L’anxiété dans le trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT-C) est à la fois un symptôme provoqué par le trouble lui-même et une comorbidité associée au trouble. Dans ce sens, elle peut également être un trouble à part entière s’étant développé, de façon consécutive ou non, au TSPT-C. Dans cet écrit, nous nous concentrerons uniquement sur l’aspect symptomatologique et comorbide de l’anxiété.
Comment définir un TSPT-C ?
Actuellement le TSPT-C n’est défini que par la CIM-111 et n’est pas encore présent dans le DSM-5. « Le trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT complexe) est un trouble qui peut apparaître après une exposition à un événement ou à une série d’événements de nature extrêmement menaçante ou terrifiante, le plus souvent prolongés ou à des événements répétitifs dont il est difficile ou impossible de s’échapper (par exemple, la torture, l’esclavage, les campagnes de génocide, la violence domestique prolongée, les abus sexuels ou la maltraitance physique sur des enfants)2. » Le TSPT-C est un trouble défini par les mêmes symptômes principaux que ceux d’un TSPT simple auquel s’ajoutent trois domaines, qui ont une sévérité importante dans le TSPT-C. Le premier domaine est celui de la dysrégulation émotionnelle. Cette dernière se traduit soit par le fait de ressentir des émotions ou des sentiments forts et intenses tout en ayant des difficultés à s’autoréguler, soit, à l’inverse, par l’absence d’émotions ou de sentiments dans des situations où il semble nécessaire d’en ressentir. Le deuxième concerne les croyances négatives ou dévalorisantes à propos de soi-même. Celles-ci peuvent se traduire par le fait de croire que l’on n’a pas de valeur, que l’on est en échec ou que l’on est vulnérable et s’accompagnent de fortes émotions ou sentiments de honte, de culpabilité ou de rage. Le troisième est celui des problématiques dans le lien à l’autre et notamment les difficultés à développer une intimité et à se sentir proche.
L’anxiété dans ma pratique actuelle
Dans ma pratique actuelle, hospitalière ou libérale, les personnes souffrant d’un TSPT-C que je rencontre montrent une précarité conséquente, inhérente aux expériences traumatiques vécues. Celle-ci est également en lien avec les impacts psychosociaux des symptômes auxquelles elles sont confrontées. En effet, dans le cas de violences conjugales ou encore de maltraitance infantile, vivre des traumatismes entraîne des conséquences au niveau social, financier, scolaire ou professionnel. Les traumatismes et le système de stress qui en découle impactent l’apprentissage ou encore la capacité à travailler. Les violences économiques, par exemple, peuvent complexifier la possibilité d’avoir un travail, un logement ou de l’argent pour soi. Ainsi, même lorsque les personnes arrivent enfin à sortir des environnements maltraitants, les conséquences de leurs symptômes sont l’isolement, l’incapacité à travailler correctement ou à retourner au travail, la rupture de prise de soin de soi ou l’absence de logement. Ces facteurs créent de la précarité, mais peuvent aussi maintenir les personnes dans des relations abusives, voire rendent possible le fait qu’elles se retrouvent dans de nouvelles relations violentes. En effet, une personne a plus de risque de rencontrer un·e partenaire violent·e si elle n’a connu que cela dans le passé, ou en l’absence de soin. Il s’agit alors d’une double souffrance pour ces personnes qui, souvent, après avoir vécu des années de désespoir, continuent de vivre au quotidien enfermées dans la perception que le bonheur ne sera plus jamais possible. Cette précarité entraîne notamment des symptômes anxieux ou le trouble anxieux comorbide.
Le fait d’avoir vécu un événement traumatique peut amener la personne à se questionner sur différents sujets, tels que son futur – et plus spécifiquement sur la potentialité qu’elle aura de revivre cet événement ou d’autres – ; l’éducation de ses enfants ; l’obtention d’un travail stable, constant, suffisamment intéressant – et non juste pour survivre – ; ou le lien à l’autre – notamment au regard de ce que les autres peuvent penser d’elle, sa possibilité d’avoir des ami·e·s ou de trouver de l’amour. Dans ces conditions, avoir un logement peut également s’avérer complexe, notamment si la personne n’a pas d’argent du fait de l’absence de travail stable.
