Le concept de l’accompagnement orienté rétablissement ou « recovery oriented » arrive dans les équipes médico-sociales en France en ce début de 21ème siècle, comme un vent d’espoir pour l’ensemble des acteurs de ce secteur, jusque-là en panne d’inspiration et de motivation. Ce concept, né aux Etats-Unis dans les années 60 est issu d’un mouvement d’usagers de la psychiatrie laissés pour compte suite à la réforme des asiles initiée dans une économie ultra libérale. En France, des années plus tard, il devient une technique d’accompagnement pensée et adaptée par des médecins, chercheurs, législateurs dans le but de répondre à des commandes de l’Etat, financées en majeure partie par le Ministère de la Santé. Alors, comment les travailleurs sociaux vont-ils pouvoir s’en saisir et rétablir leurs pratiques professionnelles ?
Les pratiques orientées rétablissement représentent une formidable opportunité pour les travailleurs sociaux1 de se réinventer, de créer. Et ce, en évitant de considérer le rétablissement comme une énième consigne ayant pour objectif d’appliquer les lois qui régissent le secteur médico-social, comme notamment la loi 2002-2.
Si nous restons sur l’exemple de la loi 2002-2, le travailleur social est obligé de rédiger et d’être le garant d’un projet individualisé (un des outils prévus par la loi) : est-ce identique au plan de rétablissement ? Techniquement, c’est potentiellement la même chose mais un élément, un détail pour certains, vient faire la différence. C’est ce que nous appellerons la posture professionnelle ou plus précisément la mise en suspension de nos préjugés.
Pour le moment, il arrive souvent que les travailleurs sociaux s’autorisent à ne plus faire de projets individualisés au nom du rétablissement, sans faire pour autant de plans de rétablissement jugés trop théoriques pour être vulgarisés au quotidien et devenir ainsi un outil de communication dans la relation à l’autre. Le travailleur social choisit donc l’option de la marginalité (à la marge de la loi 2002-2) pour être garant d’un accompagnement orienté rétablissement. Il est ainsi courant d’observer des équipes de travailleurs sociaux qui s’autorisent à l’accompagnement orienté rétablissement dans la marginalité auprès des publics en situation de grande précarité, ceux pour qui l’accompagnement classique ne fonctionnerait pas. Comme si la place occupée par ces personnes dans la société faisait écho à celle qu’occupe le concept de rétablissement dans le secteur du médico-social.
Pour le travailleur social qui a la chance d’œuvrer au sein de projets expérimentaux, libérés de toute contrainte administrative et financière, utiliser un accompagnement orienté rétablissement est une réelle opportunité de rencontrer l’autre différemment.
En effet cette nouvelle pratique du rétablissement implique que la personne la plus compétente dans tel ou tel domaine est la personne concernée. Ce concept tend donc à mettre la personne au centre de son propre processus de rétablissement, actrice principale de ce processus, c’est ce que l’on appelle « empowerment » ou « prise de pouvoir de l’usager ». Il n’y a plus un professionnel qui « sait » et un usager qui « demande à savoir », mais c’est ensemble que l’on va apprendre l’un de l’autre.
Cette idée de partage de compétences se retrouve aussi encouragée au sein d’une équipe pluridisciplinaire ayant des pratiques orientées rétablissement. Le rôle des médiateurs de santé pairs est alors primordial et apporte une réelle plus-value à l’équipe et aux usagers puisqu’ils partagent leur expérience et leur vision du processus de rétablissement.
Dans ces équipes, on tend à sortir du schéma hiérarchique classique du secteur médico-social, pour une organisation plus horizontale, il s’agit d’un type de management dit partagé, ce qui implique une responsabilité qui l’est également.
Le travailleur social dont la pratique est orientée rétablissement, au même titre que ses collègues de l’équipe, n’a pas d’obligation de résultats, mais bien une obligation de moyens. Pour ce faire, il se doit de garantir la continuité de l’accompagnement et la cohérence dans l’évolution du projet, cela grâce à sa disponibilité dans le temps, dans l’activité et dans les idées.
Dans ce cadre d’accompagnement, le travailleur social est confronté à des limites structurelles dans l’organisation de la Cité sur le territoire. Les « prises en charge » médico-sociales en France, organisées et transformées au fil du temps, ne permettent et ne prévoient pas une intégration facile et rapide de nouvelles pratiques. Le travailleur social doit donc se faire le représentant de ces nouvelles pratiques, dans le cadre de ses activités complémentaires d’accompagnement, mais aussi dans le cadre de formations ou interventions extérieures. Ce plaidoyer s’effectue au quotidien, auprès des partenaires (de terrain) institutionnels mais aussi auprès des instances de tutelle et de tarification sur le territoire.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons pu comparer les différentes implantations du concept de rétablissement sur différents territoires et contextes (nord-américain, plusieurs pays d’Europe, d’Asie), au travers de plusieurs expérimentations2. Nous avons constaté que malgré la fidélité aux concepts, leur intégration et leur développement restent plus favorables dans une organisation pragmatique de type anglo-saxonne, où la notion d’inclusion citoyenne prime sur la notion de prise en charge spécialisée dépendant de compétences reconnues et autorisées par l’Etat. Il s’agit de dépasser les compétences spécifiques liées à une formation, et de l’étendre aux autres professionnels de l’équipe comme aux personnes accompagnées, et plus largement à l’ensemble du secteur social et médico-social.
Notes de bas de page
1 Éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, assistants sociaux, CESF…
2 Un Chez-soi D’abord – Housing First, Working First – méthode IPS (Individual Placement and Support, méthode d’accès et d’accompagnement à l’emploi nord-américaine), pair-aidance, groupes d’entendeurs de voix…