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À partir de ma vie, j’interroge le système psychiatrique

Camille Niard - Médiatrice de santé pair Pôle Centre-Rive-Gauche Centre hospitalier Le Vinatier

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°88-89 – Faire savoir l’expérience (janvier 2024)

Dans un monde où la fragilité est encore vue comme une faiblesse, savoir regarder ses propres vulnérabilités en face est une force. Le fait qu’une institution souhaite associer les vulnérabilités aux compétences, ose relier la vie et les savoirs, et ait un directoire qui ne reste pas dans une tour d’ivoire, mais qui a la volonté de renforcer ses capacités à gérer avec et sur les incertitudes est une courageuse révolution. Nous pouvons la comparer à celle du développement de l’éducation thérapeutique du patient. Puis, prendre en compte toutes les voix, celles des patients, des soignants, des proches aidants et des administrateurs, est une expression publique de démocratie sanitaire. Comment réinterroger collectivement les protocoles du soin et du rétablissement ? Ce questionnement peut-il être réalisé par une approche globale tout en ayant une perception fine des détails qui comptent tout au long d’une vie humaine – soit de ce qui va l’établir… et la rétablir ? En reconnaissant l’inégalité des vulnérabilités en santé mentale et de leurs prises en charge, les projets de soin personnalisés peuvent être mieux abordés afin que tout le monde se trouve à responsabilités et à compétences égales pour prendre soin les uns des autres.

De nombreuses institutions affirment actuellement leur volonté d’ouverture pour en finir avec un système encore très asilaire et répressif. Il s’agit, avec et grâce à tous les acteurs de l’hôpital, de réduire les soins sans consentement et les temps d’hospitalisations afin d’aller vers un système de santé mentale inclusif et communautaire. Cet écrit retrace mes vingt-deux ans d’expérience en tant que patiente et mes premières années de travailleuse en psychiatrie tout en ayant, comme fil conducteur, de donner du corps à ces ambitions.

Rendre un futur possible

J’ai entendu parler du centre hospitalier Le Vinatier dès mon arrivée à Lyon il y a trente ans, j’avais 8 ans. J’habitais dans un quartier proche de l’hôpital et, dans la cour de récréation, on entendait souvent : « Arrête ou tu finiras au Vinatier. » Mon expérience avec l’hôpital a d’abord été l’impact de ces mots, puisque, comme cela devait être le cas de nombreux enfants du quartier, des images fortes m’étaient venues à l’esprit. Une grande bâtisse, semblable à une prison, et derrière ses murs point d’avenir : destination finale. Ces images étaient accompagnées d’un sentiment de fatalisme et de punition. L’image rassurante de l’hôpital n’apparaissait jamais. Afin de transformer l’institution, il serait donc nécessaire d’aller à l’encontre de ces images et que cela fasse partie intégrante du projet, notamment afin que les personnes concernées osent aller se soigner.

Je suis entrée à l’hôpital à 16 ans, emmenée par une ambulance en plein été, au mois de juillet. Je suis restée aux urgences pendant trois jours suite à une décompensation. J’y suis retournée pendant six semaines, fin août. Ça y est, j’y étais… de longs couloirs, un temps démesurément long, un fumoir entre adolescents où j’allais même en étant non-fumeuse. Face au peu d’activités proposées, traîner plus ou moins ensemble entre patients et avec quelques infirmiers était notre quotidien. Nous : jeunes patients éteints, illuminés ou déterminés à se détruire. Je pense notamment à cette patiente aux intentions suicidaires avec qui je m’étais liée d’une amitié éphémère. La veille de sa sortie, elle me glissa qu’elle avait un plan pour finir ses jours une fois dehors. À l’époque, je m’étais dit qu’elle cachait bien son jeu, entre autres. On la laissait sortir et pas moi. Je ne comprenais pas… Pourquoi l’équipe de soins ne voyait rien ? Je ressentais des sentiments d’injustice et de non-sens. J’avais aussi l’impression que cette jeune fille était plus libre que moi car, en se taisant et en mentant, elle défiait l’autorité. Ces compétences se retournaient contre elle-même, mais elles m’amenaient à la respecter. Je me souviens également de certains infirmiers. Par exemple, après avoir perdu l’usage de mes bras mystérieusement pendant une quinzaine de jours – certainement à cause de mes angoisses ou de traitements trop lourds – une infirmière m’a parlé d’une ancienne patiente qui avait eu des symptômes similaires et qui désormais avait entamé des études de médecine. Son empathie a été une vraie lumière : elle m’a redonné espoir. À l’extrême opposé, un infirmier avait finalement réenclenché cette raideur musculaire en me criant dessus dans un couloir pour que je détende mes bras suite à un retour de permission. Aussi, je ne me souviens pas qu’un médecin ait cherché à m’expliquer ce qui m’arrivait et comment y faire face. Au contraire, il parlait à mes parents de moi et je patientais, docilement. À cet instant, j’éprouvais un sentiment de « chosification ». En réalité, je bouillonnais à l’idée de pouvoir sortir de l’hôpital et de cet état de fatigue intense que je ne comprenais pas. Je retiens donc de mes rapports avec l’équipe soignante le meilleur, mais aussi le pire.

