Résumé
Cet article a pour but de proposer, à partir d’un même cas, trois lectures cliniques différentes par leurs approches.
I cannot stand thinking all the time Abstract
The aim of this article is to give three different points of view on the same case report.
Key words: case study, patient care management, family therapy, cognitive therapy.
Observation (rédigée par Brice Martin)
Un de vos collègues vous raconte, autour d’un café, la rencontre avec l’un de ses nouveaux patients, qui s’est déroulée quelques heures auparavant. Il vous explique qu’il a rencontré un jeune homme, monsieur F, pour la première fois, dans le service où il travaille. Monsieur F était accompagné de sa mère, et insistait pour être reçu d’emblée avec sa mère. Cependant, votre collègue vous raconte que « j’ai préféré le voir seul dans un premier temps, puis avec sa mère… ». Monsieur F explique être « un peu perdu ». Il a du mal à formuler une demande d’aide claire, si ce n’est « d’arrêter de me prendre la tête pour tout et n’importe quoi ». Votre collègue vous raconte le sentiment de « gêne » qu’il a pu parfois ressentir avec cet homme lorsque, en essayant de détendre l’atmosphère avec un trait d’humour, monsieur F se mettait à rire de façon bruyante et, selon lui, excessive, un peu « comme si c’était pas vrai ». Monsieur F explique que « ben en fait, ça va pas depuis que… ben je sais pas… depuis que je suis enfant… je me suis toujours senti différent… un peu comme si j’étais humain, mais d’une façon différente ». Il explique, qu’à la question suivante que votre collègue lui pose à un moment de l’entretien « est-ce que vous avez parfois l’impression d’être comme une marionnette que vous animez vous-même ? », que monsieur F répond « ben c’est fou c’est question… c’est exactement ça… comment ?… comment vous pouvez savoir ? oui, c’est un peu comme si j’étais vide… artificiel… alors je force mes comportements… je suis comme un mime… qui mime tout le temps… mais c’est comme si c’était forcé… comme si c’était pas moi ». Monsieur F explique également que prendre les transports en commun « c’est difficile… un gars à côté de moi qui a les bras croisés, et je me dis que s’il a les bras croisés, ça doit avoir une signification… ça me prend la tête… penser tout le temps ». À la question que votre collègue lui pose « est-ce que, un peu comme un philosophe, ou un scientifique, vous vous posez des questions sur tout, du genre… pourquoi est ce qu’une table s’appelle une table ? Pourquoi le bleu du ciel est bleu ?, etc. ». Monsieur F répond, là encore, « putain c’est fou… c’est la première fois qu’on me pose cette question… et c’est exactement ça… mais ça m’inquiète presque quelque part que vous compreniez ça… ». Il associe en expliquant « je suis jamais en repos… je me demande pourquoi la terre flotte dans l’univers par exemple… pourquoi cette marque sur le mur…, etc., oui, comme un scientifique… sauf que je ne peux pas ne pas me poser ces questions… ou encore, comment les gens ils font pour être naturels ? ça me prend la tête, et je suis très fatigué en fin de journée… jamais en repos vous voyez… ». En revenant sur la comparaison avec la marionnette, il vous explique également que « je m’observe toujours… je marche, je me pense marcher… je parle… et je me pense parler en même temps… c’est assez prise de tête »… il vous explique, enfin, qu’il a « comme l’impression de sentir où ma pensée est localisée… quand je pense, vous voyez, je sens bien que c’est là » (il vous montre la partie gauche de sa tête). « Avec de telles difficultés, vous voyez, tout est difficile pour moi ». Il ne semble pas, selon votre collègue, présenter d’hallucinations. Pour votre collègue, le discours de monsieur F est bien construit. Il ne semble pas présenter de constructions délirantes. Monsieur F vous explique ainsi que la scolarité a toujours été difficile pour lui, de même que les « relations avec les filles… ». Il occupe un appartement, dont il sort assez peu. Votre collègue vous raconte qu’il a par conséquent tenu à partager son sentiment que ce monsieur F était très courageux…
Monsieur F est suivi, depuis 3 mois, par un nouveau psychiatre en libéral « il me prescrit du Zyprexa » (15 mg/j). « Ça me fait rien ». Il a fait l’expérience d’une grande partie des psychotropes existant (benzodiazépines, anti-dépresseurs, régulateurs d’humeur, hypnotiques, antipsychotiques) sans efficacité. Il aimerait travailler, mais ne s’en estime actuellement pas capable.
Votre collègue vous explique que, dans un second temps, il a reçu, en présence de mon-sieur F et avec son accord (et en réalité à sa demande) sa mère. Avec la mère et monsieur F, votre collègue vous explique avoir ressenti une impression de peur, mêlée à celui d’un sentiment d’incompétence et de violence, sans trop savoir pourquoi. Votre collègue vous explique également qu’il a pu également éprouver un sentiment diffus de « confusion » et « de ne pas exister » en présence de monsieur F et sa mère. La mère de monsieur F vous explique que « ben je sais plus quoi faire… je lui ai trouvé un nouveau psychiatre… mais ça a pas l’air de coller… ».
« De toute façon rien n’a marché jusqu’à présent » et « c’est explosif entre nous ». Monsieur F semble changer d’attitude durant cet entretien « ma mère… elle me fait profondément chier. Elle fait pas ce qu’elle dit… ou elle vous dit de faire des trucs qu’elle fait pas… j’ai trop envie de la claquer ». La mère de monsieur F vous explique que « c’est assez intenable entre nous… et je crois qu’il faut qu’on soit aidé ». La mère de monsieur F vous explique qu’elle est aux côtés de son fils dans le quotidien, s’assure que son fils ne manque de rien dans son appartement, et se montre à l’écoute de moments de souffrance de son fils, qui l’appelle très fréquemment dans la journée. Vous réalisez rapidement un génogramme avec monsieur F et sa mère. Vous apprenez que les parents sont séparés, dans un contexte de conflits important entre eux, il y a 9 ans. Monsieur F est en conflit ouvert avec sa mère, ainsi que son père, qu’il ne voit que peu. La mère de monsieur F vous explique que le père de monsieur F « a hésité à venir à l’entretien ». Votre collègue vous explique qu’il s’est senti confus à ce moment de l’entretien. Monsieur F a un plus jeune frère (24 ans), « oh, celui-là… je le mets de côté » peut-il dire. Ce plus jeune frère a une relation plutôt sereine avec la mère de monsieur F. La mère de monsieur F vous explique que les relations avec ses propres parents ont toujours été difficiles. Son père est décédé. Sa mère est toujours en vie. Elle la décrit « comme cherchant à tout contrôler, hyper présente… c’est parfois étouffant ».
Votre collègue vous explique qu’il a simplement proposé de les revoir, dans 15j, afin de rediscuter des possibilités de prise en charge sur le service et s’est senti perdu durant cet entretien, ce qu’il estime, en avalant une dernière gorgée de café, avec humour « être peut-être un bon début ! ». Monsieur F a répondu à cette invitation de se revoir « je vais y réfléchir… mais j’ai le sentiment que vous étiez pas très sincère dans cet entretien ».
- Quelles sont vos hypothèses de compréhension de ce tableau clinique et comment, à travers ces hypothèses, comprenez-vous la plainte du patient « je n’en peux plus de penser en permanence… ça m’épuise » ?
- Si vous deviez continuer l’entretien, quels axes exploreriez-vous ?
- Entrevoyez-vous quelques axes de prise en charge thérapeutique ?
