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Chapitre 1 : La galère de l’hébergement (extrait de la Première partie)

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, PUBLIC MIGRANT, Demandeurs d'asile, Réfugiés, PUBLIC PRECAIRE

Le parcours du combattant. Expériences plurielles de la demande d’asile en France (Ouvrage)

Le parcours des personnes en demande d’asile est empreint de difficultés et de souffrances. Cette réalité est maintenant bien documentée dans la littérature scientifique, notamment l’impact traumatique des épreuves rencontrées et surmontées.

Les réalités contrastées de l’accès à l’hébergement

Pour toutes les personnes accueillies en France dans le cadre de la demande d’asile, le fait d’avoir un hébergement et de s’y sentir bien apparaît comme un enjeu majeur du parcours. Or chacune des personnes rencontrées dans le cadre du séminaire a mentionné des difficultés à trouver un « abri » au cours des premiers mois ou des premières années de présence en
France. Les modalités d’hébergement sont indexées à la procédure de demande d’asile. À un statut correspond la possibilité, ou pas, d’accéder à un certain type d’hébergement. La
procédure d’accueil du demandeur d’asile en France précise l’obligation de proposer un hébergement à toute personne en cours de procédure3. En réalité, les places proposées par le
Dispositif national d’accueil (DNA)4 ne sont pas assez nombreuses pour répondre à toutes les demandes.

Ainsi, un nombre important de personnes en demande d’asile ne sont pas hébergées, ou alors
seulement quelques mois, voire quelques années après la date de leur arrivée en France. Le décalage entre l’obligation légale et la réalité alimente la colère ou l’incompréhension des personnes à devoir vivre dans des conditions indécentes.

Paul « Je suis venu me confier à l’État français en tant que personne qui a fui la guerre. L’État normalement doit me soutenir, m’héberger et me protéger. Et là, je dois me battre pour qu’on m’héberge. »

Beaucoup de personnes vivent par la rue et par des logements précaires sur des périodes parfois longues. C’est notamment le cas des hommes seuls, considérés comme moins vulnérables et qui ne sont donc pas prioritaires pour accéder à un hébergement, comme en témoigne Eshete :

Eshete « En fait, je suis allé à la préfecture pour avoir un foyer. Comme je suis un homme, ils m’ont dit : “Il n’y a pas de place pour toi, il faut attendre.” J’ai attendu presque sept mois sans hébergement, sans rien, en fait j’étais à droite, à gauche, parfois je dormais sur le trottoir, soit
à la gare… »

Les solutions sont alors limitées : « en squat, sous des couvertures » ou « chez un ami, quand sa copine est absente ». Les participants du séminaire ont interprété la précarité des conditions d’accueil comme un manque d’hospitalité de la part de la société d’accueil. Les efforts pour trouver des solutions et améliorer leur situation sont nombreux. En tant que demandeur d’asile, Indrit a vécu trois hivers sous un pont à Lyon, sur les berges
du Rhône.

Indrit « Pendant trois ans, moi j’étais sur les quais du Rhône, en dessous du pont Pasteur. J’étais obligé de courir pour survivre quand il faisait –10 degrés. Il y avait tous les coureurs qui couraient pour le plaisir. Moi, je courais pour me réchauffer. Après trente minutes de sommeil, j’étais tout glacé. Il fallait recommencer à courir jusqu’à 4 heures, l’ouverture du 115, pour prendre un café à 30 centimes. Plus cher, je ne pouvais pas le prendre ! »

La vie à la rue est d’autant plus mal vécue qu’un certain nombre de logements ne sont pas habités, comme le souligne ci-dessous Omar :

Omar « L’année dernière sur Lyon, plus de 2 000 personnes dormaient dehors… Elles n’arrivaient pas à trouver des hébergements. Il y a même eu des morts. Les gens ont souffert. Mais il y a des maisons qui sont fermées, ce n’est pas occupé. »

Sans accès à un hébergement pendant la procédure, c’est aussi l’accompagnement social proposé par les professionnels des structures d’hébergement qui fait défaut. L’accompagnement pour la rédaction du récit de demande d’asile, pour l’ouverture des droits, l’accès au soin et l’insertion est ainsi rendu difficile de fait.

