Bien qu’ils soient considérés comme fréquents, les troubles anxieux ne sont que rarement couverts par les enquêtes épidémiologiques en santé, qui lui préfèrent généralement des indicateurs relatifs à la dépression. Cela peut s’expliquer par l’hétérogénéité de cet ensemble de troubles – il inclut en effet le trouble anxieux généralisé (TAG), les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), le trouble panique et diverses phobies – rendant leur détection au moyen de rapides questionnaires génériques conduits par des enquêteurs non cliniciens difficile. Dès lors, sans une enquête d’ampleur dédiée à la santé mentale en population générale, l’épidémiologie psychiatrique se limite à estimer la prévalence d’un « syndrome anxieux » (ensemble de symptômes évocateurs d’un trouble anxieux) ou du principal trouble anxieux (TAG), dont la mesure au moyen de l’outil General anxiety disorder1 – 7 (GAD-7) est relativement bien balisée par la littérature internationale2. En juillet 2021, l’enquête « Épidémiologie et conditions de vie sous le Covid-19 (Epicov) » a été l’opportunité de soumettre ce questionnaire à un échantillon de 85 000 personnes, représentatif de la population âgée de 15 ans ou plus3. Il en résulte des données de cadrage sur la prévalence des troubles anxieux et sur certaines caractéristiques qui y sont associées.
Près de 11 % de la population présente un syndrome anxieux : 14 % des femmes et 8 % des hommes
Plus de une personne sur dix est concernée par un syndrome anxieux en France : 14 % des femmes et 8 % des hommes ; concernant le TAG, celui-ci touche 8 % de la population : 10 % des femmes et 5 % des hommes. Cet écart entre les femmes et les hommes concerne les différents symptômes et niveaux de gravité de l’anxiété4. Il est également visible à tous les âges, particulièrement chez les femmes âgées de 16 à 24 ans qui sont plus de une sur cinq à être concernées par un syndrome anxieux, contre moins de 10 % des hommes des mêmes âges5. En termes de comorbidités psychiatriques, il est notable que les syndromes anxieux et dépressifs sont plus fréquemment retrouvés ensemble chez un même répondant (6 % de la population est concernée par un syndrome anxio-dépressif) qu’ils ne sont détectés séparément (5 % chacun). La corrélation entre les deux scores de dépression et d’anxiété est en effet très importante, plus une personne déclare être gênée par des symptômes anxieux plus la probabilité qu’elle déclare des symptômes dépressifs augmente. Autrement exprimé : 62 % des personnes concernées par un TAG sont également détectées avec un syndrome dépressif (dans 44 % des cas, ce syndrome est sévère). Les autres indicateurs de santé mentale sont également dégradés chez les porteurs d’un TAG : 14 % d’entre eux sont également détectés avec une hyperphagie boulimique (contre 5 % des non-anxieux) et ils sont 16 % à déclarer avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois. Concernant les consommations, 8 % déclarent une consommation d’alcool excessive (contre 5 % des non-anxieux), 24 % sont fumeurs quotidiens contre 17 % des non-anxieux et 34 % déclarent prendre des psychotropes (soit des « médicaments en lien avec des problèmes d’anxiété, de sommeil ou de dépression ») contre 9 % des non-anxieux. En lien avec cette dernière consommation, les porteurs de TAG sont 42 % à avoir consulté un professionnel de santé pour un motif psychologique entre mai 2020 et juillet 2021, contre 11 % des non-anxieux.
Enfin, l’anxiété retentit profondément sur la qualité de vie. L’échelle de Cantril propose aux enquêtés de situer leur vie sur une échelle allant de 0 à 10 (10 représentant « la meilleure vie possible »). Les porteurs d’un TAG sont 71 % à se situer entre 0 et 6 contre 31 % des non-anxieux.
Des troubles socialement marqués
Le niveau de vie et plus globalement les tensions financières des enquêtés sont fortement corrélées à la probabilité de présenter une anxiété potentiellement pathologique. Ainsi, même en tenant compte de l’inégale répartition des âges et des sexes dans les quintiles de niveaux de vie (les femmes et les jeunes sont surreprésentés dans les foyers les plus pauvres), la proportion de femmes affectées d’un TAG passe progressivement de 8 % dans les foyers les plus riches à 13 % chez les moins aisés. Le même gradient social s’observe chez les hommes, la prévalence du TAG passe chez eux de 8 % à 4 % à mesure que le quintile de niveau de vie augmente.
