de l’Intérieur, 2017). Nous faisons donc face à des populations aux situations administratives précaires et particulièrement usées sur le plan psychique.

En parallèle, concernant l’accès aux soins en santé mentale, un rapport de l’Observatoire du Samu social (Siffert et al., 2018) a montré que malgré l’accès inconditionnel et les offres de soins proposées par les systèmes public et associatif, les prises en charge ne semblent pas à la hauteur des besoins dans ce domaine. Le rapport fait état notamment des difficultés de coordination et d’orientation des services, des longues files d’attente et, surtout, de la barrière de la langue, nécessitant la présence d’interprètes et rendant complexe une intervention adaptée et rapide.

Ainsi, les équipes sociales travaillant au sein des centres d’hébergement qui accueillent les personnes en situation administrative irrégulière (« sans-papiers »), en demande d’asile ou ayant le statut de réfugié, mettent en avant les questions de santé mentale des personnes qu’elles accompagnent, ainsi que la gestion de celles-ci, comme étant les principales difficultés auxquelles elles sont confrontées (Guisao et al., 2017).

La prise en charge actuelle des nouveaux arrivants sur le secteur psychiatrique à Paris

Le groupe hospitalier universitaire psychiatrie et neurosciences (GHU) de Paris constitue la principale institution publique de soins psychiatriques à Paris. Recevant 1 parisien sur 40, la file active du GHU de Paris est de 60 000 patients par an, sur 13 des 20 arrondissements de Paris (les arrondissements restants sont couverts par l’association santé mentale du 13e arrondissement de Paris, l’ASM13, et l’établissement public de santé Esquirol).

En 2017, l’étude « Santé mentale et logement », réalisée auprès de 4 005 personnes fréquentant en une seule journée toutes les structures du GHU de Paris, a démontré que les personnes migrantes (représentant 25 % des patients accueillis) sont proportionnellement plus présentes sur le secteur que les personnes non migrantes, soit étant nées en France. Néanmoins, nous avons observé que leur prise en charge est discontinue et inégale notamment pour celles qui vivent dans des conditions de précarité administrative et d’hébergement. La prise en charge est donc plutôt intrahospitalière, suggérant souvent un accès aux soins dans une situation d’urgence, dans les cas les plus sévères, ainsi qu’un faible taux de suivi ambulatoire et d’accès aux traitements spécialisés (Tortelli et al., 2020).

Une demande croissante de prise en charge

Depuis quelques années plus précisément, nous constatons une demande croissante de prises en charge en santé mentale de ces nouveaux arrivants, en lien avec une augmentation du nombre des centres d’accueil et d’évaluation sociale (CAES) et d’hébergement accueillant des personnes migrantes (centre d’hébergement d’urgence [CHU], centre d’accueil pour demandeurs d’asile [Cada], hébergement d’urgence pour demandeur d’asile [Huda]). À Paris, au sein de ces structures et en amont de l’accès aux soins interviennent en première ligne des équipes telles que les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP), les urgences psychiatriques (SAU) ou le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA). Les signalements pour évaluer et orienter les nouveaux arrivants (80 % des nouveaux cas) sont devenus l’activité principale des EMPP, en particulier de celles couvrant les arrondissements du nord de paris, où sont installées, temporairement – ou pas –, la plupart de ces structures. Ce travail est également réalisé par le CPOA, structure attribuant un secteur psychiatrique aux patients au domicile indéterminé en région parisienne (DIRP) qui nécessitent une référence sectorielle, que ce soit en ambulatoire ou en intrahospitalier. Le CPOA a vu augmenter ces dernières années le nombre de patients DIRP (1 152 patients en 2006, 1 845 en 2018) beaucoup plus vite en proportion que le nombre de passages recensés chaque année. Près de 25 % de ces patients « DIRP » sont des personnes migrantes. Elles se présentent ou sont le plus souvent conduites directement au CPOA (soit entre 31,3 à 75,6 %) en comparaison des patients DIRP non migrants et non orientés par un SAU (21,9 %). Aussi, pour la majorité des migrants (67,1 %), le CPOA est le lieu du premier contact avec la psychiatrie (contre 14,6 à 36,4 % pour les DIRP non migrants). Sur le plan clinique, nous observons, à travers différentes études, qu’une majorité de troubles anxiodépressifs et de troubles psychotiques – dans une moindre proportion (autour de 10 %) – se déclarent suite à des troubles de stress post-traumatique (PTSD). Dans la majorité des cas, les orientations proposées se tournent donc vers un suivi de type ambulatoire au sein d’un centre médico-psychologique (CMP) afin que la personne puisse bénéficier d’une prescription pharmacologique ou d’un suivi psychologique (Tortelli et al., 2020).