Être hébergé au sein d’un dispositif d’accueil pour demandeurs d’asile

Dans un contexte où un hébergement n’est pas proposé à l’ensemble des personnes inscrites dans la procédure de demande d’asile, l’accès à un centre d’hébergement est souvent vécu par celles qui y accèdent comme un véritable soulagement. Avoir un toit apparaît comme une première étape pour se poser, « souffler », notamment pour les personnes qui sortent de plusieurs mois de vie à la rue. Ainsi, le centre d’hébergement est un premier endroit stable qui permet d’envisager la suite du parcours.

Paul « Quand je suis arrivé au foyer, j’ai soufflé un peu… c’est vrai. Un mieux que zéro, nous on dit ça chez nous… Il faut déjà se réjouir parce que t’as eu un petit truc. »

Nous pouvons remarquer l’émotion que peuvent ressentir les personnes qui, comme Paul, sont passées par la rue pendant plusieurs mois en arrivant en France, lorsqu’un hébergement leur est accordé. De plus, comme le signale Eshete ci-dessous, le fait d’être hébergé lui permet d’être dans un environnement plus bienveillant que la rue et coïncide avec le fait d’être accompagné par des professionnels. Cela constitue un fort enjeu dans le cadre de la procédure d’asile.

Eshete « J’ai trouvé une place dans un Cada… J’ai vécu là-bas pendant presque un an et six mois. L’assistante sociale, les travailleurs sociaux, ils sont vraiment sympas avec nous. »

Passé le soulagement d’avoir un toit, se pose la question de l’après. Ces cohabitations non choisies et subies sont parfois décrites comme difficiles à vivre.

Eshete « C’est vrai qu’on n’est pas de la même nationalité, parfois, la communication entre voisins aussi, c’est un peu compliqué. »

Au-delà de la cohabitation avec de nombreuses communautés dans des espaces partagés, parfois source de conflits, plusieurs personnes ont souligné les conditions souvent précaires
de l’hébergement, caractérisées par des problèmes de nuisances notamment au regard de l’emplacement géographique des établissements, d’hygiène, voire d’insalubrité des lieux.

Eshete « Devant le centre d’hébergement, l’autoroute passait, des voitures 24 heures sur 24, qui font du bruit, chaque fois. En fait, j’avais des protections pour les oreilles chaque soir, mais au bout d’un moment ça fait trop mal… Je n’entends plus très bien à cause de ça. »

Paul « Le souci c’était que ma chambre était remplie de cafards ! J’étais colocataire avec les cafards ! Donc il faut faire gaffe à ta nourriture, à tes vêtements… Ils sont tout le temps dedans. Les gars essayaient de traiter, mais ça avait tellement duré qu’ils n’arrivaient
pas à éliminer le fléau ! »

La présence de nuisibles, tels que les cafards ou les puces de lits est régulièrement signalée au sein des centres d’hébergement5. Dans des cas plus graves, les nuisances peuvent avoir des conséquences sur la santé des personnes hébergées. C’est notamment ce que nous signale ici Eshete, qui, en étant hébergé à proximité d’une autoroute, ne parvenait pas à dormir. Il fait par ailleurs un lien entre cet hébergement et ses problèmes actuels d’audition.
C’est aussi le cas de Paul, dont les problèmes pulmonaires ont été ravivés par la poussière qu’il a respirée lorsqu’il occupait une chambre située sous un chantier.

Paul « À un moment donné, le foyer il était en chantier, il y avait de la poussière partout et je suis tombé malade ! J’avais déjà un problème aux poumons et un jour je me suis réveillé, je crois que j’ai respiré beaucoup de poussière, je me suis mis à tousser ! J’ai toussé pendant
une semaine ! J’étais obligé d’aller à l’hôpital encore ! »

Pour Fidèle, hébergé dans un Cada « diffus6», l’expérience a été différente. Il a partagé un appartement avec plusieurs personnes en demande d’asile.

Fidèle « Un autre aspect que moi j’ai critiqué par rapport à l’hébergement c’est de mettre dans
un même appartement des gens dans une même situation, parce que là intervient la question de l’intégration… »

La remarque de Fidèle décrit la sensation d’appartenir à une communauté « exclue », c’est-à-dire de personnes qui ne sont pas encore acceptées et qui ne partagent que le fait d’être maintenues en marge de la société le temps d’obtenir un titre de séjour pour résider sur le territoire.