- Selon vous, qu’est-ce qu’un symptôme et/ou un signe psychiatrique ? (par opposition par exemple à un signe ou symptôme neuro- logique, cardiologique, etc.).
La perspective Denis et Michael Félus
Corrections Anne Roche-Bret
Denis Félus est médecin, formateur depuis 15 ans au groupe d’études et de formation en stratégies et thérapies systémiques. Michael Félus est psychologue, et pratique en institution. Ils reçoivent aussi tous deux en entretiens dans leurs cabinets respectifs.Anne Roche-Bret est psychiatre, praticien hospitalier. Elle a travaillé dans différents hôpitaux publics (Paris, Valence).
Anne Roche-Bret est psychiatre, praticien hospitalier. Elle a travaillé dans différents hôpitaux publics (Paris, Valence).
Sur l’invitation de Perspectives Psy nous avons donc examiné et réfléchi à l’observation de Monsieur F. Nous tenons en préambule à remercier Brice Martin le rédacteur qui a tenu compte de notre besoins comme systémiciens (cf. Perspective Psy précédent) et qui a intégré à l’observation clinique tant des données concernant les ressentis que des éléments de l’histoire transgénérationnelle.
- Quelles sont vos hypothèses de compréhension de ce tableau clinique et comment, à travers ces hypothèses, comprenez-vous la plainte du patient « je n’en peux plus de penser en permanence… ça m’épuise » ?
- Si vous deviez continuer l’entretien, quels axes exploreriez-vous ?
La description que l’observateur fait de sa première rencontre avec le patient est riche et précise. Toutefois elle semble, comme souvent dans ces cas chroniques, être le fruit d’un écran de fumée soufflé par le patient. Ainsi, pour cette première partie de l’observation, en ces temps de fêtes et de bons repas (NB : article écrit fin décembre) –, nous pourrions parler de « bûche de Noël », ou comment « enfariner » le thérapeute qui ne vous a pas écouté quand on a dit, et insisté : « Je veux être reçu avec ma mère ».
- Faire macérer le thérapeute avec des comportements inquiétants mais pas trop, pendant un long moment ; vérifier la présence d’une pincée de peur, de doute et de confusion, environ une cuillère à café de chaque pour maintenir la pression.
- Saupoudrer de valorisations relatives : « c’est fou, vous pensez comme moi… c’est la première fois qu’on me pose cette question, c’est exactement ça » pour maintenir l’attention pendant la cuisson.
- Donner du grain à moudre dans toutes les directions attendues (nées des rencontres avec les précédents soignants) : un peu de confusion, quelques pincées de schizophrénie, un léger doigt de dépression, une poudre de paranoïa adoucie et un soupçon de mégalomanie philosophique (on ne connaît jamais assez bien la spécialité qui va titiller le thérapeute).
- Glacer l’ensemble par un discours brillant, légèrement troublé, mais sans incohérence majeure pour bien attirer le goût d’incompétence en surface.
- Se répéter et attendre.
- On constate que le thérapeute est cuit quand il est perdu, renonce ou propose autre chose.
Pour revenir à un mode de réflexion clinique plus classique :
Hypothèse et axe de travail n°1
Tout, d’abord, l’affiliation entre notre collègue et Monsieur F n’a pas eu lieu. La demande initiale n’est pas entendue, pas prise en compte, et fait écho au sentiment de ne pas exister que ressent le médecin. Sentiment qui entre en résonance avec le vécu habituel de son patient qui ne sait pas comment trouver sa place, d’abord dans sa famille, puis dans le monde. L’un comme l’autre sont « perdus » et ne trouvant pas sur quoi ni sur qui se reposer, face à une situation où ils se sentent en difficulté (« gêne »), ils vont faire une demande d’aide à des tiers (médecins, amis ou autre service). On perçoit alors l’isomorphisme des fonctionnements, dans lesquels l’aide passe par des tiers qui sont eux-mêmes impuissants à faire changer les mécanismes en place.
Pour résumer cette première hypothèse : dans quelle mesure est-ce que Monsieur F, au travers de son malaise, ne cherche pas à être reconnu pour la personne qu’il est, tout en produisant l’inverse par l’extravagance de ses comportements.
L’ouverture familiale, qui apparaît dans le second temps, semble positive puisque différente, et acceptée (et surtout initialement demandée) ; différente du ronron psychiatrique qui avait cours auparavant, et une acceptation qui se perçoit dans un discours plus réel, plus authentique.
Qu’est-ce qui se dit alors ?
La mère confirme les règles du jeu initiales, celles établies par le fils au début : incompétence et non changement. La façon dont la famille a réussi à induire l’incompétence des thérapeutes et des thérapeutiques nous en disent long sur sa volonté de non-changement. Le fils alors, en réadaptant son discours, valide la nouvelle tentative de ce nouveau psychiatre qui prend maintenant en compte la famille et entre dans le vrai sujet : les interactions familiales, celles-là mêmes dont on retrouve les formes dans les perceptions du thérapeute : confusion, crainte violence, incompétence… Alors l’histoire des tensions familiales génératrices des dysfonctionnements peut se dérouler.
Ainsi, tout se passe comme si la séparation, conflictuelle et violente, de ce père, – désigné comme incompétent (« Il a hésité à venir à l’entretien ») –, et de la mère, – contrôleuse, envahissante, et rejouant sa propre histoire, et ses propres apprentissages –, avait nécessité une redistribution des fonctions homéostatiques de la famille d’origine de monsieur F. Tout se joue comme si chacun avait réorganisé le système familial en se partageant les rôles afin de permettre une nouvelle homéostasie de l’ensemble.
Dans ce partage, le fils désigné tient un rôle central, ce qui rend quasiment impossible à leurs yeux son départ. Madame, officiellement, tient le rôle du pilier qui va bien, garant de l’évolution de l’ensemble, séparée assumée, voulant l’indépendance de son fils, et accompagnée par un autre gentil fils. La réalité officieuse est bien plus complexe que ces rôles apparents : le pilier a toutes les bonnes raisons d’être plus fragile (peur de la solitude, de l’abandon, histoire familiale), et en ce sens le fils semble plutôt être protecteur que protégé. Par ailleurs, monsieur F pointe l’incohérence de Madame qui dit le vouloir autonome mais l’empêche d’exister en s’occupant tellement de tout que la violence naît chez lui pour l’éloigner. Ainsi, il rejoue aussi en permanence le conflit parental, preuve vraisemblable que la séparation et ses miasmes sont loin d’être réglés. Monsieur F est en conflit avec les deux.
Dans un système aussi étouffant, personne ne peut prendre sa place et la garder hors le conflit, sauf à créer un conflit sur la place, ce à quoi chacun s’attèle.
Hypothèse et axe de travail n°2
On peut faire l’hypothèse que Monsieur F est mis dans une situation de double contrainte. Une double contrainte est le fait d’être face à deux injonctions contradictoires dans un contexte relationnel de dépendance, dont l’affect nous empêche de sortir. En effet, Monsieur F entend un message venant de sa mère qui lui énonce la nécessité de sa présence à ses côtés pour l’aider dans le quotidien, la difficulté de se séparer. Elle lui transmet en parallèle le message suivant : « Je recherche de l’aide pour que tu ailles mieux et puisse enfin devenir autonome ».
