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Des vies en « parcours » : théorie et pratiques

Nicolas Chambon - Sociologue, directeur de publication de la revue Rhizome, Orspere-Samdarra, maître de conférences associé Université Lumière-Lyon 2, CMW

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°87 – Pars, cours, dévie (mai 2024)

Les asiles psychiatriques n’existent plus. On ne soigne pas par l’enfermement et la contrainte, comme on n’assigne plus les individus à une place ou à une catégorie au regard de leur vulnérabilité. Une rupture, une maladie, un accident, un handicap ne peuvent dessiner une destinée. En considérant de plus en plus la dimension environnementale des troubles ou de la précarité, les recherches comme les pratiques professionnelles s’intéressent davantage aux situations et envisagent la possibilité d’agir sur des « parcours » de vie.

Le parcours se présente ainsi aujourd’hui comme un dogme incontournable des politiques publiques de l’action sociale et sanitaire. Ce numéro Rhizome se propose de discuter de cette notion, en questionnant notamment ses répercussions pratiques, aussi bien du côté des professionnels que de celui des personnes concernées.

Agir sur des parcours, la théorie

Cette évolution conceptuelle s’accompagne d’autres principes tels que le rétablissement ou l’inclusion. Le nouvel esprit du soin et de l’action sociale mobilise l’avenir comme un matériau et un horizon pour agir. Dans cette perspective, ce numéro Rhizome nous invite à regarder vers l’avant.

Cette inflexion implique de soutenir les capacités (et non combler les déficits) des personnes. Cette modalité d’intervention devient ainsi la référence. Selon cette perspective, les hôpitaux, les centres de soin, les accueils de jours apportent un soin ou un soutien sans pour autant être la finalité d’un parcours. Ainsi, cette évolution accroît le nombre de professionnels amenés à interagir auprès des personnes les plus vulnérables tout en ayant comme enjeu le fait d’œuvrer dans le même sens.

Les épreuves de la pratique

Cette transformation s’accompagne aussi d’une technicisation accrue du soin ou de l’accompagnement social, avec des modalités critérisées de prises en charge. Des structures spécialisées par pathologie ou par public – telles que les centres experts ou autres centres référents – se développent, induisant une « ramification » des prises en charge. Malheureusement, pour se repérer dans la multitude des dispositifs, cela implique que les personnes directement concernées ainsi que les professionnels aient ou développent des compétences. D’un côté, cette évolution permet d’offrir des propositions plus adaptées aux personnes en souffrance ou en situation d’exclusion. De l’autre, elle confère une place importante aux opérations d’évaluation et de diagnostic qui les inscrivent dans un « parcours » de soin ou social. Il existe alors un risque de concurrence délétère entre publics ou entre professionnels. C’est par exemple le cas lorsque des professionnels soulignent « la chance » qu’auraient certaines personnes sans abri ayant un diagnostic psychiatrique de pouvoir relever du programme « Un chez-soi d’abord » sans même penser à la violence que peut avoir ce type de propos pour les personnes concernées. Lorsqu’une personne n’est pas reconnue comme appartenant à une certaine catégorie qui lui ouvre les droits à une prise en charge – comme celle de mineur non accompagné –, il importe également d’avoir une vigilance particulière aux effets de l’exclusion.

Nous soutenons que le développement de dispositifs spécialisés doit aller de pair avec le renforcement d’une réponse accessible et inconditionnelle correspondant à l’idéal du secteur. Il importe de réaffirmer l’importance d’avoir des lieux de premier accueil, que ce soit les centres médico- psychologiques (CMP) ou les services intégrés d’accueil et d’orientation (Siao). Toute demande doit pouvoir trouver une écoute et une réponse via des lieux où l’on exclut pas.

Une iatrogénie révélée

Enquêter les parcours de vulnérabilisation démontre la dimension traumatogène de l’expérience de l’assujettissement à la domination. Certains exemples semblent évidents – vivre dans une dictature, en contexte de guerre… –, alors que d’autres tendent à le devenir – les violences sexistes, éducatives, économiques, migratoires… Des professionnels de certains secteurs – nous pensons notamment aux personnes qui travaillent au sein des urgences des hôpitaux, du secteur de la demande d’asile, de la protection de l’enfance ou de l’hébergement généraliste – s’épuisent à apporter des réponses tout en ayant parfois la sensation de ne pas pouvoir freiner le cercle vicieux de l’exclusion et de la souffrance. Ces dernières sont parfois iatrogènes pour les personnes bénéficiaires du soutien.

Pour une clinique des transitions

Cette vision des parcours s’accompagne souvent de la production d’un récit « administré », confirmant l’intérêt à un accompagnement clinique à travers lequel les personnes se dévoilent autrement qu’à travers leurs parcours. Notre modernité oblige à des transitions, à faire des choix… Les ruptures ont des conséquences sur la santé mentale, il semble alors important d’étayer les personnes dans l’épreuve du choix, mais aussi de prévenir ce qui pour- rait advenir comme des fractures délétères. Enfin, ce numéro Rhizome nous invite à ne pas être ébloui par la mécanique du par- cours et par ce qui se présenterait comme des réponses magiques. Une information déstabilisante, un rire désajusté, une porte qui claque, d’autres qui s’ouvrent, des sur- prises joyeuses ; c’est aussi ce qui fait la beauté des métiers de la relation. Pour qui jouit d’être inassignable, en utopie, il n’y a pas de chemins interdits.

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