Vivre (temporairement) à l’hôtel

Les familles avec enfants sont, pour certaines, orientées vers un hébergement en hôtel au cours de leur demande d’asile. Ce fut le cas de Letcha qui a été hébergé à l’hôtel avec sa femme et ses trois enfants pendant deux ans7. Il a souligné les difficultés pratiques à vivre dans ce lieu, notamment lorsque l’on a des enfants en bas âge. Il est aussi notable qu’aucune exception n’est faite pour améliorer les conditions d’accueil de la famille qu’il décrit ainsi :

Letcha « C’était un hôtel trois étoiles habituel, mais le cinquième étage c’était juste pour nous, les personnes en demande d’asile. À cette période, j’avais trois enfants et, à l’hôtel, je ne pouvais pas préparer à manger pour les enfants… Une fois le responsable de l’hôtel s’est aperçu que ma femme avait préparé à manger, il a appelé [l’association] et demandé qu’on
quitte l’hôtel ! »

L’exemple ci-dessus soulève à quel point cette solution d’hébergement peut paraître inadaptée pour accueillir une famille avec des enfants en bas âge sur une période aussi longue. La réglementation stricte de l’hôtel a comme conséquence de contraindre quotidiennement la
vie de la famille et, de plus, de leur faire subir des actes vécus comme discriminatoires. Letcha précise en effet que les personnes en demande d’asile accueillies n’étaient pas invitées à se rendre dans la salle du petit déjeuner avant 10 heures du matin, et ce, afin de ne pas croiser
la clientèle de l’hôtel.

Letcha « Les personnes en demande d’asile pouvaient petit-déjeuner [à l’hôtel]… mais nous n’avions le droit d’y accéder qu’après 10 heures, parce qu’avant c’était les autres clients… Ça, c’était très difficile ! »

Les contraintes imposées autour des repas sont ici importantes, notamment pour une famille composée d’enfants en bas âge qui n’est autorisée ni à préparer des repas dans les chambres d’hôtel, ni à accéder à la salle du réfectoire avant une heure avancée de la matinée. Du côté des personnes concernées, cela renforce un sentiment d’injustice.

La nuit dans un centre d’hébergement d’urgence

Parmi les hommes ayant participé au séminaire et qui ont dû vivre à la rue, nombreux sont ceux à avoir cherché à obtenir une « place au 115 », dans des centres d’hébergement d’urgence généralistes. Y accéder est difficile, car les demandes sont nombreuses et les
places limitées. Les personnes doivent persévérer et multiplier leurs appels pour
espérer avoir un lit pour une nuit.

Paul « Soit tu dors dehors soit tu vas au 115 et au 115 même tu vas appeler quoi… vingt fois peut-être avant d’avoir une place. »

Tout le monde ne parvient pas à accéder à un hébergement d’urgence du 115, comme
le témoigne Omar, qui malgré des appels répétés n’a jamais été hébergé par ce
dispositif et qui nous dit n’avoir « jamais eu la chance de dormir au 115 ». Les conditions de repos sont difficiles au sein des hébergements d’urgence proposés par le 115, encadrés par une réglementation et des horaires stricts. Le fait de devoir quitter ces espaces et d’être remis à la rue aux aurores paraît insensé aux yeux des personnes qui bénéficient de cet accueil.

Eshete « Le problème, quand je dormais au 115, c’était qu’il fallait se réveiller à 6 heures du matin, il n’y avait rien, aucun petit déjeuner. C’était militaire : “Allez ! Dépêchez-vous ! Il faut y aller, il faut laisser la place !” Je ne sais pas pourquoi ils sont là, à débarquer à 6 heures du matin. Personne ne travaille, on est tous des sans-papiers, des gens SDF, on est dans la rue. On est fatigué de la journée, tu marches dans la rue sans rien faire. »

Cette expérience se traduit également par la difficulté de cohabitation avec des publics en grande précarité. L’ambiance des locaux, la plupart du temps « insalubres », y est décrite comme « invivable ». Ces lieux d’hébergement – les citations suivantes en témoignent – sont souvent marqués par la promiscuité, la violence, la présence d’animaux ou les odeurs.