Dans ce contexte Monsieur F répond également de façon paradoxale. Il s’oppose à la présence et aux attitudes de sa mère tout en l’appelant souvent, en se montrant dépendant d’elle. Ou encore, d’après son fils, la mère ne fait pas ce qu’elle dit. Donc, en réaction il ne fait pas ce qu’il faut en faisant échouer les aides. La répétition de ces fonctionnements de double contrainte réciproque dans le temps fige la relation et développe le ressentiment. Monsieur F construit alors des solutions magiques, les fonctionnements obsessionnels, afin de tenter de mettre du sens et de contrôler l’incontrôlable.
Pour résumer cette deuxième hypothèse, tout se passe comme si dans un contexte de double contrainte réciproque récurrent, chacun rigidifiait ses positionnements en ayant l’illusion que faire plus de ce qu’ils font déjà pouvait changer quelque chose. Cela développe au contraire les sentiments de ne pas exister, d’impuissance et d’incompétence.
Officieusement aussi, on pourrait envisager le fait que la mère, elle-même autrefois étouffée par la sienne, dans la solitude de la séparation, soit quelque peu dépressive, faisant porter à son fils ses propres doutes. Le fonctionnement de Monsieur F serait ainsi, en se laissant désigner comme malade et en attirant l’attention vers lui, un excellent antidépresseur (paradoxalement, c’est lui qui avale les comprimés, sans succès, et pour cause, puisqu’il n’est pas le bon sujet).
Hypothèse et axe de travail n°3
Il faut envisager aussi ce que représente, dans ce cas, l’indifférenciation. Dans cette famille on ne s’individualise pas ou sinon au prix de ruptures (comme celle du père). Il s’agit d’un apprentissage que la mère de Monsieur F a fait avec sa propre mère et qu’elle transmet aujourd’hui à son fils. En effet, dans cette famille on apprend d’abord à satisfaire, protéger les autres, même si le coût est cher, comme celui de la rétention, voire la négation, de ses ressentis. Cela a pour conséquence de produire des questionnements permanents dans la mesure où l’interaction, plutôt que d’apporter des réponses, produit du doute. Cela conduit à une confusion des places, rôles, responsabilités de chacun. Un mécanisme à l’œuvre dans cette famille est la dévalorisation. Sans valeur donnée, pas d’apprentissage positif possible. Chacun dans ce contexte semble utile à l’autre tout en le maintenant dans des fonctionnements connus mais bloquants.
Pour résumer cette troisième hypothèse, l’indifférenciation est un apprentissage transgénérationnel qui conduit chacun des membres à vivre dans le doute et la colère/violence, de ne pas avoir de réponse claire.
De leur côté, les perceptions du thérapeute pourraient être des résonances très pertinentes pour la construction des hypothèses. Mais on sent, à travers le récit qui nous est donné, leur rôle de contamination homéostatique absorbant le collègue, de mise en confusion qui amène à remettre à plus tard (la prochaine séance) la mise en œuvre du changement. Le thérapeute semble absorbé par ses résonances dans l’homéostasie du système, validant les a priori de Monsieur F. Ainsi, comme d’autres fois, le système est prêt à perdurer, au grand dam de Monsieur F qui pointe fièrement à nouveau (règle du jeu de départ) l’incompétence thérapeutique « je vais y réfléchir et cætera… » et son ras le bol (officiel et relatif) d’avoir à penser pour les autres (qui ne prennent pas leur place de thérapeutes).
Hypothèse et axe de travail n°4
Un dernier axe de travail serait de prendre en compte les ressentis du médecin comme s’il se faisait l’amplificateur résonant des vécus émotionnels de la famille. Chacune des émotions qu’il fait ressortir est un axe de travail, une hypothèse en tant que telle : « gêne », « peur », « incompétence », « violence », « confusion », « sentiment de ne pas exister », « perdu ». Chacun de ces ressentis ne semble pas propre à l’individu médecin, mais être une résonance au fonctionnement du système. Un travail autour de l’utilité pour cette famille que le thérapeute vive ces émotions au fil de l’entretien paraît important.
Pour résumer, les résonances du thérapeute nous offrent de nombreuses portes d’entrée et viennent compléter la grille de lecture précédemment explicitée.
Pour finir de répondre à la question posée sur la plainte de Monsieur F : « je n’en peux plus de penser en permanence… ça m’épuise », on peut voir que, dans un contexte de double contrainte, d’indifférenciation et de transmission transgénérationnelle, Monsieur F, a eu comme mécanisme de survie de se réfugier dans sa tête, seul endroit où il était en paix. Cependant n’ayant eu que peu de réponses claires, les questionnements ont persisté. Le mécanisme, qui initialement lui a été salvateur, devient au fil du temps invalidant puisque c’est quasiment le seul dont Monsieur F semble disposer. Ce qui l’épuise est alors plus le caractère répétitif de mécanisme que le mécanisme en lui-même.
- Entrevoyez-vous quelques axes de prise en charge thérapeutique ?
Cette relecture ouvrant vers les hypothèses sous-jacentes de l’histoire de cette famille ouvre différents axes de changements.
Tout d’abord deux constats :
Le caractère inopérant des traitements montre que les symptômes pathologiques sont plutôt des fonctionnements liés à des apprentissages que des traits de personnalité relatifs à des connexions neuronales défaillantes. Par ailleurs, en prescrivant un traitement supplémentaire le médecin est simplement dans « du plus » de la même chose, ce qui ne sera donc pas plus utile que les précédents.
La proposition finale est de les revoir pour ne pas les revoir… (orienter). Cela va conduire à faire partie de la longue liste des « inutiles incompétents ». Ce à quoi le patient répond par une appropriation de la faute ; c’est lui qui ne le sent pas honnête.
Clairement, à notre sens, la levée de la chimie et la validation positive du rôle de monsieur F dans ce système l’affilierait enfin à la thérapie en lui rendrait non seulement un rôle d’acteur officiel, mais donnerait enfin un sens fonctionnel à sa pensée. Chacun retrouverait sa place : le thérapeute, la thérapie, et Monsieur F, qui lui, en même temps que sa place, retrouverait sa vie. Cela serait nettement moins épuisant que de penser pour tout le monde.
Dans la prise en charge, on peut envisager une psychothérapie soit familiale si possible, ou a minima mère et fils ensemble, ou séparément. Il conviendrait bien sûr d’explorer les apprentissages de Madame mère et la relation avec sa propre famille d’origine, d’explorer l’état de la séparation, etc., ainsi que tous les moyens qui sont utilisés par chacun des participants pour entretenir le silence sur ces sujets.
Pour permettre un départ léger de Monsieur F vers son autonomie réelle, il convient de remplacer les fonctions des dysfonctionnements par des comportements plus efficaces.
Le premier est de travailler à la marge de manœuvre du thérapeute en le libérant des résonances sur la confusion (et donc sa capacité à décrire clairement) et sur la peur de la rupture de l’équilibre (relatif)…
Puis libérer la relation de protection réciproque mère/fils particulièrement en gérant l’ensemble des relations dépressogènes de Madame (avec sa mère, son ex-mari, la séparation du fils).
Travailler la séparation initiale des parents et le rôle de transmetteur de conflits de Monsieur F.
Axes de prise en charge
S’affilier au système, co-construire des objectifs réalistes et précis. Travailler autour de la réalité de la séparation parentale, dont on peut douter au regard du conflit toujours présent. Mais aussi revaloriser chacun des membres de cette famille et soutenir Madame dans la création d’un nouveau modèle et dans sa propre souffrance qui a l’air importante.
