Rhizome : Quels sont les enjeux d’un service diététique en psychiatrie ?
Laurinne Castrien et Nelly Carpentier : Du fait des effets des traitements, de leurs pathologies et de leurs conditions de vie, les patients suivis en psychiatrie présentent fréquemment des problèmes de surpoids et d’obésité. Ces derniers entraînent une dégradation de leur image corporelle, une perte d’estime de soi, une stigmatisation ainsi que l’apparition de complications cardio-métaboliques et cardiovasculaires. Les traitements psychotropes ont pour effet secondaire une diminution de la sensation de satiété avec une appétence exacerbée pour les aliments gras, sucrés et salés ainsi qu’un désintérêt pour les légumes et les fruits. Du fait de cette altération, les patients confondent la faim et l’envie de manger. La tachyphagie1 qu’elles présentent, mais aussi leur mal- être les empêchent de ressentir le plaisir gustatif. En parallèle de la maladie, ils peuvent également souffrir d’isolement social et de sédentarité.
En tant que diététiciennes2, nous sommes quotidiennement confrontées à leur désarroi concernant leur prise de poids et leurs troubles alimentaires « difficilement contrôlables ». Nous leur proposons également en parallèle de la prise en charge diététique, des activités physiques adaptées par le biais de notre association sportive, « Peps ! ».
Rhizome : Quels accompagnements diététiques sont proposés et comment se déroulent-ils ?
Laurinne Castrien et Nelly Carpentier : Les patients peuvent bénéficier d’une prise en charge diététique sous la forme de consultations individuelles, de séances groupales d’éducation thérapeutique ou de psychoéducation, de groupes de parole ou d’ateliers culinaires. Nous adaptons nos prises en charge à la culture alimentaire, parfois à la langue – en faisant appel à des interprètes –, aux moyens financiers, au cadre de vie et au niveau de littératie en santé des personnes. Cela est essentiel afin de répondre à leurs besoins et les aider à modifier, au mieux, leur comportement alimentaire.
Lors des consultations individuelles, dans une dynamique passive, le patient attend des conseils alimentaires individualisés dans l’objectif de perdre du poids ou de modifier son comportement. A contrario, lors des séances d’éducation thérapeutique ou de psychoéducation, le patient est rendu acteur de sa prise en charge. À l’aide de questions ouvertes, d’outils éducatifs ludiques, d’interactions groupales et d’ateliers pratiques, il fait émerger et partage des expériences de sa maladie avec les autres patients.
Les séances d’éducation thérapeutiques abordent le rythme alimentaire (horaires et fréquence des repas), les aliments ultratransformés, la taille des portions, la fréquence de consommation des groupes d’aliments, les sucres et les graisses cachés, la faim et la satiété, la gestion des émotions, l’activité physique (théorique et pratique d’une activité) et, en pratique, lors des ateliers culinaires, le « cuisiné maison ». Ces ateliers ont comme finalité de développer la curiosité alimentaire, des compétences culinaires, de travailler l’autonomie et d’améliorer le comportement alimentaire. Ils se déroulent en plusieurs étapes. Nous proposons et choisissons avec les patients un plat ou un menu tout en gardant les objectifs d’équilibre alimentaire et de plaisir. Ces préparations culinaires doivent être facilement reproductibles. Elles sont plutôt végétariennes afin de convenir à toutes les croyances religieuses ou convictions personnelles, sont peu coûteuses et basées sur des produits de saison. Un potage de courge en entrée, un chili végétarien en plat principal et une salade d’oranges à la cannelle en dessert est un exemple de menu hivernal. Nous achetons les denrées3, cuisinons ensemble, partageons le repas et échangeons sur le déroulé de l’atelier.
Les besoins et les attentes des personnes sont toujours pris en compte dans l’élaboration et le déroule- ment des ateliers. Ces temps sont très appréciés des participants car ils leur permettent de s’exprimer plus librement, de partager leurs coutumes, leurs cultures, d’apprendre – ou de réapprendre – les gestes culinaires du quotidien (tels que couper, éplucher, assaisonner), de (re)prendre confiance en soi et du plaisir à manger. Le partage du vécu et des expériences autour de la maladie psychique – afin de mieux la comprendre, mieux vivre avec, mais aussi éviter les ruptures de traitement, sources de rechutes – est également présent, notamment grâce à l’intervention des patients partenaires, présents au sein de certains programmes d’éducation thérapeutique du patient4.
Notes de bas de page
1 Soit l’ingestion rapide des
2 Au sein de l’hôpital et en ambulatoire (au centre médico-psychologique de leur secteur) sur prescription médicale, suite à des conseils de professionnels de santé des services de soin, mais aussi sur leur demande spontanée (avec accord du médecin psychiatre).
3 Santé publique (2024). Activité physique et sédentarité dans la population en France. Synthèse des données disponibles en 2024.
4 C’est, par exemple, le cas du programme trans- versal « Bien vivre avec son humeur », destiné à des patients