Paul « Moi, avant d’être au foyer, j’étais souvent au 115 et ça, c’est l’horreur. Les gens ne doivent pas vivre ça. Une personne normale ne doit pas rester au 115. On accueille tout le monde là-bas, mais il y a des personnes ivres, malades ou qui viennent parfois avec des animaux. Vous êtes tous entassés ensemble ! Il y avait des punaises aussi. Mais on est obligé de vivre avec, parce que tu n’as pas le choix. »

Eshete « Moi, quand j’ai habité au 115 le problème en fait il y avait beaucoup de gens qui font des bruits, qui ronflent. Parfois, en fait… j’ai la trouille. Je suis paralysé, comme ça. En fait, il [une autre personne hébergée] n’arrive pas à respirer. Je me réveille, je dors, je me réveille… »

Trouver des solutions d’hébergement

Pour pallier l’absence de proposition d’hébergement, les personnes en demande d’asile doivent activer des ressources, des réseaux personnels. Bon nombre d’entre elles se retrouvent alors dépendantes de soutiens, quels qu’ils soient – associatifs, solidaires,
communautaires, religieux…

Être hébergé chez l’habitant

Si le séminaire est l’occasion pour les participants d’exprimer leurs réticences vis-à-vis des conditions d’hébergement pas toujours décentes – mais qui ont le mérite d’exister –, il est aussi l’occasion de parler d’expériences positives vécues et des liens forts qui ont pu se créer
avec certaines personnes, que ce soient des professionnels, des bénévoles d’associations ou de « simples » citoyens. Les personnes accueillies chez l’habitant, un voisin, une connaissance sont nombreuses.

Paul « J’ai eu la chance de tomber sur des gens qui ont été bien. Au sujet de l’hébergement, moi j’ai été vraiment bien accueilli en France. J’ai été aidé par les Français. »

Omar « Je suis hébergé chez quelqu’un, la famille qui m’avait hébergé quand je faisais ma formation, quand elle a su que j’étais débouté elle m’a repris encore. Il y a des initiatives des familles d’accueil. Moi je les remercie beaucoup parce que… sérieux [sans elles], je ne serais pas là aujourd’hui. »

Ces rencontres permettent aussi la continuité du lien, du lieu, indépendamment des vicissitudes de la procédure. Ces ancrages sont aussi des attaches si l’on est débouté de sa demande d’asile ou une fois que l’on doit sortir de son centre d’hébergement.

Fidèle « Et c’est comme ça que j’ai eu ce premier contact encore très humain… et cette personne et sa femme sont devenues pratiquement une famille. Quand j’ai été débouté de l’asile, c’était chez eux que j’ai été pris en charge. J’ai habité là-bas pendant dix mois et puis jusqu’à ce que j’obtienne ma première régularisation en 2014. Finalement, j’ai trouvé mon
premier logement près de chez eux. »

Lorsque Fidèle parle des liens qu’il a pu créer en France, il parle d’une « famille amie », avec qui « il a tissé de grandes relations » qui perdurent indépendamment de son statut
administratif. Au même titre que Fidèle, les participants du séminaire ont parfois été aidés par des relations à toutes les étapes de la demande d’asile et même après avoir été déboutés. Au-delà des différentes étapes et statuts, elles ont pu perdurer, marquant une certaine continuité dans le parcours des personnes. Toutefois, cela n’est pas toujours le cas concernant les relations communautaires, où une réticence à continuer d’aider, d’accompagner et d’héberger une personne peut émerger lorsque l’État ne leur accorde pas de protection. Fidèle décrit la distance qui s’instaure entre les membres d’une même communauté lorsque la demande
d’asile est rejetée.

Fidèle « Vous voyez que tout va bien tant que vous êtes en cours de procédure ; une fois que tout se termine, même les gens de votre communauté commencent à se mettre à distance, à vous fuir même. »

Avoir été aidé… et (devoir) aider en retour ?

En réalité, l’hébergement citoyen n’est pas toujours une option facile pour les personnes accueillies. L’accueil n’est en effet pas toujours « gratuit » et les contreparties, même symboliques, peuvent être lourdes de conséquences. Pour les accueillants, il est loin d’être simple d’accueillir une personne étrangère avec qui on ne partage parfois rien, pas même la langue. Ainsi, Roula décrit la période durant laquelle elle a été hébergée chez un particulier comme une « cohabitation forcée », une épreuve.