Axer également le travail sur les apprentissages de chacun. Cela permettrait alors à Monsieur F d’arrêter de jouer « l’entre deux » entre son père et sa mère, mais aussi à la mère et au fils de se différencier sans risque de se déprimer.
Un travail de supervision du thérapeute pourrait être envisagé pour lui permettre de mettre ses ressentis à son service dans la thérapie.
Compte tenu de son type d’interactions, cette famille devrait être très accessible aux tâches paradoxales (prescription de symptômes et mille autres ruses stratégiques) tant son mode de fonctionnement est déjà paradoxal lui-même.
- Selon vous, qu’est-ce qu’un symptôme et/ou un signe psychiatrique ? (par opposi- tion par exemple à un signe ou symptôme neurologique, cardiologique, etc.).
Le symptôme est le signe d’un dysfonctionnement. C’est un langage métaphorique qui tente de montrer ce qui ne peut être dit, tout en tentant de maintenir l’équilibre du système. Pour nous, il n’y a problème que si le système l’énonce. Il n’y a pas de normalité, ni donc d’anormalité, mais uniquement des difficultés exprimées par certains membres d’un système dans un contexte donné. C’est avec cela que nous pourrons travailler.
Un symptôme/signe psychiatrique semble être au moins une mise en œuvre explicite métaphorique d’une fonction homéostatique vécue comme nécessaire au maintien d’un système.
La perspective de Jean Furtos
Jean Furtos est psychiatre des hôpitaux honoraire, Directeur scientifique honoraire de l’ONSMP (Observatoire National des pratiques en Santé Mentale et Précarité), Orspere-Samdarra, CH le Vinatier (Bron), psychiatre à la Clinique de la Chavannerie (Chaponost), groupe Orpea.
- Le malaise d’un thérapeute, symptôme essentiel de la relation thérapeutique
Il s’agit d’une observation exemplaire qui part du malaise d’un thérapeute. D’une manière générale, tous les aidants, bénévoles ou professionnels sont susceptibles de ressentir un malaise dans la relation, et d’avoir le sentiment clair que ce ressenti est en rapport avec le problème du sujet rencontré. En fait, ce malaise subjectif fait objectivement parti de la clinique. C’est pourquoi en parler à ses collègues spontanément, comme là autour du café, ou en parler en supervision ou en analyse de la pratique, ou même chez soi, à ses proches, est important pour deux raisons : d’abord pour mieux comprendre l’autre rencontré, ce qui aide à la thérapie, et ensuite par hygiène personnelle de l’aidant ou du thérapeute, pour ne pas rester encombré par ce malaise.
- Dans cette observation, il y a ce qui concerne le patient, son mode de fonctionne- ment, et ce qui concerne sa relation à sa mère qui l’accompagne, et il y a le malaise du thé- rapeute que je commenterai chemin faisant.
- Ce qui concerne le patient, tout d’abord.
Il n’y a ni délire ni hallucination, mais une autoscopie permanente de la pensée, certainement pathologique, c’est-à-dire qui empêche de vivre convenablement, et ce depuis l’enfance. Il y a eu aussi un sentiment de dissociation dans le rire bruyant, décalé, du patient, en début d’entretien. Ce jeune sujet se sent perdu, pas comme les autres humains, exclu du partage de la commune humanité. La pensée n’est pas appropriée par lui comme propre, il ne peut pas dire « je pense, donc je suis » ; il ne peut pas non plus penser avec d’autre pour échanger, être d’accord ou pas d’accord. Il ne pense pas, ça pense en lui, et le rapport à cette pensée et aux mots qui la constituent lui donne un sentiment d’étrangeté : l’ordre symbolique, comme diraient les lacaniens, est déconnecté du sujet. D’ailleurs, il ressent la localisation cérébrale de sa pensée, signe assez fréquent de psychose. C’est ce sentiment d’être étranger à soi-même qu’a ressenti le thérapeute, il porte quelque chose du patient en lui parce qu’il s’agit d’une rencontre, le thérapeute n’est ni blindé ni purement nosographe objectivant et réifiant : il accepte d’être dérangé dans son être par le fonctionnement mental du patient. L’empathie (souffrir l’autre en soi) dont il fait preuve lui permet de tomber « pile » sur le fonctionnement mental du patient : le patient en est stupéfait plusieurs fois : « c’est fou, cette question, comment vous pouvez savoir », « putain c’est fou, c’est la première fois qu’on me pose cette question ». Et ça l’inquiète, comme si ça validait un syndrome d’influence, de lecture des pensées. De fait, pour ce type de symptômes, le zyprexa n’a pas d’effet.
– En ce qui concerne la relation mère-patient, il y a relation proche, trop proche, fusionnelle, qui a conduit avec justesse le thérapeute à recevoir d’abord seul le patient. Sans parler de « mère de schizophrène », comme on disait il y a quelques décades, il y a une confusion de personnes qui rend le patient et le thérapeute confus ; qui est en relation avec l’histoire de la mère et le fonctionnement du fils, qui ne se retrouve pas avec le frère du patient. Cette fusion-confusion donne un sentiment « explosif », une violence potentielle qui explique certaines violences paroxystiques des psychotiques, voire certains matricides ou parricides. L’évocation de l’absence du père a rendu le thérapeute confus parce que cette absence symbolique empêche la défusion mère-fils et produit de la confusion.
Le thérapeute, qui s’est senti « perdu » pendant cet entretien, a vécu de manière vicariante, à la place du patient, ce que celui-ci ressent. Le fait que le patient réponde à l’invitation de se revoir : « je vais y réfléchir, j’ai le sentiment que vous n’étiez pas sincère pendant cet entretien », montre qu’il a vécu dans le thérapeute sa propre déconnection d’avec lui-même ; plus que ça, il exprime que le thérapeute portait son étrangeté, sa dépersonnalisation constante : le thérapeute n’est pas « sincère » comme lui se sent « une marionnette ».
- Conduite à tenir et à penser
– Je crois avoir répondu à la première question. Il s’agit d’une pensée psychotique structurale.
– Dans la suite, s’il devait y avoir une suite, j’explorerai mon sentiment d’étrangeté et de malaise en tant que thérapeute comme un symptôme vicariant du patient. Je ne l’exprimerai pas systématiquement au patient, je garderai des mots en moi sans les dire au fur et à mesure, pour ne pas valider la fusion, même s’il y a le fait que le thérapeute est comme « squatté » par le mode de fonctionnement mental du patient. Il convient d’accepter de porter ce malaise un temps en soi, de penser la pensée de l’autre en soi, de continuer d’en parler à des collègues, pour que cette pensée ne soit pas déconnectée du rapport à l’autre, pour qu’elle puisse bonifier dans la psyché du thérapeute.
– Je recevrai le patient presque toujours seul, même si sa mère l’accompagne, et je recevrai volontiers son père avec lui, à l’occasion.
– Un symptôme psychiatrique est une modalité de fonctionnement mental qui empêche le sujet de vivre, c’est-à-dire de penser, de parler, d’agir et d’aimer, en communication avec lui-même et avec autrui ; qui l’empêche de se situer dans la suite des générations et dans le positionnement sociétal comme un être à la fois différentié, sexué, et connecté. Ce fonctionnement devient « psychiatrique » s’il est dit à un psy qui le reconnaît comme tel avec sa théorie, sa pratique, et son humanité ; qui reconnait cet empêchement en acceptant, ou pas, d’en faire quelque chose avec le sujet pour qu’il puisse vivre mieux.