Cette première expérience du système de santé mentale public français s’est prolongée par un parcours d’usagère classique. Au cours des consultations, au sein d’un centre médico-psychologique, je m’épanchais sans avoir un réel accompagnement actif à la gestion de moi-même. Ce suivi a été entrecoupé par d’autres séjours à l’hôpital – conséquence de l’arrêt de mes traitements médicamenteux –, toujours les plus courts possibles, tout l’enjeu pour moi étant de ne pas y retourner. Mes parents, mes amis, puis mon mari ont été un étayage plus que soutenant. L’entourage est une clé non négligeable qu’il est important d’accompagner.

Certains psychiatres, qui n’étaient pas fatalistes, m’avaient laissé libre de mes choix. Cependant, ils restaient sans proposition pour m’accompagner vers mon rétablissement, voire me décourageaient quand je demandais à avoir accès à mes droits – tels que la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) –, ou n’appuyaient pas mes demandes, comme lorsque je souhaitais bénéficier de soins de remédiation cognitive après avoir senti un déclin de mes capacités. Il est vrai que je n’osais pas toujours insister. Dans le doute, ils avaient raison et j’avais tort. Finalement, je passais à autre chose.

En 2011 a eu lieu mon expérience la plus favorable en tant que patiente, fruit du hasard et d’une rencontre. Lors d’un séjour à l’hôpital du Chesnay pour décompensation, une psychiatre m’a orientée vers la consultation d’information de conseils et d’orientation des femmes suivies pour troubles psychiques enceintes, ou avec désir d’enfant (Cico) proposée au sein du centre hospitalier Sainte-Anne. Elle a également changé ma médication afin que je puisse bénéficier d’un traitement compatible avec une grossesse. Depuis le temps que j’en parlais… On me tendait enfin la main vers le futur auquel je ne pouvais pas accéder, ni imaginer qu’il ne fasse pas partie de ma vie : celui d’être mère. Enfin, on m’accompagnait vers cela, médicalement et psychologiquement.

Au niveau médical, ne pas nuire est un bel effort. Être facilitateur pourrait être l’étape suivante. Alors, on ne parlerait plus « d’expériences patient », mais de rencontres, composées d’interactions se déroulant entre un être souffrant, un lieu, un système et des personnes. Ces dernières sont là pour faciliter le chemin de cet être vers un bien-être, son apaisement, sa connaissance et sa réalisation de lui-même afin de l’aider à aller vers des futurs possibles.

Croire aux soins libres pour tous et à la créativité de chacun

J’ai commencé à travailler au Centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive Lyon – CL3R en tant que médiatrice de santé paire en 2017. J’étais alors exaltée de voir que des outils étaient proposés pour aller vers des futurs possibles. Tout au long de mon parcours, aucun professionnel de santé ne m’en avait parlé. Je me questionnais donc : pourquoi si peu de communication ? Au CL3R, les professionnels croyaient aux capacités des personnes qu’elles accompagnaient et étaient là pour faciliter leurs chemins clinique, personnel, fonctionnel et social. Une solidarité existait également entre les professionnels qui travaillaient ensemble pour les patients. Je n’ai jamais senti le poids d’une hiérarchie forte sur l’équipe, mais plutôt une volonté managériale de laisser libre cours à la créativité de chacun. Chercher à cultiver cet esprit dans la psychiatrie de secteur est une belle avancée. Il s’agirait tout d’abord de ne pas nuire, de respecter les droits élémentaires, la dignité des personnes – sans contention ni isolement –, et d’être dans la bientraitance quotidienne. Ainsi, il suffit de croire aux soins libres et de réduire la contrainte aux urgences, en unité fermée, en ambulatoire et à domicile. Comment faire cela ? Peut-être qu’il ne faut pas oublier que le soin passe par la rencontre, l’humain et la transparence. Ici, je pense à ma dernière hospitalisation, en 2020, à laquelle je me suis présentée librement. Malgré cela, j’ai tout de même été hospitalisée sous contrainte, sournoisement. Alors que je n’avais plus tout mon discernement, le médecin nous a convaincus, moi et mon mari, que la contrainte me serait bénéfique. Mon mari a donc signé l’hospitalisation à la demande d’un tiers, avec mon aval. Après douze jours, le juge des libertés a levé la contrainte pour vice de forme. Le médecin, de son côté, voulait me garder, mais j’avais appris à défendre mes droits. Cependant, je garde en mémoire d’autres patients de cette unité qui eux ne pouvaient pas défendre les leurs. Par ailleurs, les outils ne restent que ce qu’ils sont. S’ils ne servent pas une rencontre orientée vers le rétablissement, ils risquent d’être vains. À mon avis, la qualité passe par une conception artisanale du soin, reproductible, mais personnalisée… du soin sur mesure en somme.

Conclusion

Du côté des professionnels, les communautés de pratiques et les supervisions semblent encore sous-développées. La bientraitance des patients est indissociable de la bientraitance des personnes à leur service. Nous sommes tous dotés de droits, de devoirs, de libertés et de vulnérabilités. La bientraitance des patients est aussi liée à la conscientisation des professionnels. Ainsi, le rétablissement est l’affaire de tous. Nous ne pouvons pas faire le rétablissement à la place d’une personne, mais les professionnels avertis peuvent le favoriser.

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