Les modélisations statistiques permettent d’estimer les caractéristiques individuelles corrélées à la probabilité d’être détecté avec un TAG « toutes choses égales par ailleurs ». Outre les fortes corrélations avec les comorbidités psychiatriques évoquées précédemment, les principaux facteurs de risque du TAG sont : un soutien social faible, une situation financière difficile ou critique ainsi qu’une évolution défavorable de celle-ci depuis la crise du Covid. Un niveau de diplôme élevé (Master ou plus) est associé, toute choses égales par ailleurs, au TAG chez les femmes alors que parmi les hommes le niveau d’éducation n’est pas corrélé au trouble. Autre différence de genre, une origine immigrée extra-européenne (soi-même ou un parent) est plutôt un facteur de protection du TAG chez l’homme, mais ne paraît pas jouer chez la femme.
Quel que soit le sexe, une activité physique régulière paraît protectrice vis-à-vis du TAG bien qu’il faille envisager que la causalité soit inverse (le TAG empêchant l’activité physique) ou bilatérale. Un temps d’écran et une fréquence de consultation des réseaux sociaux élevés sont significativement associés à la présence d’un TAG chez les femmes, mais pas chez les hommes.
La prévalence des troubles anxieux, leurs déterminants sociaux importants et leurs lourdes conséquences invitent à mieux suivre en population générale leur répartition et évolution. Ainsi, sans données de référence précrise sanitaire, il n’est pas possible de conclure à une augmentation des troubles anxieux chez les adolescentes et les jeunes femmes en France bien que cela soit très probable au regard des autres indicateurs disponibles et des données internationales6.
Au-delà de ce type de constats, la collecte et l’analyse de données tant quantitatives que qualitatives en routine permettraient de comprendre rapidement les mécanismes sociaux à l’œuvre dans la progression des troubles anxieux chez certaines populations à risque.
Le questionnaire GAD-7
Le GAD-7 est une échelle de détection des troubles anxieux qui cote la fréquence, au cours des quinze derniers jours, d’une gêne en lien avec chacun des sept symptômes du trouble de l’anxiété généralisée : aucune gêne valant 0 et une gêne quotidienne ou presque valant 3, ce qui permet le calcul d’un score allant de 0 à 21. La littérature scientifique propose d’appliquer à ce score un seuil strictement supérieur à 7 pour détecter un syndrome anxieux, c’est-à-dire un potentiel trouble anxieux quel qu’il soit, et celui de strictement supérieur à 9 pour détecter un TAG. Outre cette dichotomisation entre présence et absence de troubles, l’outil permet d’estimer de façon continue la sévérité de l’anxiété ressentie ainsi que son retentissement sur la vie quotidienne7.
Part de la population concernée par un syndrome anxieux ou dépressif, par âge et sexe, en %
Réponses au GAD-7, par sexe8
Notes de bas de page
1 « Trouble anxieux généralisé ».
2 Consulter la présentation publiée au sein de l’article.
3 Soit tous les ménages de France métropolitaine, de Guadeloupe, de La Réunion et de la Martinique, hors prisons et établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
4 Consulter le tableau publié au sein de l’article.
5 Consulter le tableau publié au sein de l’article.
6 Hazo, J.-B. et Boulch, A. (2022). Santé mentale : une amélioration chez les jeunes en juillet 2021 par rapport à 2020, mais des inégalités sociales persistantes. Études et résultats, Drees, 1233, 1-8 ; Hazo, J.-B., Vuagnat, A., Pirard, P. et al. (2024). Hospitalisations pour lésion auto-infligée dans les bases PMSI et RPU nationales : de fortes hausses en 2021-2022 chez les jeunes femmes âgées de 10 à 24 ans. Études et résultats, Drees, 1300, 1-8 ;
Léon, C., du Roscoät, E. et Beck, F. (2024). Prévalence des pensées suicidaires et tentatives de suicide chez les 18-85 ans en France : résultats du Baromètre santé 2021. Bull. Épidémiol. Hebd., 3, 42-56.
7 Spitzer, R. L., Kroenke, K., Williams, J. B. W. et Löwe, B. A. (2006). A Brief Measure for Assessing Generalized Anxiety Disorder: The GAD-7. Arch. Intern. Med., 166(10), 1092–1097.
8 Le total des pourcentages peut différer de 100 en raison des arrondis.