– Si un thérapeute n’a jamais de malaise dans la relation thérapeutique, c’est dommage pour ses patients. Il convient de faire quelque chose de ce malaise pour rester vivant psychiquement et émotionnellement. Une remarque, pour terminer : ce que l’on appelle le contre-transfert en psychanalyse n’est qu’une modalité particulière de prise en compte de ce fait d’être affecté par autrui dans toute relation d’aide qui est vraiment une relation.
La perspective de Guillaume Chabridon
Guillaume Chabridon est praticien hospitalier au CHS de Saint Ylie-Jura à Dole. Il est formé à l’entretien motivationnel.
L’analyse sémiologique des propos rapportés par le collègue permet d’extraire quelques éléments cliniques notoires et d’en éliminer d’autres. Tout d’abord, la question de la désorganisation psychique doit être posée. Le discours semble cohérent, facile à suivre même si par moment le patient se perd un peu. La logique semble préservée, tout comme le cours de la pensée et le langage. Il n’y a pas de barrages (même si les 3 petits points pourraient nous le faire croire). Il n’y pas non plus de discordance idéo-affective et nous n’avons pas notion de bizarreries de comportement rapportées dans la présentation. On ne retient pas non plus d’élément thymique dépressif ou maniaque. En revanche, on peut mettre en évidence et analyser des symptômes positifs. On peut noter des idées délirantes interprétatives s’intégrant dans un syndrome de référence lorsqu’il évoque ses interrogations sur les personnes qui s’assoient à côté de lui dans le bus. Il existe aussi des phénomènes élémentaires avec une idéorrhée vécue passivement, un anidéisme sensitif marqué par l’étrangeté des choses (pourquoi une table s’appelle une table ?), ainsi que des velléités abstraites (pour- quoi le bleu du ciel est bleu ?). Les 3 dénominateurs communs aux phénomènes élémentaires étant l’absence de sensorialité (aucun sens n’est ici sollicité), la neutralité affective (notre patient est passif) et l’absence de conséquences délirantes à ces phénomènes. Le patient présente par ailleurs un écho de la pensée lorsqu’il explique qu’il s’observe toujours. Par ailleurs, le patient explique avoir l’impression d’être comme une marionnette et comme si ses comportements étaient forcés (qu’on comprend comme des comportements dictés). Il ne présente pas d’hallucination sensorielle ne permettant pas de retenir un grand automatisme mental dont la triade caractéristique est l’association d’hallucinations idéiques (composée des phénomènes élémentaires et de l’écho de la pensée), motrices (impression de gestes guidés) et sensitives (hallucinations psycho-sensorielles). Néanmoins, il est évident qu’il présente un petit automatisme mental avec l’association des phénomènes élémentaires et d’écho de la pensée. Mettant à l’écart ces détails sémiologiques historiques, il est important de retenir ici une activité cérébrale autonome et automatique que le patient ne contrôle plus (désappropriation de sa pensée) qu’il exprime par une plainte que ne nous comprenons désormais facilement « je n’en peux plus de penser en permanence… ça m’épuise » et que nous pouvons appeler plus globalement un automatisme mental. Par ailleurs, le patient semble présenter une symptomatologie négative si vous en croyez les doléances de votre collègue à propos de l’isolement du patient et des difficultés dans les relations sociales (scolaires et amoureuses). Le patient présente donc une pensée bien organisée avec un automatisme mental à l’origine d’une activité cérébrale idéique importante dont il se plaint ici en entretien. Par ailleurs, il présente un syndrome de référence et des symptômes négatifs. La synthèse de ce tableau clinique étant donc une pathologie schizophrénique qui est le lien commun à ces 4 types de symptômes.
En se plaçant dans une approche motivationnelle basée en partie sur les théories de Carl Rogers, il est essentiel de respecter les choix du patient. Aussi, le patient garde son autodéterminisme et sa liberté de choix. Pour cela, le thérapeute doit s’assurer que le patient possède toutes les informations dont il a besoin pour faire ce choix. Aussi, il serait intéressant de continuer l’échange sur ses demandes et ses souhaits, l’entretien motivationnel étant une manière d’aider le patient à changer sa motivation pour y parvenir et de résoudre une éventuelle ambivalence. On pourrait ainsi lui demander « pourquoi il est venu à la consultation ? » ou encore quelle serait la chose à prendre en charge prioritairement. En effet, l’entretien motivationnel est une approche intéressante face à l’ambivalence de tous nos patients. Elle a été validée dans beaucoup de domaines (observance médicamenteuse, pratique d’une activité physique, réduction de la consommation des toxiques dans la schizophrénie mais aussi en addictologie). Elle a également prouvé son efficacité dans différentes spécialités et est recommandée par la Haute Autorité de Santé dans la prise en charge du diabète (pour l’acceptation de l’insulinothérapie, du suivi psychologique et de la pratique d’une activité physique) et pour obtenir un sevrage tabagique dans différentes pathologies chroniques (Bronchopneumopathie Chronique obstructive ou les accidents vasculaires cérébraux). Nous comprenons donc bien que cette approche nécessite une ambivalence et aide ensuite le patient à résoudre cette ambivalence en facilitant le changement d’un comportement moins recommandé à une conduite plus adaptée. Il est donc nécessaire de faire émerger cette ambivalence et certains outils intéressants dans cette situation pourraient être utilisés ici et être des axes à explorer. L’interroger sur ce que peut ressentir sa mère serait une première piste et essayant qu’il arrive à imaginer se mettre à sa place, une sorte de recadrage dans la manière de voir la situation. Dans les situations sans ambivalence, il est aussi intéressant d’explorer les valeurs du patient qui bien souvent sont en contradiction avec leur comportement et leur manière de faire. Ici, probablement qu’on pourrait voir émerger le souhait de réussir sa vie, d’être un fils proche de sa mère, respectueux, autonome ce qu’il ne semble pas être tout à fait. Enfin, la délivrance d’information au sujet de ses troubles est aussi nécessaire et fait bien souvent émerger des interrogations. Le but étant dans l’entretien motivationnel et l’approche centrée sur la personne de respecter un esprit de prise en charge composé de 4 axes, que sont le travail collaboratif, sans aucun jugement de valeur et toujours dans une optique altruiste pour faire évoquer le patient au sujet d’une problématique. Seul le patient sait ce qui est bon pour lui car il est le meilleur expert de lui-même, le thérapeute étant uniquement là pour le guider et l’aider. Une métaphore serait celui d’un trajet en voiture d’un point A à un point B avec le patient qui décide du trajet en étant au volant et vous sur le siège passager à lui indiquer les dangers de la route s’il ne les voit pas et à répondre à ses questions. Ceci nécessite un certain lâcher prise en évitant au maximum le reflexe correcteur qui est cette propension naturelle que nous avons à vouloir corriger un comportement inadapté. C’est la phrase classique « vous ne devriez pas fumer » ou bien « vous devriez arrêter de fumer » qui est un jugement de valeur, non encourageant qui ne répond qu’à une seule règle : celle du thérapeute et non celle du patient. Cette réflexion souvent entendue ne s’enquière pas des raisons de ce comporte- ment chez le patient, ni des manières de faire pour l’éviter. Elle renvoie à un jugement négatif du thérapeute envers son patient. Si le patient fume, il y a surement de bonnes raisons et probablement qu’il a déjà essayé d’arrêter sans succès. Aussi, une prise en charge motivationnelle s’appuie sur le discours du patient et ses demandes et n’est là que pour répondre à ces questions au sujet d’une éventuelle ambivalence ou bien pour la faire émerger.
