Le 25 juin 2024, la Haute Autorité de santé (HAS) publiait ses recommandations de bonnes pratiques qui soulignent le besoin de solutions de « répit » lorsque les aidant·e·s rencontrent des difficultés dans la relation au proche. Le répit y est défini comme pouvant
« faire office de sas de respiration, de moment de soulagement, de pause, de soutien dans la situation d’aidance, de relais pour pallier des difficultés, de recours pour faire face à des situations d’épuisement1 ». Les propositions de répit vont des séjours de vacances aux ateliers artistiques en passant par le développement de compétences spécifiques au handicap2. Ainsi, dans les textes officiels, les dispositifs de répit sont pensés à destination des aidants de personnes en situation de handicap ou de proches âgés3, mais pas directement des personnes en souffrance psychique.
Impulser des lieux de répit en alternative à l’hospitalisation
Un dispositif innovant est développé à Marseille depuis 2017 et propose d’accueillir des personnes en situation de crise psychique en hébergement d’une durée de un à trois mois4. Le répit y est ici pensé comme un moyen d’éviter la rupture d’une trajectoire de vie en maintenant possiblement une présence de l’entourage dans la lignée de l’approche Open dialogue5, qui est à la fois une philosophie de soin et une façon d’organiser les services de santé mentale. Cette démarche nécessite de s’adapter aux besoins et attentes des individus et de leurs proches (Need-adapted treatment) et d’inviter le réseau, c’est-à-dire la famille, les amis et les professionnel·le·s de santé, par exemple, à participer à des rencontres collectives à visée dialogique6. Le lieu de répit (LDR) est une déclinaison de Soteria House, un modèle développé en Californie par Loren Mosher, psychiatre étasunien, dans les années 19707. Le modèle Soteria a essaimé et évolué par la suite en donnant des résultats probants en termes de réduction du recours à la médication et d’amélioration de la qualité de vie des personnes8.
Le LDR Marseille propose une alternative à l’hospitalisation en urgence qui enrichit la palette de soins existants en offrant un hébergement extrahospitalier dans un espace non stigmatisant, non médicalisé9 et en lien avec la communauté. Concrètement, le LDR Marseille s’apparente à un immeuble classique de quatre étages dans lequel six à huit personnes sont accueillies dans des espaces privatifs et collectifs. Des professionnel·le·s sont présent·e·s douze heures par jour. Elles·ils animent le lieu et le collectif par la mise en place de temps institués (arrivées, départs, repas, réunions…). Les intervenant·e·s s’assurent de la couverture des besoins de base et de la qualité des interactions, qui doivent notamment permettre l’expression des ressentis, des émotions ou de l’anxiété. La gestion quotidienne est complétée par des temps de rencontre individuels, sous forme d’entretiens de suivi ou thématiques, et collectifs, comme des « conseils de maison » ou des rencontres de réseau au sens large.
Apaiser l’anxiété au cours de la crise psychique
À Lyon, un collectif œuvre depuis 2022 à la création d’un nouveau LDR, La case en +, inspiré de celui de Marseille. Ce collectif, ouvert et diversifié, est composé de personnes concernées par la psychiatrie à titre personnel ou professionnel (soit des usager·ère·s ou anciens usager·ère·s de la psychiatrie, des travailleur·euse·s sociaux, des soignant·e·s ou des pair-aidant·e·s). Les espoirs, craintes et représentations des membres du collectif vis-à-vis du futur dispositif ont été étudiés dans le cadre d’une thèse d’exercice en psychiatrie à partir d’entretiens semi-directifs10. Ces représentations, qui illustrent la suite de cet article, traduisent l’espoir d’un accueil différent de la crise psychique. Elles contrastent avec des expériences souvent stressantes, voire traumatiques, vécues en milieu hospitalier, induisant chez certain·e·s une anxiété anticipatoire importante.