Une prise en charge souvent discontinue et inadaptée

Malheureusement, sans que cela soit pour autant étonnant, plusieurs barrières d’accès aux soins ambulatoires sont constatées et contribuent à l’abandon des soins par ces patients. Cet abandon de soin, notamment pour les personnes qui ne présentent pas d’états psychiatriques sévères nécessitant une hospitalisation, a donc comme conséquence un risque d’aggravation des troubles et une surutilisation des services d’urgence (psychiatrique ou somatique).

Les situations complexes de vie (la précarité administrative, l’instabilité de logement, l’isolement) sont les premiers freins à l’accès aux soins. Ces facteurs environnementaux rendent difficile l’adhésion aux soins à la suite d’une orientation ambulatoire. Parallèlement, la forte demande et les besoins de suivi psychiatrique ou psychologique ont comme conséquence de surcharger, voire de dépasser l’offre et de rallonger parfois les délais de prise en charge.

De plus, les équipes soignantes se rendent ensuite compte de la nécessité impérative de recourir à de l’interprétariat pour améliorer le suivi des personnes non francophones. Ces équipes expriment clairement le sentiment de ne pas disposer des compétences spécifiquement nécessaires pour répondre aux besoins de ces publics. La méconnaissance de l’organisation des institutions par cette population, l’impact de la culture sur la demande et l’acceptation des soins psychiatriques (Sandhu et al., 2013) participent aussi au retard d’accès aux soins.

Enfin, la pratique nous a montré que la prescription médicamenteuse par les équipes intervenues en amont ainsi que l’évaluation rapprochée de la réponse au traitement, qui tend à être bénéfique seulement au bout de quelques semaines, sont souvent nécessaires. Ces éléments rendent les orientations vers les CMP peu efficaces étant donné le risque d’attente pour une première rencontre médicale ainsi que, par conséquent, le risque de discontinuité et de rupture des soins. Ainsi, au CPOA, cette proposition de suivi au CMP ne se concrétise en général que dans un cas sur deux.

Dans les CAES, avec des séjours relativement courts (soit une dizaine de jours pour statuer sur la situation administrative de la personne), cette orientation devient inefficace, voire inadaptée. Par ailleurs, dans ces centres, la destination de sortie vers un autre lieu de vie est la plupart du temps annoncée la veille du départ, et ce vers des centres d’hébergement localisés dans différentes villes de France. Le relais et l’organisation d’un suivi d’aval ne sont pas facilement réalisables face au temps contraint des consultations « à la chaîne » : contacter le CMP du secteur local ou plus simplement l’EMPP du territoire, si elle existe, se fait au détriment d’une autre consultation. De plus, depuis quelques mois le profil administratif de cette population a changé : une personne sur deux est « dublinée » (déjà enregistrée sur le territoire européen par un autre pays) ou déboutée du droit d’asile et ne réunit donc pas les critères de droit aux conditions matérielles, c’est-à-dire le droit à un hébergement. Il s’en suit un risque de sortie « sèche » du centre d’accueil, directement à la rue, avec pour conséquence une évidente discontinuité de soins voire une rupture totale des soins engagés.