Ceci nous permet de rebondir sur les axes thérapeutiques. Une prise en charge en psychoéducation sur sa pathologie et l’automatisme mental semblent nécessaires. En le réalisant de manière motivationnelle, il serait nécessaire de lui demander ce qu’il connaît déjà de sa pathologie et de s’enquérir de ce qu’il voudrait savoir en sus. Ceci pourrait se faire soit de manière individuelle ou bien en groupe. La projection dans le futur est aussi un moyen intéressant de faire émerger du changement. En lui demandant comment il s’imagine dans quelques années si la situation reste ainsi, cela provoque le plus souvent des réflexions et fait émerger de nouveaux horizons. Le but est de trouver le problème prioritaire et de le focaliser, terme d’une approche motivationnelle essentiel qui s’intègre dans les processus du changement qui se superposent progressivement pour aller d’un engagement dans la relation pour focaliser une problématique sur laquelle on fait évoquer le patient (élaborer) pour planifier un changement. Ceci permet d’orienter la discussion vers un thème précis dont l’objectif est le changement. À ce niveau- là, il peut y avoir plusieurs situations : soit la problématique est claire, soit il y a plusieurs problématiques soit les problématiques sont incertaines. Il semble que notre situation soit plutôt la dernière. Il est alors nécessaire d’explorer les problématiques. Un outil de l’entretien motivationnel lorsque la demande du patient est peu claire est de cartographier la situation. En pratique cela consiste à dessiner sur une feuille des ronds vides dans lesquels on lui fait noter ce qu’il pense qu’il faudrait travailler : cela peut être le travail, les relations sociales, le traitement, la gestion des symptômes résiduels. Ainsi, on met à plat tous les axes de travail et ensuite on les priorise avec lui par ordre d’importance. Une fois qu’un axe est priorisé, il sera nécessaire de l’explorer en détail. Pour ce cas, cela pourrait être la relation avec sa mère et l’autonomie qu’il souhaite et qui constitue une ambivalence. En entretien cela pourrait s’apparenter à « d’un côté vous voulez être autonome et de la tranquillité et de l’autre vous voulez que je reçoive votre mère avec vous. Comment l’expliquez-vous ? » Cet outil est un reflet double qui permet de faire un résumé sans aucun jugement et simplement de constater la situation ambivalente que nous avons sous les yeux et de faire réfléchir et élaborer le patient à ce sujet. On pourrait ainsi travailler son autonomie et son indépendance en appuyant un pro- jet raisonnable. Le patient est l’expert de lui-même et on le guide dans ces choix.
D’après Antoine Bioy, le symptôme peut se définir comme un élément d’expression inhabituel pour un patient et qui va être investi subjectivement par lui. Comme nous le savons très bien dans la sémiologie psychiatrique de la schizophrénie, il existe des symptômes positifs, c’est-à-dire en plus (idées délirantes) et des symptômes négatifs (en moins). On pourrait donc concevoir le symptôme sous 2 aspects. Un premier aspect quantitatif et simplement binaire. Le symptôme est-il présent ? Oui ou non, permettant de retenir un diagnostic ou d’avoir au moins une orientation nosographique, qu’elle soit somatique ou psychiatrique. Un patient délirant a probablement une pathologie schizophrénique et un patient qui a de la fièvre a probablement une infection. À noter en médecine une différence entre symptômes et signes. Le premier étant la plainte du patient telle que « j’ai mal » ou bien « j’entends des voix » le second étant ce que recherche et retient le soignant tel que « hallucinations intrapsychiques ». Aussi, dans ce contexte, certains signes ne peuvent pas être des symptômes proprement dits. En effet, on retient le signe clinique « désorganisation » mais le patient lui ne s’en plaindra jamais de manière aussi claire ou bien rarement. Il est donc intéressant d’un point de vue médical de faire une première traduction du discours et des doléances du patient. C’est la traduction sémiologique des plaintes du patients ; dans notre exemple, la plainte et le symptôme du patient « je n’en peux plus de penser en permanence « a été traduit en automatisme mental. Après cette distinction, la question de la signification entre en jeu, c’est-à-dire la raison de ce symptôme. L’interprétation du symptôme est dépendante de l’approche du thérapeute et de sa sensibilité à différent courant. L’entretien motivationnel est là pour résoudre une ambivalence sans a priori et se questionner sur son origine puisqu’il se base sur l’ici et maintenant. Le patient a une plainte et nous sommes présents pour la résoudre au mieux, sans l’interpréter et surtout sans jugement. Il est important de rappeler que l’entretien motivationnel n’est pas une approche psychothérapique mais bien un savoir être avec un savoir-faire pour répondre à un objectif précis. Il ne s’appuie pas sur une psychopathologique pour en tirer des fondements psychothérapiques. C’est ainsi qu’il peut s’effectuer avec tous les patients quelques soit leur trouble. Il n’a pas vocation à interpréter mais bien à aider le patient dans l’ici et maintenant.
Le commentaire des commentaires : la conclusion d’Adeline Frankhauser
Adeline Frankhauser est psychiatre-assistante au service universitaire de réhabilitation de l’hôpital du Vinatier, à Lyon. Sa thèse de psychiatrie portait sur la thérapie multifamiliale.
Tout d’abord, je remercie mon collègue de m’avoir donné ce texte à lire sur la question de la confusion, qui habite le thérapeute qui reçoit Monsieur F et qui pourrait également nous habiter à la lecture, de ces différents commentaires, tous très riches, mais également très différents.
Une rencontre… des rencontres
La première rencontre est celle du patient et du psychiatre, la seconde celle du psychiatre et de son collègue, la troisième celle de chacun des commentateurs et du récit du collègue… la quatrième la mienne avec celle des écrits des commentateurs…
Une rencontre dans l’ici et maintenant avec un patient en contient souvent d’autres, rencontre indirecte avec une famille, rencontre indirecte avec les autres soignants qui l’ont vu…
Chaque rencontre est unique, et amène des choses extrêmement différentes, en termes de ressentis, propositions thérapeutiques, pistes psychopathologiques…
Qu’est-ce qu’il y a de commun entre ces commentaires ? Tous partent de l’importance de la rencontre, et de ce qui se place sur un plan subjectif entre monsieur F et le psychiatre. Que faire de cette rencontre et de ce qui s’y passe ? Tous notent également le détachement du collègue par rapport à une posture très médicale et directive et valorisent cette invitation à la rencontre subjective et à l’écoute de ce qui se passe en lui à ce moment.
La question de la possibilité de discuter autour du café avec un collègue, est reprise par le Dr Félus/M. Félus et le docteur Furtos qui parlent aussi de la supervision.
Quelle place pour la relation dans la rencontre ?
Une rencontre entre patient et psychiatre ouvre sur différentes dimensions : au moins une dimension médicale, et une dimension humaine. Le Dr Sassolas, psychiatre qui a contribué à fonder l’association « santé mentale et communautés » évoquait qu’être psychiatre c’était parvenir à être à l’écoute à la fois de ce qui différent et de ce qui est semblable chez l’autre. La question de la différence peut être mise en lien avec le regard médical et la question diagnostique.
Cette question de la différence est explorée différemment par les différents psychiatres.