L’ambiance est l’un des ingrédients majeurs de cet espace-temps de répit tel qu’imaginé par le collectif lyonnais. Chaleureuse, elle devrait favoriser le bien-être des personnes accueillies, aider à réduire l’anxiété souvent majeure au cours des épisodes de crise psychique, être « sécurisante », « confortable » et « enveloppante ». Conviviale, elle pourrait faciliter le lien social, l’autosupport et encourager la participation de chacun·e aux tâches du quotidien. Courses, cuisine, ménage : pour celles·eux qui le peuvent, c’est avant tout un répit actif qui est envisagé dans le futur dispositif, valorisant les ressources des personnes, même en situation de crise, loin de la passivité hospitalière parfois dénoncée pour la perte d’autonomie engendrée et pour son caractère infantilisant.
En effet, si ce LDR La case en + est envisagé comme un « sas » qui permettrait le repos et l’apaisement, il est aussi pensé comme un « espace de transition ». Ce lieu offrirait l’espace et le temps nécessaire pour vivre dans les meilleures conditions possibles le moment de transformation, souvent anxiogène, qu’est indéniablement la crise psychique, mais aussi un dispositif vecteur en lui-même d’un « rebond » dans les parcours de vie. Il serait aussi tourné, d’emblée, vers la « préparation à la sortie ». Dans ce but, l’accompagnement serait « humain », « pluridisciplinaire » et « décloisonné ». Il serait ainsi centré sur les besoins et, plus encore, sur les ressources des personnes accueillies, sans pour autant se faire le relais d’attentes et de pressions sociales normatives, identifiées comme des sources d’anxiété et de potentiels sentiments d’échec. Le lieu, lui, devrait être « ouvert » sur l’extérieur et « ancré dans la communauté », luttant ainsi contre l’isolement social des personnes souffrant de troubles psychiques. Dans ce sens, et en réponse au commentaire d’un membre du collectif, il serait même « perméable » : « Pour moi c’est l’idée de ne pas mettre des murs dans cet endroit-là, parce que quand on sort, après les murs sont encore plus hauts. »
Notes de bas de page
1 Haute Autorité de santé. (2024). Le répit des aidants. Recommandations de bonnes pratiques (p. 7).
2 Des informations sont disponibles sur le site de la Fondation France répit.
3 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et liens vers les décrets d’application (J. O. 12 février 2005) ; Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (J. O. 29 décembre 2015) ; Garabige, A. et Trabut, L. (2020). L’aide aux aidants en France : disparités territoriales de l’offre de répit. Gérontologie et Société, 42(162), 161-179.
4 Cinquante-cinq jours en moyenne pour l’année 2022.
5 Olson, M., Seikkula, J. et Ziedonis, D. (2014). The key elements of dialogic practice in open dialogue : Fidelity criteria. The University of Massachusetts Medical School.
6 Bakhtine, M. (2017). Esthétique de la création verbale. Gallimard.
7 Mosher, L. R., Hendrix, V. et Fort, D. C. (2004). Soteria : Through madness to deliverance. L. R., Mosher.
8 Calton, T., Ferriter, M., Huband, N. et Spandler, H. (2008). A Systematic Review of the Soteria Paradigm for the Treatment of People Diagnosed With Schizophrenia. Schizophrenia Bulletin, 34(1), 181192 ; Fabel, P., Wolf, T., Zyber, H., Rubel, J. et Jockers-Scherübl, M. C. (2023). Treatment with Soteria-elements in acute psychiatry – Effectiveness for acutely ill and voluntarily treated patients, Frontiers in Public Health.
9 L’équipe, orientée rétablissement, comprend plusieurs travailleur·se·s pairs et l’accompagnement peut être complété par le suivi d’une équipe mobile.
10 Germain, É. (2024). La case en +. Étude d’un projet de lieu de répit et d’accueil de la crise psychique [thèse de médecine]. Université Claude-Bernard Lyon 1.