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AESH, quel drôle de métier

Christine FRANCHINO - Accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH)

Année de publication : 2020

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL, Sciences de l'éducation

Télécharger l'article en PDFRhizome n°78 – L’école prend-elle soin ? (novembre 2020)

L’inclusion, quelle belle idée ! L’école de la République l’a inscrit dans ses textes : tous les élèves sans aucune distinction doivent y être accueillis. J’interviens dans ce cadre-là, depuis 4 ans, en tant qu’accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH). Le mot est lâché : il fait peur, aux parents, aux enseignants, à tous. Difficile de résumer mon métier car accompagner c’est aider à faire et parfois aider à être, quelquefois guider, souvent faciliter, féliciter, tout le temps, rassurer, parfois.

Quel drôle de métier. Un savoir-faire et un savoir être tout à la fois : je peux être une observatrice privilégiée, une médiatrice, qui ne doit pas faire écran ni surprotéger les élèves confiés, qui, quelquefois, doit savoir gérer leur attachement, mais surtout les amener à se passer de moi, bref, les faire grandir vers l’autonomie.

Je construis alors mon accompagnement avec écoute, respect et échange au gré de mes observations, remarques et relations avec enseignants et parents. Ma fonction demande du tact car ma posture est une recherche d’équilibre relationnel entre équipe pédagogique, cellule familiale, équipe éducative et les élèves confiés bien sûr.

Je ne suis ni soignante ni pédagogue, mais je fais partie de l’équipe éducative. Accompagner un enfant en situation de handicap, c’est faire le constat de ses besoins pour l’aider à surmonter ses difficultés. C’est donc être disponible, tolérante, patiente, attentive et attentionnée. Réactive et inventive, aussi.

D’un point de vue technique, être AESH, c’est observer, adapter, reformuler, étayer, ajuster, organiser, relancer, fractionner, relayer ; mais aussi, préparer, anticiper, dialoguer, faire des fiches d’observation, des pictogrammes, enregistrer des livres, prendre des notes, écrire sous la dictée… Mais c’est aussi, d’un point de vue humain, observer, encourager, rassurer, soutenir, stimuler, valoriser, féliciter. Je considère que mon travail a une réelle dimension emphatique, celle de vouloir comprendre l’autre, en l’occurrence un enfant qui n’a pas souvent les mots ou le vocabulaire pour le dire, qui ne comprend pas les codes, qui ne sait pas, qui a peur de l’échec, du rejet, de l’abandon.

Parfois, mon quotidien est fait de déceptions par manque de résultats, de réactivité ; par l’impression que rien n’avance. L’échec à l’instant T existe. Viennent alors questionnements et remises en question pour des changements de stratégies. Mais, mon quotidien est fait aussi fait de victoires ; petites ou grandes elles m’enthousiasment toujours.

Être AESH c’est d’abord communiquer. Ma responsabilité se situe dans la force de proposition que je peux avoir, et dans les échanges constructifs avec l’enseignant, responsable lui de la pédagogie. Je n’oublie pas non plus que je peux avoir un rôle d’alerte en cas de difficultés ou de problèmes, de par ma proximité avec l’élève accompagné.

Dans mon métier, il faut conjuguer avec toutes les attentes que ce soient celles des parents, de l’enseignant, de l’élève ou de soi-même.

Être AESH, c’est s’adapter aux différentes difficultés des enfants accompagnés, aux méthodes d’enseignement choisies par la maîtresse, aux discours des orthophonistes, psychomotriciens, psychologues et autre personnel médical qui entourent l’élève, aux espoirs des parents ou à leur méfiance et à ses propres espérances. Tout ceci est loin d’être facile et quantifiable. Cependant, rien ne vaut les petites lumières dans les yeux des enfants lorsqu’ils ont compris, lorsqu’ils sont rassurés et qu’ils osent faire, dire, écrire.

Ma démarche, mon rôle, c’est de donner envie, de permettre l’accès aux apprentissages et aux connaissances, je suis une passeuse de témoin. Cela signifie des doutes et des joies, des questionnements et de la détermination, de l’humilité et de la discrétion, aussi.

Pour conclure, je dirais qu’être AESH, c’est un métier de tolérance qui s’accompagne d’un travail sur soi. Cela requiert d’être convaincu de l’inclusion d’élèves en situation de handicap, cette notion qui fait de la diversité la norme et qui donne à tous les mêmes chances et les mêmes droits. Cela nécessite des capacités d’écoute et d’adaptation ainsi que des compétences relationnelles afin d’avoir une attitude professionnelle d’adulte stable et référent. Cela requiert de l’humilité car bien souvent je ne sais pas, je ne comprends pas et je suis démunie.

Être AESH, c’est accepter l’autre : cet enfant dyslexique qui refuse de lire ; cet autre dysphasique qui parle avec difficulté ; le dyspraxique, qui est encombré dans tous ses gestes ; l’autiste, enfermé dans sa bulle ; celui qui a besoin qu’on pousse son fauteuil ; et tant d’autres en difficulté dans la gestion de leur comportement ou de leurs émotions.

C’est accepter la peur des parents d’avoir un enfant différent, leur déni parfois, leur désarroi et leurs attentes.

C’est partager des projets avec les équipes pédagogiques et composer avec le savoir, le savoir-faire et le savoir-être.