Quand une personne a vécu des événements horribles et répétés pendant plusieurs jours, mois ou années, alors, à ses yeux, il devient une certitude que ceux-ci vont se reproduire, ou encore que la suite de son existence sera très difficile. Ces ressentis s’accompagnent très régulièrement d’un sentiment de désespoir. Ces croyances dysfonctionnelles sont adaptées à un contexte violent mais deviennent inadaptées au quotidien.
Ainsi, la lutte, la fuite et le figement sont des stratégies que les personnes peuvent mettre en place en réponse à un sentiment d’anxiété vis-à-vis du futur. Celles-ci sont également perceptibles au sein du mécanisme neurobiologique du stress. En cela, nous sommes dans le champ de la survie qui sera donc inadapté aux contextes du quotidien. Un sentiment d’insécurité s’installe alors, renforçant l’anxiété des personnes. Concernant la stratégie d’évitement en lien avec la dysrégulation émotionnelle, nous retrouvons des pratiques addictives permettant de la réguler. La substance psychoactive est alors un outil d’anesthésie émotionnelle. La stratégie d’évitement de certaines situations (telles que le fait d’avoir du lien social et un travail, ou de sortir dans la rue) limite le risque de perpétuer des événements passés similaires. La stratégie de figement va faire entrer la personne dans un état de dissociation ou d’effondrement face à son ressenti ; les pensées seront confuses, floues et le contexte est peu mis en perspective. Les personnes vont donc être dans un immobilisme qui les empêchera de sortir de la situation de précarité. D’une part, dans le cas de lutte, nous rencontrons plutôt des situations traumatiques qui se répètent notamment au regard de conduites de mise en danger. Par exemple, une patiente ayant vécu des violences sexuelles m’a relaté qu’elle sortait le soir tard afin de revoir son ancien agresseur. Celui-ci lui demande, en manipulant des affects, de le rejoindre au milieu de la nuit. Cela doit être envisagé comme une manière, pour elle, d’être en action et une tentative de « contrôler la situation » face à laquelle elle se sentait impuissante. D’autre part, le fait d’avoir vécu de nombreux traumatismes engendre une zone de tolérance de l’émotion plus restreinte. En effet, de mauvaises expériences sont réactivées lorsque les personnes ressentent certaines émotions (telles que la honte, la colère, la tristesse ou la peur). Nous pouvons également pointer une carence dans l’apprentissage de la régulation émotionnelle et, enfin, une augmentation de l’intensité émotionnelle, rétrécissant donc sa supportabilité comme conséquence de l’évitement.
Il est intéressant de noter que l’anxiété et les stratégies mises en place pour soulager celle-ci dans le TSPT-C entretiennent et renforcent les situations de précarité des personnes. C’est pourquoi le travail sur l’anxiété, et plus généralement sur les émotions, dans la prise en charge du TSPT-C est majeur.
Présentation d’un cas sur l’anxiété dans le TSPT-C
Au regard de mon expérience professionnelle, l’anxiété, dans le TSPT-C, est une conséquence d’une trace physiologique d’émotions et de pensées dysfonctionnelles. Lorsque nous investiguons avec mes patient·e·s autour de cette anxiété, nous percevons qu’elle est la résultante d’une activation émotionnelle intense avec des croyances négatives liées à cette émotion ou à la situation déclencheuse. Il peut parfois s’agir de ces deux causes cumulées ou d’une tentative d’évitement de cette dernière. Prenons l’exemple d’une situation rencontrée en entretien. Je pense à une patiente qui avait vécu des violences conjugales ainsi que des violences intrafamiliales et qui semblait avoir un TSPT-C avec des symptômes anxieux présents. Elle avait une estime d’elle-même faible avec une dysrégulation émotionnelle importante. En évoquant une situation où elle s’était sentie anxieuse, nous avons pris conscience qu’avant ce ressenti elle avait eu des pensées critiques envers elle-même : « Tu es nulle, tu aurais dû… » Cette situation et ces pensées l’ont amenée à ressentir de la honte ainsi que de la tristesse au-delà du tolérable pour elle. Elle a cherché à se dissocier de ses émotions car elles réactivaient ses traumatismes et risquaient de provoquer une situation où elle aurait été en crise, avec potentiellement une très forte souffrance. À ce moment-là, l’anxiété est arrivée et a été ressentie pendant plusieurs jours jusqu’à ce que nous puissions évoquer cette situation et la traiter ensemble, en séance. Cela lui a permis de ressentir ses émotions et de lui apporter une perception plus juste.