C’est ainsi que le milieu associatif, spécialisé dans l’accompagnement de ces populations, est très sollicité – et tout autant débordé – et est confronté aux mêmes limites rencontrées par les lieux d’accueil et d’hébergement qui sollicitent les structures de soins faisant face à un manque de psychiatres prescripteurs. Autrement dit, lorsque les personnes migrantes consultent pour des pathologies non sévères ou pour une « simple » détresse psychique, elles se retrouvent souvent exclues du dispositif de droit commun sectorisé.

Ces constats sont compatibles avec ceux observés dans d’autres pays européens (Silove et al., 2017) et montrent clairement le besoin d’une réorganisation de l’accès aux soins et à son maintien. De plus, les soins doivent être adaptés aux besoins spécifiques de ces populations, au croisement du domaine médical et social ; et à leurs conditions de vie, souvent instables (Puchner et al., 2018 ; Chambon et Le Goff, 2016 ; Jolivet et al., 2012).

Ainsi, au-delà des soins psychiatriques, il s’agirait aussi d’identifier et de coordonner avec le patient les démarches de suivis qui lui semblent les plus pertinentes et qui ont un impact sur sa qualité de vie. En effet, l’accès à l’hébergement, aux droits et à la santé sont à leur tour source de détresse psychologique. Il est donc impératif de proposer une prise en charge globale qui impacte positivement l’évolution des troubles.

Une nouvelle expérimentation – Le Capsys

Ces éléments issus de la réalité de terrain ont conduit à la création d’une unité de consultation psychiatrique pouvant répondre aux besoins identifiés des personnes migrantes, tout en ayant un fonctionnement adapté à leurs conditions de vie et en s’intégrant dans le circuit actuel des soins du secteur. Toutefois, cette consultation ne s’adosse pas au processus de sectorisation, favorisant ainsi la continuité de soins. Correspondant aux besoins spécifiques mis en avant par le projet territorial Santé mentale de Paris, tels que l’accès aux soins des personnes en situation de précarité ou d’exclusion, des victimes de psychotraumatismes, des personnes isolées, des personnes réfugiées et migrantes, le dispositif Capsys a été financé par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France en mars 2020.

Ce dispositif, à portée régionale et rattaché au pôle psychiatrie-précarité du GHU Paris, est doté d’une équipe multidisciplinaire composée de psychiatres, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues et interprètes-médiateurs. Il vient en appui des équipes qui se chargent, en amont, de l’évaluation et de l’orientation psychiatrique des personnes migrantes en situation de logement instable (donc non sectorisées) en Île-de-France – celles qui travaillent au sein des services d’urgence (SAU), le CPOA, les EMPP franciliennes ou les associations qui sont en contact avec cette population aux besoins spécifiques – avec les objectifs suivants :

  • garantir, pour ce public, la continuité de soins et un ancrage efficace dans le droit commun des personnes hors cadre d’urgence et de troubles sévères. Après un premier contact avec les équipes en amont, ce dispositif prend en compte les conditions de vie (telles que l’instabilité de logement, l’isolement) et les besoins de la personne (tels que la nécessité d’interprétariat, l’accès aux soins somatiques et aux droits). Il permet également de soutenir les équipes en amont en poursuivant l’accompagnement psychiatrique et l’orientation des personnes migrantes pour qu’elles puissent s’inscrire dans des démarches d’insertion. Ainsi, ce dispositif facilite les liens entre la personne avec les différents partenaires et favorise un ancrage efficace dans le système administratif et de soins (somatiques ou psychiatriques) à moyen et à long terme ;
    • diminuer la détresse psychosociale de ce public et son impact sur l’évolution des troubles psychiatriques à travers une coordination intégrée avec les partenaires du domaine médical et social, la présence d’interprètes-médiateurs et un travail en partenariat avec des dispositifs dédiés à la promotion du bien-être et du capital

Ainsi, le Capsys apportera des réponses à des priorités identifiées dans le décret no 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale.

