Terre de Milpa est une association qui a créé en 2022 une ferme agroécologique, sociale et écoféministe à Saint-Didier-au-Mont-d’Or1. La ferme cultive et vend des légumes en agriculture biologique avec une équipe de douze salarié·e·s en parcours d’insertion socio-professionnelle et cinq permanent·e·s. L’accès à une alimentation saine, juste et durable pour tou·te·s est un des piliers portés par l’association, en lien avec les agriculteur·rice·s qui nous nourrissent et l’ensemble du monde vivant. Nous essayons de mettre en application notre vision en proposant des paniers bio hebdomadaires et solidaires2 pour les personnes à petit revenu ainsi que des temps réguliers de cuisine et de repas partagés. Dans le cadre de cet article et pour approfondir ce questionnement sur l’accès à une alimentation saine, nous avons mené de courts entretiens auprès des salarié·e·s en insertion, des encadrantes techniques et d’une bénévole de la ferme. Nous nous sommes ainsi posé la question de l’impact de Terre de Milpa sur les habitudes alimentaires de dix membres de l’équipe. Les témoignages recueillis proviennent de personnes d’âges variés (entre 19 et 61 ans) et de cinq nationalités différentes, allant des salarié·e·s en parcours d’insertion jusqu’à la directrice de l’association. Parmi les dix personnes interrogées, huit ont ressenti un impact, même modeste, sur leurs habitudes alimentaires ou le lien à l’alimentation. Pour les deux autres personnes, les légumes faisaient déjà partie de leur alimentation quotidienne ou, au contraire, n’ont jamais été leur tasse de thé. Voici quelques extraits et exemples partagés par les personnes, illustrant les possibles impacts positifs qu’a pu avoir Terre de Milpa sur le lien à l’alimentation.
Un salarié témoigne : « Quand tu ramasses toi-même les légumes, le fait de les cultiver, ça donne plus envie. » Il explique que, depuis qu’il travaille à Terre de Milpa, il consomme plus de légumes qu’avant. Un autre salarié partage : « Je mange plus de légumes et je grignote moins. Je ne cuisine pas beaucoup, mais j’essaie de cuisiner plus ; avant, je ne faisais que des œufs et des tomates. » Ces propos soulèvent l’hypothèse que le contact direct avec les légumes – soit le fait de les semer, les soigner, d’arracher les « mauvaises » herbes, les récolter – permet en quelque sorte de les apprivoiser à nouveaux.
Nombreuses sont les personnes qui, grâce à la ferme, découvrent des légumes qui leur étaient méconnus, soit à travers les abonnements de panier hebdomadaire, soit en participant aux repas partagés3. « Les repas partagés permettent de découvrir d’autres choses ou des choses d’ailleurs », partage une encadrante. Ces moments sont précieux car non seulement ils permettent de créer du lien, mais ils offrent aussi des temps riches en transmission de savoir de façon informelle à travers la pratique4. Parmi d’autres impacts que Terre de Milpa a pu avoir auprès de différentes personnes, nous pouvons pointer le fait de rendre les légumes bio accessibles aux personnes à revenu modeste. « Oui, pour l’accès aux légumes frais et pour le prix ! Parce que sinon j’allais beaucoup au marché, mais c’était plus cher, cela m’a facilité l’accès », nous dit une salariée en partageant également qu’il y avait des légumes qu’elle aimait mais s’octroyait peu, car trop chers. Au-delà de la connaissance du cycle de vie des légumes, pour certain·e·s bénévoles, le fait de connaître le lieu, les personnes qui y travaillent et d’avoir un lien social avec celles et ceux qui font grandir les légumes amène une autre couleur et saveur aux légumes : « Le plaisir de manger quelque chose dont tu sais d’où il vient… c’est un attachement différent parce que je vous connais », nous confie une bénévole. Trois principaux obstacles ont été évoqués : le manque de temps pour cuisiner ; la solitude (citée par plusieurs personnes : « Quand tu es toute seule… c’est pas tant le temps, mais c’est l’envie, et le savoir aussi, c’est l’envie qui manque », témoigne une salariée) ; et la méconnaissance de cuisson de certains légumes. Le résumé des entretiens permet d’avoir une idée de l’impact de Terre de Milpa sur les habitudes alimentaires des personnes impliquées. Elle offre la possibilité aux personnes à revenu plus bas de manger des légumes sans insecticide ni herbicide à un prix accessible. Elle per- met à tous ces membres de (ré)apprivoiser une variété de légumes parfois oubliés, de créer des moments de liens, de partages de connaissances et d’inspiration autour de la cuisine. Elle cherche à donner du sens au rapport que nous entretenons à la nourriture et à la terre. Même si les recettes proposées chaque semaine inspirent, elles ne remplacent pas l’apprentissage par la pratique. Adopter de nouvelles pratiques alimentaires passe par l’observation, la participation active et la répétition. C’est ainsi que des « savoirs autour de l’alimentation » peuvent devenir des habitudes concrètes.
Ainsi, il nous semble que la question de rendre la nourriture saine financièrement accessible aux personnes à revenu modeste est complémentaire de la manière dont les individus peuvent se réapproprier les connaissances autour d’une alimentation vivante et équilibrée. Au-delà de la ferme expérimentale de Terre de Milpa, c’est toute la société qui devrait s’intéresser à ce sujet. Par exemple, la restauration collective au sein de nos institutions, telles que les Ehpad, les hôpitaux, les universités et les écoles aurait un rôle important à jouer. L’impact de l’alimentation sur la santé devrait également, nous semble-t-il, faire l’objet d’une attention particulière des professionnels ; quel temps est accordé aujourd’hui au partage des connaissances sur le rôle de l’alimentation et son lien avec la santé physique et mentale dans les cursus universitaires de nos médecin·e·s et infirmier·e·s ? Enfin, il existe de nombreuses manières à la portée de tout·e·s, de se réapproprier des savoirs autour de l’alimentation, tels que la cuisine sauvage, l’agriculture vivrière, la cuisine de saison, notamment en cuisinant en famille, entre ami·e·s ou dans le cadre d’ateliers collectifs, par exemple. C’est une richesse collective et tout un matrimoine qu’il appartient à chacun·e de (re)découvrir.
Notes de bas de page
1 À quelques kilomètres au nord de Lyon.
2 À un tiers du prix de vente.
3 Au moins une fois par mois, Terre de Milpa organise un repas collectif où salarié·e·s et bénévoles cuisinent ensemble des plats végétariens.
4 Car nous n’apprenons jamais aussi bien qu’en observant et en faisant par nous-mêmes.
Bibliographie
Nous vous invitons à visiter le site internet de la ferme Terre de Milpa.