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La fratrie dans la prise en charge des mineurs de retour de zone d’opérations de groupements terroristes

Leïla Férault - Psychologue clinicienne
Alessandra Mapelli - Psychologue clinicienne
Maurween Veyret-Morau - Psychologue clinicienne

Année de publication : 2023

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, Psychologie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°86 – Prendre soin des fratries (juillet 2023)

La circulaire du 24 mars 2017 (n° 5995/SG)1 a posé, au sein de l’État français, les bases d’un dispositif global d’accueil et de suivi des enfants de djihadistes dits « mineurs de retour de zone d’opérations de groupements terroristes ». C’est dans ce cadre que, depuis mai 2017, nous les rencontrons au service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Avicenne afin qu’ils puissent bénéficier d’une prise en charge médico-psychologique. Notre rôle est d’offrir un espace thérapeutique à ces enfants dont la trajectoire de vie a été marquée par une multitude de ruptures et d’événements traumatiques2. Il s’agit d’enfants ayant grandi dans un contexte de guerre pendant des mois, voire des années, baignés dans une idéologie radicale violente à travers laquelle ils ont appréhendé le monde et pour qui le retour ou l’arrivée en France s’apparente à un choc culturel.

Séparés de leurs parents, décédés ou incarcérés, et confiés à l’Aide sociale à l’enfance dès leur arrivée sur le territoire français, ces enfants, âgés de quelques mois à 17 ans, appartiennent souvent à des fratries nombreuses de quatre, cinq, voire six enfants.

La clinique des fratries

Une petite équipe comme la nôtre est alors amenée à assouplir le cadre théorique traditionnel d’un service de pédopsychiatrie. Un grand nombre d’enfants issus des mêmes fratries arrivent souvent en même temps. Un psychologue du dispositif peut alors être amené à recevoir tous les membres d’une fratrie, celle-ci partageant la même écoute. En devenant le « thérapeute de la fratrie », nous brisons la règle de la confidentialité propre à la constitution d’un espace thérapeutique, mais la porosité de notre écoute est verbalisée avec les enfants pour qu’elle ne reste pas implicite. En l’absence du récit des parents et de l’anamnèse, chaque enfant de la fratrie contribue à reconstituer le puzzle du roman familial, selon le prisme de son âge, de sa maturité, de son vécu et de sa place dans la famille.

Qui plus est, en tant que thérapeute de la fratrie, nous devenons dépositaires non seulement des histoires individuelles, mais aussi de fragments de l’histoire commune des enfants. Ainsi, d’une part, après plusieurs années d’accompagnement, nous devenons les garants d’une continuité dans le lien. D’autre part, dans ces familles où la transmission familiale fait défaut pour des raisons traumatiques, mais également pour des raisons liées au parcours judiciaire des parents, l’enfant est mis à mal dans son travail de mise en sens. Dans notre rôle de cliniciennes, qui est, entre autres, d’accompagner l’enfant à s’approprier son histoire, nous nous interrogeons sur comment utiliser ces fragments de l’histoire commune pour soutenir davantage cet enfant dans l’élaboration psychique de son vécu.

L’exemple du « groupe fratrie »

C’est dans ce contexte que nous avons proposé une rencontre mensuelle à une fratrie de quatre suivie depuis deux ans en individuel par deux d’entre nous. Nos motivations étaient multiples : permettre au récit familial de circuler entre les membres de la fratrie, observer puis nommer avec les enfants les processus à l’œuvre dans leur dynamique fraternelle et, par conséquent, être un espace de contenance ainsi que d’élaboration des émotions et des pulsions qui traversent leurs relations.

En faisant le choix de ce type de groupe, nous prenions plusieurs risques. Le premier était de ne pas apporter de tiers dans ce travail, ce qui aurait pu engendrer une répétition de la relation dyadique. Le deuxième, de taille, était de reproduire l’incestuel qui habitait déjà cette fratrie. Enfin, le troisième était que nous craignions de ne pas pouvoir suffisamment contenir l’excitation et la violence que l’on percevait dans leurs interactions. Nous avons décidé de structurer les rencontres à travers la médiation du blason fraternel3. Inspiré du blason familial4, ce dispositif permet d’élaborer, à travers le dessin collectif d’un blason représentant la fratrie à différent temps, autour du mythe fraternel. Le travail autour de cette image fait émerger l’identité et la place de chacun, la capacité de la fratrie à se représenter, avec ses défenses individuelles et groupales, à appréhender les affiliations possibles et celles non pensables.

Au sein de notre équipe prenant en charge les enfants de parents djihadistes à Avicenne, nous continuons de nous poser la question du cadre pour soigner les fratries. En s’appuyant sur l’alliance avec les thérapeutes grâce à des relations transférentielles préétablies, l’expérience de ce « groupe fratrie » conduit tout du moins chaque membre du groupe à s’approprier les fragments de son histoire qui lui manquait et à penser autrement la dynamique familiale.

Notes de bas de page

1 Site Légifrance.

2 En tant que centre réfèrent de santé, nous recevons les enfants pour une évaluation médico-psychologique qui se compose d’un bilan médical ayant lieu sur une demi-journée et une évaluation psychologique réalisée sur plusieurs mois à raison d’une consultation par semaine. Cette évaluation se termine par des préconisations de soins (suivi psychothérapeutique, pédopsychiatrique, en orthophonie, en psychomotricité, groupes thérapeutiques). Depuis mai 2017, nous avons évalué plus d’une centaine d’enfants dont la majorité a été, par la suite, suivie par notre équipe. À ce jour, une cinquantaine d’enfants sont toujours suivis au sein de notre service.

3 Duret, I. et Brancart,C.(2012). Le blason fraternel : un outil pour découvrir et explorer le lien de fratrie et son évolution dans l’histoire de la famille. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 48, 263-278.

4 Caille, P. et Rey,Y.(2004). Les objets flottants : méthodes d’entretiens systémiques. Fabert.

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