S’intègre-t-elle pour ce patient dans une pathologie schizophrénique ou non ? Les avis semblent partagés ce qui vient pointer le relativisme du diagnostic en psychiatrie. Ce qui me semble intéressant c’est que souvent on le déplore. Ne pourrait-on pas voir ce relativisme, qui n’est pas un relativisme résigné (à savoir « on n’y comprend rien, à quoi bon réfléchir ? ») mais plutôt un relativisme créatif avec des idées différentes et toutes justifiées, et débouchant sur des prises charges thérapeutiques, comme une richesse, – la principale peut être – de notre discipline ?
Une étude avait été faite sur la difficulté pour un certain nombre de thérapeutes à tomber d’accord sur le diagnostic de schizophrénie. Plutôt que de mettre en cause les médecins « qui ont échoué » ne pourrait-on pas remettre en cause l’idée même de diagnostic ? L’approche dimensionnelle parait ici pertinente, et il me semblerait intéressant qu’on puisse aller vers cela en psychiatrie.
Quoi qu’il en soit, le Dr Chabridon propose un diagnostic de schizophrénie, le justifiant, par des critères symptomatologiques. La question de la différence est donc ici représentée par une pathologie (la schizophrénie) qui « arriverait » au patient. Le diagnostic est porté par des éléments observables/repérables par le thérapeute : des signes… La symptomatologie dissociative, l’absence d’activité hallucinatoire, les symptômes négatifs, l’automatisme mental, et le syndrome de référence.
Le Dr Furtos évoque la question de la différence, à travers un certain fonctionnement psychique du patient ; la dissociation et l’ « autoscopie permanente de la pensée » sont pointés. Certaines observations plus subjectives comme la question de l’étrangeté, et l’idée de la difficulté du patient à se subjectiver « ça pense en lui », ainsi que le ressenti du thérapeute (malaise) semble ici faire partie du diagnostic. En effet, l’idée que le patient « exporte, colonise » le psychisme du thérapeute est noté, et ce ressenti semble faire partie de ce qui est « différent », et pris en compte sur le plan diagnostique et thérapeutique. Il semble qu’ici la différence est plus en lien avec une manière d’interagir, de se subjectiver et d’entrer en relation du patient, qui pourrait s’appeler « structure psychotique, ou lien psychotique au monde »… manière de fonctionner qui serait propre au patient qui définirait son rapport au monde et aux choses…
Le Dr Félus/M. Félus se détachent de la question diagnostique, expliquant les plaintes et le comportement du patient par la réaction naturelle à des paradoxes communicationnels, et interactionnels (double contrainte, indifférenciation). Ceux-ci sont présents dans les relations avec sa famille « son système d’appartenance » : une lecture du symptôme « hyper-réflexivité » et de la plainte de « penser en permanence » comme un « mécanisme de survie ». La question pathologique est repérée uniquement dans l’installation et la répétition de ces comportements. De même que la question de la violence qui est une manière d’échapper à la double contrainte. Ici la question de la différence ou de la « pathologie » n’est pas vue comme appartenant au patient ; ce dernier est un symptôme du dysfonctionnement d’un système ; il n’est d’ailleurs pas « la personne qui devrait prendre les médicaments », puisque ses comportements viennent en quelque sorte (et entre autre) protéger/soigner la dépression de sa mère. On remarque ici un détachement de l’idée même de diagnostic comme on pourrait l’imaginer dans un modèle médical.
La question de ce qui est semblable également.
L’approche motivationnelle du Dr Chabridon commence par replacer monsieur F dans une position de responsabilité ; il évoque d’ailleurs d’emblée, que malgré ce diagnostic de schizophrénie qu’il propose, monsieur F « garde son auto-déterminisme et sa liberté de choix » ce qui est une manière d’être à l’écoute de ce qui est semblable (et humain) chez lui. Il insiste donc sur l’importance de la motivation du patient à changer quelque chose, qui parait être la base de l’investissement possible dans une thérapie, et donc de la définition d’un objectif (commun). Ceci me parait intéressant ; ceci est également un détachement du modèle médical pur (dans lequel l’objectif serait plutôt à poser par le médecin à savoir « de soigner » et induit un jugement de valeur).
« Pourquoi vous voyez votre psychiatre ? Je sais pas, il me donne des médicaments mais ça marche pas, ça change rien… » Ceci pourrait être un propos de monsieur F. Ainsi l’approche motivationnelle replace la patiente devant sa liberté de choix « pourquoi vient-il, et qu’attend-il de ce temps de consultation ? » Le collègue qui l’a reçu semble avoir oscillé entre cette posture, et entre l’obligation de trouver des solutions, ce qui rend la posture peu claire, « j’ai l’impression que vous n’êtes pas sincère »… On est trop souvent convoqués en tant que médecin à cette place de trouver les solutions pour l’autre, et cela ne marche que rarement ; tout d’abord comme le soulignent le Dr Félus/M. Félus, parce que le patient a déjà essayé, parce qu’il a déjà trouvé une « solution qui maintient un équilibre » dans son monde, et son système ; et également parce que trouver des solutions pour quelqu’un d’autre implique savoir ce qui est bon pour lui, or ceci parait difficile ; en dehors peut être du cadre de l’urgence, ou de la crise aigue.
L’idée de la cartographie des priorités, qui fait médiation, comme d’ailleurs le génogramme utilisé par le collègue est intéressante, et je me dis souvent que nous n’utilisons pas assez de médiations au cours des entretiens comme si la question de la parole qui permet d’exprimer quelque chose de sa subjectivité, était quelque chose qui était facile pour tous ; il semble que ce qui pourrait finalement aider monsieur F, c’est la question de la surprise ; à savoir qu’est ce qui avec ce nouveau collègue pourrait se passer différemment, qu’avec « tous les thérapeutes, qui font dire à sa mère « je ne sais plus quoi faire »…
Il me semble qu’être à l’écoute de la résonance comme l’évoquent le Dr Félus/M. Félus est une manière d’être en lien avec ce qui est semblable chez monsieur F ; l’idée que les émotions se transmettent et sont perçues par le thérapeute comme un message direct du système place le thérapeute et le patient désigné comme faisant, au moins un temps partie du système et se trouvant pareillement affectés par celui-ci. C’est parce qu’il ressent les choses que le thérapeute peut s’affilier, et donc signifier à chaque membre du système « je vis ces choses actuellement moi aussi, je comprends, sans être pris dedans toutefois, en étant à une place un peu différente ».
Dr Furtos évoque le fait de se laisser « traverser par l’autre » ; d’accueillir en soi certains éléments qui appartiennent au patient. C’est une manière d’accueillir ce qui est humain chez l’autre, et le fait que le thérapeute ressent le malaise (du patient), c’est bien qu’ils sont semblables dans leur capacité et leur manière de ressentir les choses ; le Dr Furtos termine en évoquant que le contre-transfert est une manière particulière de prise en compte de ce fait d’être affecté par l’autre dans la relation. Ces deux derniers points – le contre-transfert évoqué par le Dr Furtos et la résonance évoquée par le Dr Félus/M. Félus font tous deux référence, tout en étant intégré dans un champ théorique différent à une manière d’être à l’écoute par les ressentis émotionnels du thérapeute, et de mettre en lien ceux-ci à quelque chose qui appartient au patient/au système ; de pouvoir non seulement être à l’écoute de ceux-ci, mais également s’en servir dans une position psychothérapeutique.
La question de la présence de la mère ou non
Le Dr Furtos parle de l’importance de la défusion ; et l’idée de ne pas recevoir la mère… mais de recevoir le patient parfois avec son père.