Quelles possibilités thérapeutiques pour l’anxiété dans le TSPT-C ?
Actuellement, dans ma pratique, qu’elle soit libérale ou hospitalière, j’utilise les mêmes processus psychothérapeutiques afin de permettre aux personnes d’apprendre à vivre avec l’anxiété symptomatologique ou comorbide au TSPT-C. Les étapes principales sont la psychoéducation, l’apprentissage d’outils de régulation émotionnelle et la stabilisation en mettant en place ces outils. Puis, en séance, nous exposons les patient·e·s à l’anxiété ressentie pour leur apporter une réexpérimentation sécurisante du sentiment d’anxiété vécu pendant l’expérience traumatique avec une réponse thérapeutique adaptée. Tout cela permet de réinscrire, de façon mnésique et différente, l’expérience émotionnelle avec des pensées et des comportements associés plus justes pour la personne.
La psychoéducation a un rôle essentiel dans le travail thérapeutique sur l’anxiété, elle permet d’apporter trois éléments fondamentaux à mes yeux. Le premier élément est une régulation autour de ce qu’est l’intérieur, car les patient·e·s psychotraumatisé·e·s anxieux·ses en ont une phobie. L’intérieur c’est le traumatisme, l’anxiété. Ce sont les ruminations, les flashs, les sensations ainsi que les émotions corporelles intenses. Alors expliquer, c’est relancer la curiosité, l’exploration, mais aussi mettre en mots des petits bouts informes ensemble pour en faire une représentation plus assimilable et régulable par le cerveau. Le second élément est l’alliance thérapeutique, car ce sont des personnes qui n’ont pas toujours eu la chance de se sentir comprises, écoutées, prises en considération. Prendre le temps d’évoquer, c’est déjà amener du soin. Le troisième élément est l’auto-observation, aidant la personne à commencer à prendre conscience de certains symptômes. Cela lui permettra d’avancer dans le soin de ces derniers et donc de briser le cercle vicieux existant autour des stratégies qui entretiennent certains facteurs de précarité.
La régulation émotionnelle et l’apprentissage d’outils permettent de faire vivre l’expérience émotionnelle différemment. Dans le cas de l’anxiété dans le TSPT-C, il est fondamental de pouvoir les mettre en place et de mobiliser le·a patient·e pour les utiliser au quotidien. La stabilisation fait partie de l’apprentissage de la régulation émotionnelle et c’est la répétition de ces expériences de possibilité de régulation, mais également de prise de conscience et de compréhension, qui amène à sortir de certains aspects psychosociaux complexes. Enfin, l’exposition aux émotions dans un cadre sécurisé, et notamment à l’anxiété, permet une inscription différente de l’expérience émotionnelle avec la nécessité de changer les perceptions (les pensées). La répétition de ces expériences, avec la contenance du thérapeute et le changement cognitif, développe un lien à l’anxiété qui sera plus tolérable et régulable. Il n’y aura donc plus la nécessité de stratégies dysfonctionnelles aggravant la précarité des personnes ayant un TSPT-C.
Notes de bas de page
1 Mokaddem, Y., Melin, N., Bensadon, M., Dubois, J., et Rey, G. (2020). Traduction française de la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11). Revue d’épidémiologie et de santé publique, 68(1), S38.
2 Mokaddem, Y. et al. (2020).