Roula « Quand je suis arrivée en France, j’étais hébergée par une dame française pour un mois. Il y a beaucoup de règles et c’était un mauvais chapitre de ma vie, parce que j’ai beaucoup souffert… »

Les difficultés rencontrées par Roula lors de cette période ne semblent avoir été identifiées qu’après une prise de recul. Cette situation souligne à quel point le fait de se voir imposer une situation, ici être hébergé chez l’habitant, se révèle problématique et anxiogène. Roula se sent aujourd’hui très redevable vis-à-vis de cette personne qui lui a ouvert les portes de son appartement. Toutefois, ce moment-là marquait son arrivée en France et la temporalité de sa cohabitation avec une personne française non seulement ne lui a pas convenu, mais a été
source d’une souffrance supplémentaire. Les personnes en demande d’asile, parce qu’elles ont elles-mêmes été dépendantes d’aides et parce qu’elles créent des liens de solidarité avec
d’autres personnes passées par les mêmes épreuves, se sentent parfois dans l’obligation d’aider en retour. Mais jusqu’où être solidaire ? Eshete a été accompagné par des bénévoles de plusieurs associations à différents moments de sa demande d’asile. Il se sent très reconnaissant à leur égard, mais également très redevable. Logé dans un hébergement que deux bénévoles d’une association l’avaient aidé à trouver, il explique qu’un jour, elles lui ont demandé d’accueillir à son tour un jeune couple iranien sans solution et dont la femme était enceinte, l’appartement qu’il habitait à l’époque dans le 5e arrondissement de Lyon étant assez grand pour partager l’espace. Après avoir obtenu l’accord du propriétaire du logement, le soutenant dans sa démarche, Eshete accepte. Cette expérience de cohabitation s’est toutefois
révélée compliquée pour lui.

Eshete « J’ai accueilli la famille iranienne, ils sont restés chez moi pendant presque trois mois. Le problème c’est la communication. En fait, on n’est pas de la même culture, c’est très compliqué pour moi. Par exemple, la femme restait très longtemps dans la douche. Même si c’était difficile, entre moi et la famille, ils sont restés quand même. »

Au-delà des difficultés pour communiquer, sans langue commune, c’est le comportement très distancié du jeune couple hébergé qui interroge Eshete. Il raconte ses souffrances quotidiennes de ne pas pouvoir partager même un thé avec le couple qu’il accueille.

Eshete « Et elle, elle se méfiait de moi. Parfois elle me disait : “— Je suis enceinte, je ne vais pas manger n’importe quoi. — Mais en fait on prépare la même chose, mais pourquoi tu n’as pas envie manger quand je prépare ? Même le thé, tu vas mourir en fait pour le thé ?”… Mais peut-être que c’est à cause de la couleur de ma peau. Peut-être ils sont racistes, ils n’ont pas envie de parler avec moi. C’est moi qui les ai accueillis, c’est vrai, ça m’a vexé énormément. J’ai gentiment accueilli, en plus j’ai donné la nourriture. Quand je prépare quelque chose, ils n’ont pas envie d’en manger. »

Face à l’attitude du couple accueilli, Eshete s’est senti exclu et rejeté alors même qu’il avait accepté de les héberger gratuitement. Il traduit donc la méfiance et l’hostilité du couple par du racisme à son égard.

Eshete « Je l’ai vu à la gare, le traducteur, et la dame, en fait quand elle m’a vu, elle était choquée : “Il est noir !” Et le traducteur lui dit : “Oui il est noir, mais ça pose un problème ?” Elle, elle disait : “Pas de problème” ; mais elle n’a pas d’autre choix, sinon c’était la rue. »

Cette dernière citation pointe l’absence de choix de part et d’autre auquel sont confrontés ici le jeune couple etEshete. Le couple ne pouvait pas refuser l’hébergement provisoire qui leur a été proposé. Quant à Eshete, dans cette situation, il était contraint d’héberger chez lui des personnes qu’il ne connaît pas.