Repérage précoce des troubles psychiques, l’accès au diagnostic, aux soins et aux accompagnements

À la suite d’une orientation en suivi ambulatoire par les équipes en amont, un premier rendez-vous d’accueil est rapidement proposé par le Capsys. Lors de ce premier entretien, les priorités médico-sociales sont identifiées pour répondre aux besoins du patient, afin de mettre en place les démarches et de repérer les partenaires avec lesquels un lien est incontournable (soins somatiques, accès aux droits, hébergement, vie sociale). Un accès rapide au traitement pharmacologique est organisé (délivrance par la pharmacie du GHU, le cas échéant, en attendant l’ouverture des droits auprès de la Sécurité sociale tels que l’aide médicale d’État [AME] ou la couverture maladie universelle [CMU]). Lorsque les personnes ont des difficultés pour gérer leurs problèmes ou leur stress, une prise en charge de type « psychothérapie brève d’orientation » (TCC) est proposée à des fins de relaxation

ou pour leur permettre de réaliser une thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, soit la désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). Cette approche est basée sur de nombreuses études montrant une bonne efficacité sur des symptômes anxiodépressifs et le PTSD (Silove et al., 2017 ; Bryant, 2019). Une orientation éventuelle vers des prises en charge différentes ou complémentaires pourra être conseillée par un psychologue. Enfin, un accompagnement aux démarches par les interprètes-médiateurs facilite l’orientation et la collaboration vers les partenaires du médico-social.

Parcours de santé et de vie de qualité, sans rupture et s’inscrivant dans la durée pour des personnes en situation – ou à risque – de handicap psychique en vue de leur rétablissement et de leur insertion sociale

L’objectif du dispositif Capsys est la mise en place d’un ancrage dans le système du droit commun à travers le développement de réseaux et une collaboration étroite avec les acteurs sanitaires et sociaux. Le suivi psychiatrique ainsi que la coordination globale de la situation seront effectifs le temps nécessaire de la mise en place d’une orientation efficace et adaptée au tableau clinique et aux conditions de vie de la personne, et ce malgré une instabilité de lieu de vie, d’emblée incompatible avec une sectorisation. Ceci permet une meilleure visibilité et lisibilité de l’interaction des partenaires vis-à-vis du patient, en renforçant ainsi son pouvoir décisionnaire et la prise en compte de ses priorités. En revanche, le dispositif ne doit pas être source d’inégalité d’accès aux soins : il ne remplace pas les soins d’urgence ou en hospitalisation, ni un suivi pour des troubles sévères à moyen et long terme – tels que des manifestations psychotiques durables ou un handicap – qui nécessitent la prise en charge globale du secteur (hôpital de jour ou recours aux dispositifs de la maison départementale des personnes handicapées [MDPH]). Cela souligne encore une fois la nécessité d’une première évaluation réalisée par les équipes soignantes en amont.

Accès des personnes présentant des troubles psychiques à des soins somatiques adaptés à leurs besoins

Pour les personnes en cours d’accès aux droits, une évaluation par le médecin généraliste de la PASS en milieu psychiatrique (PASS Psy) est proposée. Un partenariat étroit avec les centres de santé et les médecins généralistes est développé. En effet, les comorbidités somatiques au sein de cette population sont prégnantes. Cela s’explique par le fait que les personnes n’ont généralement pas bénéficié d’une prise en charge correcte, voire d’aucune pendant leur parcours migratoire, malgré des conditions de vie parfois extrêmes et l’exposition à des violences physiques. Les douleurs chroniques, les psychosomatisations et, d’une façon générale, les conséquences psychiques des pathologies somatiques lourdes s’intriquent avec l’évolution des troubles psychiatriques déjà relevés (les états anxiodépressifs, le PTSD).