Le Dr Chabridon n’évoque pas la présence de la mère et la dimension familiale du symptôme. Il propose de recevoir le patient seul, proposant un espace psycho-éducatif et un espace avec certaines médiations, comme la cartographie des priorités, pour faire émerger une demande qui appartiendrait à monsieur F en propre.
Le Dr Félus/M. Félus constatent l’indifférenciation et l’injonction paradoxale dans laquelle est prise le patient ; l’éclairage systémique stipule qu’il n’est même pas possible de comprendre monsieur F si l’on ne prend pas en compte cette dimension familiale.
Qu’aurions-nous fait ? Il nous semble que dans les perspectives à amener, l’idée d’un espace thérapeutique pour le patient et sa mère pourrait être la condition pour qu’un travail autour de la subjectivité propre de monsieur F puisse se faire ; ainsi pourrait-il peut-être petit à petit s’approprier à la fois la question de ses symptômes (et de ce qui lui appartient en propre) et peut-être se montrer un peu moins soucieux de protéger sa mère. Il semble que ne pas recevoir du tout la mère n’est dans tous les cas pas possible actuellement, car elle est là de fait ; psychiquement dans la tête du patient, dans celle du thérapeute (question de la confusion) physiquement, dans le quotidien de son fils et puisqu’elle accompagne son fils… Deux espaces différenciés, avec des thérapeutes différents, pourraient permettre d’avancer…
Une pièce aux multiples fenêtres, et un paysage qui change…
Peut-être qu’au fond tout symptôme aurait différentes dimensions qui iraient de la plus organique (dérégulation de la sécrétion dopaminergique pour la schizophrénie par exemple), à la plus subjective (sens du symptôme pour le sujet, au sein de son système, de son histoire…).
À notre sens, le thérapeute devrait avoir connaissance de toutes ces dimensions ; en oublier une ce serait tronquer quelque chose et être dans un modèle unique avec un risque de se positionner comme « sachant » ; ainsi à mon sens la rencontre thérapeutique est également celle de plusieurs savoirs : ceux du thérapeute et ceux du patient, et de son entourage ; il ne sera peut-être pas possible de jouer sur toutes ses dimensions en même temps (on ne peut pas tout faire).
Alain Topor évoquait que les patients rétablis sont ceux qui s’approprient un modèle complexe de leur trouble combinant ainsi une causalité organique, et des facteurs plus subjectifs, voire ésotériques, mystiques et religieux.
Nous l’avons dit plus haut, ces commentaires offrent donc une illustration du relativisme en psychiatrie ; ce relativisme, et l’idée qu’une rencontre avec un patient puisse ouvrir sur des points de vue aussi différents pourrait inquiéter. On pourrait avoir au moins deux attitudes possibles : se dire à quoi bon continuer ; ou être tentés de rechercher la vérité « c’est qui qui a raison ? ». Qui a raison des psychiatres qui ont lu ce commentaire ? Qui a raison de la mère ou du fils ? Du père ou de la mère ? Tous ! Il est probablement vrai que monsieur F se trouve en difficulté face aux choix et à la subjectivation, et qu’il appelle sa mère pour être réassuré ; il est probablement également vrai que qu’il rassure également sa mère, en étant présent, et en lui permettant de s’occuper de lui. Il est probablement vrai qu’il présente une vulnérabilité aux expériences psychotiques ; vrai aussi qu’il se trouve dans un rapport au monde particulier, où le silence banal et reposant de l’évidence lui est difficilement accessible.
Il me semble que ces trois approches disent une vérité de monsieur F et représentent chacune, une fenêtre ouverte sur son monde. Les symptômes peuvent se lire de différentes manières, et c’est ce qui les rend passionnants ; à condition de ne pas oublier, qu’ils sont aussi le fruit d’une rencontre. C’est l’une des raisons pour laquelle la rencontre avec les patients en psychiatrie, – de même que les cours de philosophie que nous avions au lycée – me donne parfois le vertige, c’est pour cela qu’elle se distingue des certitudes, qu’elle fait vaciller d’ailleurs, d’où le malaise décrit par le Dr Furtos ?
Au fond pour que cela marche que faut-il ? Peut-être se fixer à une fenêtre ; sachant que le but pourrait être que le thérapeute et le patient regardent par la même fenêtre ; d’où l’importance d’avoir un objectif commun, ce qui est mis en avant dans l’approche stratégique et systémique, et dans l’approche motivationnelle. Si l’on regarde par une fenêtre on verra une partie du paysage et on pourra tenter de le décrire ou de le peindre ; on n’aura jamais accès à la totalité de la vue, mais on pourra faire quelque chose de ce que l’on voit. Je pense qu’il convient de choisir l’une des fenêtres en sachant que les autres existent, et on pouvait les convoquer, une fois que l’on a dessiné le paysage vu par l’une des fenêtres pour aller un peu plus loin. Ouvrir un peu. Le travail en équipe permettrait peut-être parfois d’ouvrir plusieurs fenêtres à la fois.
Quand tout questionne, rien ne fait sens
Revenons un peu à Monsieur F pour terminer… Il semble vivre dans un monde ou tout fait signe… tout questionne (la table, la chaise) ; le « tout » empêche toute forme de hiérarchisation, ou toute forme d’action ; si tout fait signe dans le comportement de quelqu’un, on ne pourra jamais repérer ce qui potentiellement est un signe initié par la personne, et entrer en communication.
S’il n’y a pas de hiérarchie possible, tout est sur le même plan et rien n’a de sens ; comment cela serait un monde sans hiérarchie, sans différence ? Tiens, on retrouve la question de l’indifférenciation (évoquée par rapport à la structuration du système familial). Le repli semble être la conséquence de ce « trop » ; qui correspond à un envahissement par le sens.
Pour Monsieur F à la fois tout fait signe, et tout questionne…
Ce qui fait que nous pouvons vivre tranquille est que le sens des choses est évident ; il est évident pour le collègue psychiatre de boire un café avec son collègue, de croiser les bras lorsqu’il raconte son histoire, de voir le collègue sourire, lorsqu’il dit un trait d’humour… Le goût du café, la note apportée par le serveur, la table et les chaises, la petite musique qui joue en arrière-fond tout cela aussi est évident ; si on lui en demandait le sens, il ne pourrait répondre, car cela « tomberait sous le sens »…
Pour certains phénoménologues, dans le monde de la psychose cet accès à l’évidence est barré. Ainsi, il est épuisant, ce monde, hanté de questionnements sur tout, qui surtout empêche d’agir.
Grivois, lui, parle des signes élémentaires de psychoses et décrit les vécus d’« hyper- connexion », « tout est connecté », – tout fait signe – et d’« hyper-réflexivité » – tout questionne –, d’« indifférenciation subjective » – je suis tout le monde, je suis vous vous et vous –. Grivois évoque l’importance de pouvoir verbaliser ces expériences ; ces vécus élémentaires de psychose entrainent souvent une grande solitude car étranges et surtout non communicables ; les métaphores semblent permettre d’appréhender un peu ces vécus, pour lesquels les mots ne sont pas faits. Il semblerait que le collègue qui reçoit le patient aille un peu dans ce sens… « est-ce que parfois vous vous sentez comme une marionnette qui… » « Est-ce que vous vous posez des questions sur tout comme un scientifique… ». L’idée de verbaliser autour de cela, en « prêtant » des mots, ou des « images » au patient pourrait, selon Grivois, avoir un effet thérapeutique.
LIENS D’INTÉRÊT
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.