Eshete « Mais ils ne m’ont jamais… jamais ils m’ont appelé, jamais ils ont dit : “Merci beaucoup, Eshete.” En fait, moi je paie le loyer, je paie le gaz, l’eau, tout ça, c’est moi. Et du coup à la fin ils n’ont jamais dit merci. Mais ça, ça me touche un peu. Du coup parfois oui, les gens, tu es gentil, ils profitent, mais même s’ils ont profité, s’ils ont dit à la fin gentiment : “Je te dis merci beaucoup, tu nous as bien accueillis”, c’est agréable pour toi, ça donne de
l’énergie, ça donne de la motivation. C’est  vraiment horrible, ça m’a… J’ai pleuré,
même maintenant j’ai envie de pleurer parfois par rapport à ça. »

Cette situation peut paraître anecdotique. Toutefois, cette histoire et ses conséquences nous ont semblé symptomatiques des actes de solidarité attendus du côté des personnes migrantes, et ce pour diverses raisons. Ce qui les pousse à accepter ce genre de situation vient souvent du fait qu’elles reçoivent elles-mêmes de l’aide. D’une certaine manière, elles deviennent ainsi dépendantes de soutiens, qui attendent à leur tour que les personnes
aidées soient elles-mêmes forces de solidarité.

Le (non –) choix du logement

Eshete nous raconte qu’à partir du moment où il a obtenu le statut de réfugié, il a commencé à chercher un hébergement. Néanmoins, il se trouve rapidement rattrapé par la réalité du marché du logement et sa condition précaire, alors même qu’il travaille. Pour trouver enfin un hébergement, c’est une nouvelle fois vers des bénévoles d’association qu’il se tourne : « Je leur ai demandé et elles [les bénévoles] m’ont trouvé un logement privé. »

Eshete « Du coup j’ai parlé avec elles, je n’ai eu pas d’autre choix ! »

Il signe donc le contrat d’un appartement qu’il n’aura même pas visité puisque
l’une des salariées de l’association, qui le connaît bien, lui conseille de signer dès que possible sans même voir le logement. La seule possibilité qui se présente à lui est donc de signer rapidement afin de ne pas se retrouver sans hébergement.

Eshete « J’ai dit : “Si je ne le vois pas, il n’y a aucun problème.” Il faut que je signe vite fait sinon je dormais dans la rue. »

De la même manière, ceux pour qui la situation en centre d’hébergement n’est pas satisfaisante n’ont pas d’autres choix que celui d’accepter les conditions.

Paul « C’est-à-dire que soit tu vis avec les cafards et tu te débrouilles comme ça, soit tu te retrouves à la rue et tu dors dehors ! […] On vivait comme ça parce que t’as pas le choix ! […] »

Paul met l’accent sur l’absence de choix que peuvent vivre les personnes dont la priorité est avant tout de trouver un endroit où se loger et dormir. Dans ce contexte, et afin de trouver un logement ou de le conserver, les personnes sont contraintes d’accepter un certain nombre de conditions.

Notes de bas de page

3 En prenant appui sur la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26
juin 2013, qui établissent des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale en France, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) propose aux personnes en demande d’asile des conditions matérielles d’accueil. Celles-ci comprennent
notamment « une place en hébergement dans un lieu d’hébergement pour personnes en
demande d’asile (Cada, Huda…) ». Le demandeur d’asile bénéficie en ce lieu d’un accompagnement social, administratif et juridique.

4 Dans les textes, l’État a pour prérogative d’héberger les personnes en demande d’asile. Il dispose de places d’hébergement dans des centres gérés par des structures spécialisées dans l’accompagnement et l’accueil des personnes en demande d’asile, qui constitue le Dispositif
national d’accueil (DNA).

5 Cela avait été d’ailleurs un argument lors d’une mobilisation de salariés d’un Cada. Repéré
à https://rebellyon.info/Adoma-SNIcreateur-de-sous-France-les-17544

6 Les dispositifs « diffus » sont constitués de plusieurs hébergements (studios, appartements
partagés…) situés dans différents immeubles, quartiers, voire communes. Au sein de ces dispositifs, les intervenants sociaux se déplacent chez les personnes en demande d’asile hébergées dans des appartements et les accompagnent également dans leurs démarches.

7 Letcha a été le seul participant du groupe à avoir été hébergé à l’hôtel avec les membres de sa famille. Le fait qu’il soit accompagné de sa compagne et de ses trois enfants, dont certains étaient en bas âge, au moment de sa demande d’asile explique que ce type d’hébergement lui
ait été proposé. Par ailleurs, avant que sa femme et ses enfants le rejoignent en France, Letcha
nous a confié n’avoir eu aucune solution d’hébergement et était donc hébergé chez des membres de la communauté tchétchène.

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