JOURNEES PARTICULIERES…

Il est à l’écart des autres et n’a pas l’air de s’intéresser à ce qui se passe autour. Tout à l’heure, à l’accueil, la maîtresse et sa maman lui ont expliqué ma présence : « C’est Christine, elle est là pour toi, rien que pour toi, pour t’aider. » Depuis, il est comme indifférent, en apparence. En fait, nous sommes l’un comme l’autre en mode observation.

C’est la rentrée dans une classe de maternelle et j’ai été affectée là en tant qu’AESH pour accompagner cet élève de 5 ans. Dans la salle de classe, il y a de l’agitation, quelques pleurs, du brouhaha, des allées et venues, beaucoup d’enfants et beaucoup de parents. Beaucoup trop pour lui. Mon travail va être de l’observer pour l’apprivoiser afin qu’il accepte ma présence à ses côtés et qu’il puisse me demander de l’aide quand il en aura besoin. C’est un moment crucial pour l’avenir de notre relation. Il parle peu et mal. Il n’a pas les mots et ce peu de vocabulaire ne contribue pas une communication facile avec les autres. Alors il s’isole et joue seul. Tiens, il lève la main sur un petit camarade qui voulait la même voiture que lui. J’interviens doucement pour arrêter son geste, je demande à l’autre enfant de s’expliquer… me voilà interprète, intermédiaire entre lui et les autres. J’ai bien compris qu’il y avait trop de bruit et trop de mouvements pour lui. Il va avoir besoin de temps, plus que les autres…

Premiers regroupements autour de la maîtresse, premier refus. Il y en aura beaucoup d’autres. Il ne veut pas venir, il ne peut pas… pas encore. Pendant la plus grande partie de l’année, ce sera un réel effort pour qu’il vienne s’asseoir comme les autres et avec les autres. Pendant toute l’année, armée de patience, je le rassurerai pour qu’il vienne. Pour l’instant, plein d’émotions se bousculent en lui.

Pendant l’année je gagne du terrain, lui aussi : il finira par accepter le groupe et les rituels, pas toujours ni constamment, mais avec la maîtresse, nous considérons que c’est une victoire. Souvent, je le prends à part pour finir une activité, il est plus lent et se fatigue vite. Avec cela aussi je vais devoir composer : savoir détecter le moment où il n’en peut plus. Je fais en sorte de simplifier, avec la maîtresse, je prépare, j’anticipe, j’étaye. Et puis, me voilà supportrice car je le félicite beaucoup et souvent pour ses petites victoires du quotidien ; savoir tenir son crayon, faire un dessin, oser répondre, utiliser le mot juste, savoir une comptine… J’adapte, je bricole des pictogrammes pour qu’il se repère dans le temps, je chante avec lui les jours de la semaine, je manipule devant lui, avec lui, pour lui. Je dois être inventive et rebondir aux moindres progrès. J’observe aussi son comportement relationnel pendant les récréations, j’interviens quand il est rejeté, ou quand il a un geste de violence.

Finalement, la première journée s’est passée et c’est, avec le regard inquiet, que sa maman vient le récupérer. Avec la maîtresse, il va nous falloir la rassurer, elle aussi, d’un mot. J’ai de l’empathie, certes, mais en tant que professionnelle, je dois garder une distance. De toute façon, c’est la maîtresse qui se charge de dire, de prendre les rendez-vous auxquels j’assisterai et où je pourrai intervenir. Les jours et les mois passent, il vient avec envie à l’école, c’est primordial. Je redoute la rentrée après les premières vacances : faudra-t-il tout recommencer ?

Mon quotidien est fait de doutes, de questionnement. Alors, je note tout sur des fiches d’observation qui vont me servir pendant tous nos échanges avec la maîtresse quand nous parlons stratégies, postures et étayages. Parfois, suite à une décision commune, je m’éloigne de lui pour mesurer son degré d’autonomie. Parfois, quand il est trop agité pour le groupe, au contraire, je m’isole avec lui au fond de la classe. Je reformule, je réexplique les consignes, je fais devant lui, je crée des supports, j’écoute, je propose des activités plus adaptées. Mais j’ai toujours en tête que ma présence ne doit pas devenir une béquille indispensable. Mon accompagnement se construit jour après jour, avec des hauts et des bas. Je ne suis pas une soignante, ni une thérapeute, mais je fais partie de son quotidien, je suis là pour dédramatiser les erreurs, valoriser les progrès, réduire les perturbations. Je le guide parfois, je l’encourage souvent et je le félicite toujours. Je dois être attentive à ses besoins et m’adapter continuellement. C’est épuisant, mais enthousiasmant.

C’est le dernier jour d’école, il n’a pas bien compris ce que cela signifie ; pour lui, l’année prochaine c’est drôlement loin. Il parle un peu mieux et arrive quelques fois à exprimer ses émotions. Il a progressé, c’est sûr : il n’a que très rarement des crises, il peut jouer avec les autres, il a moins besoin de moi et demande à faire seul.

C’est le dernier jour d’école et j’ai un petit pincement au cœur. À la rentrée, je ne sais si je serais avec lui. C’est peut-être la fin d’une proximité intense. Je laisse un dossier avec mes remarques, mon savoir-faire.

« Au revoir, Christine ! » Pouf ! Il est parti sans se retourner : « Bravo ! Comme tu as grandi ! »

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