Action sur les déterminants sociaux, environnementaux et territoriaux de la santé mentale

Une question centrale dans cette proposition de soins concerne l’impact des facteurs post-migratoires – tels que les conditions d’installation, la précarité, l’isolement et la discrimination – non seulement en tant que barrières d’accès aux soins, mais aussi dans le développement des troubles psychiatriques des personnes ainsi que dans l’évolution des troubles préexistants (Hardy et Mueser, 2017). En effet, la prise en charge des personnes demandeuses d’asile et réfugiées se focalise en général sur le trauma, mais des données récentes montrent que l’action sur les facteurs de stress du quotidien a un impact positif sur les troubles psychiatriques, notamment les troubles post-traumatiques et anxiodépressifs (Silove et al., 2017 ; Enticott et al., 2017 ; Fazel, 2005). En ce sens, l’aide à la gestion du stress ainsi que le renforcement des facteurs de protection et de résilience, tels que le capital social, font aussi partie de la stratégie de soins. Nous entendons par là la facilitation de l’accès à des outils d’intégration sociale, tels que l’apprentissage de la langue, la participation à des groupes d’entre-aide et la promotion du lien social à travers des partenariats favorisant des dispositifs dédiés.

Une activité de recherche et de formation

Outre la nécessité fondamentale d’évaluer le fonctionnement et les soins proposés par le Capsys, il nous semble important de mettre en place des projets de recherche afin de participer à la réflexion sur la prévention et la prise en charge des troubles psychiatriques de cette population. Nous nous intéressons particulièrement à :

  • continuer à caractériser et identifier les groupes les plus à risque et leurs besoins en santé mentale parmi les différents groupes et les différents contextes de vie ;
  • comprendre l’impact et l’interaction des déterminants biopsychosociaux sur le développent et l’évolution des troubles ;
  • comprendre l’expression de la détresse psychique à travers les différentes cultures, la part des symptômes somatiques et leur impact sur les différents diagnostics ;
  • étudier l’efficacité des nouvelles modalités de prise en charge adaptées aux besoins identifiés (par exemple, l’utilisation des nouvelles technologies).

Ces connaissances, ainsi que celles provenant de la pratique quotidienne, pourront être diffusées à travers des formations et des communications scientifiques.

Enfin, des rapports détaillés concernant la mise en place et l’évaluation du projet (recherche qualitative et quantitative) seront rédigés afin d’apporter des éléments de transférabilité qui pourront orienter la mise en place des dispositifs similaires dans d’autres départements.

Conclusion

Il existe depuis quelques années en Île-de-France, notamment à Paris, une demande croissante de prise en charge ambulatoire des migrants vivant en situation de précarité avec des besoins spécifiques, en particuler l’interprétariat, et de prise en charge de situations somatiques et administrative complexes. Le secteur public n’a pas pu répondre jusqu’à présent à ces besoins, conduisant à une discontinuité de soins et à un risque d’aggravation des troubles. Pour cette population vivant souvent dans une instabilité d’hébergement et traversant les différents départements de la région, le dispositif Capsys propose une offre de prise en charge ambulatoire psychiatrique étendue à l’ensemble de l’Île-de-France afin de mieux développer l’accès aux soins et aux droits, à travers une coordination pragmatique avec les acteurs sanitaires et sociaux, ainsi qu’une orientation plus cohérente vers le secteur. Nous attendons un impact positif sur l’évolution des troubles, conduisant à une diminution du risque d’hospitalisation, à une réduction de la fréquentation des services d’urgence ainsi qu’à un ancrage efficace dans le droit commun à moyen et long terme2.

Notes de bas de page

1 À la fin de l’année 2020, plus de 82,4 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer. Nous comptons parmi elles presque 26,4 millions de personnes réfugiées dont plus de la moitié à moins de 18 ans. Site du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : https://www.unhcr.org/fr-fr/apercu-statistique. html

2 Nous remercions l’équipe du pôle Précarité, à l’origine de ce projet : Michèle Dremont, Corinne Friscaux, Elsa Lavalaye et Guillaume Souchet.

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