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Lutte contre la précarité alimentaire, publics concernés et réponses apportées

Julie Erceau - Directrice déléguée et responsable de projets, Agence nouvelle des solidarités actives
Vigdis Gosset - Directrice déléguée et responsable de projets, Agence nouvelle des solidarités actives

Année de publication : 2025

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°93 – Être bien dans son assiette

La crise du Covid-19 a mis la lumière sur une supposée nouvelle précarité représentée par ces files de personnes de tout âge, isolées ou non, venant récupérer un colis alimentaire nécessaire à leur subsistance. Des profils, désormais plus visibles, de personnes de plus de 60 ans et d’étudiants notamment, sont ressortis et continuent aujourd’hui de remplir les files actives des associations d’aide alimentaire et des services sociaux. Les professionnels du social font le constat que la part des personnes précarisées continue d’augmenter, sans toutefois posséder une vision complète de ces publics qui sont dans le besoin. En parallèle, les plus grandes associations d’aide alimentaire françaises ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises face à leur incapacité financière et logistique à répondre à l’ensemble des personnes se présentant à leur porte, et dont le chiffre est en constante augmentation depuis 2020. L’Observatoire des Restos, dans son étude annuelle1 sur les personnes accueillies, rappelle que les Restos du Cœur accueillent 20 % de personnes supplémentaires par rapport à l’année précédente, et ce, malgré des ressources contraintes les ayant forcés à durcir les critères d’accès et à diminuer la quantité de repas distribués.

Malgré la baisse de l’inflation et du taux de chômage sur les dernières années, force est de constater que l’indice des prix à la consommation est resté haut pour l’alimentation2 et pour l’énergie, celui-ci a augmenté de plus de 50 points sur la même période3, et que le taux de pauvreté n’a également fait qu’augmenter concernant aujourd’hui presque 10 millions de personnes. Les capacités économiques des ménages sont ainsi fortement contraintes et les profils les plus exposés sont représentés parmi les personnes usagères des associations d’aide alimentaire (telles que des familles, des familles monoparentales ou des personnes isolées). Cependant, être en situation de précarité ne signifie pas automatiquement être en situation de précarité alimentaire ni avoir accès à une assistance alimentaire. Les données statistiques nationales sont éparses et parfois peu récentes sur la question. L’étude Inca 34 fait état d’une estimation de plus de 11 % des Français en situation d’insécurité alimentaire en se basant sur des données de 2014, alors que l’Insee estime à moins de 5 millions le nombre de personnes fréquentant l’aide alimentaire5. De récentes études sont plus alarmantes et avancent les chiffres de 16 % de Français déclarant ne pas avoir assez à manger en 20226 et de 32 % des Français étant en situation d’insécurité alimentaire en 20247. Le fort non-recours aux assistances alimentaires est dû à la difficulté d’identifier le public en situation de précarité alimentaire faute de données fiables sur les profils et parcours de vie. À cela s’ajoute l’épreuve que représente le fait de passer la porte de l’aide sociale ou d’une association (faisant émerger un sentiment de gêne ou de honte), mais également la forme prise par les distributions de l’aide alimentaire classique, qui n’offrent pas suffisamment de choix, de qualité et de dignité aux personnes et qui ne répondent pas à l’ensemble de leurs besoins.

Les différentes études sur les profils et besoins des personnes recourant à l’aide alimentaire8 et fréquentant divers dispositifs ont fait ressortir que la quantité, le manque de diversité et de qualité des produits représentaient les retours fréquents des personnes recourantes sur l’aide reçue, malgré une appréciation globale de l’assistance. La satisfaction ressentie vis-à-vis de dispositifs offrant plus de choix aux personnes est automatiquement plus élevée que pour les dispositifs de distribution de denrées ou de repas. Des tentatives de diversifier les produits proposés – notamment la part des fruits et légumes frais disponibles – sont notables depuis plusieurs années. Cela est particulièrement le cas grâce au financement national du fonds « Mieux manger pour tous » qui a permis aux associations têtes de réseau9 de disposer de budget pour acheter directement des denrées répondant à des critères de qualité et de durabilité et, ainsi, limiter le gaspillage des produits issus de la ramasse par les associations. Des dispositifs vont cependant plus loin dans les services et les réflexions sur les manières de répondre aux précarités alimentaires, en offrant aux personnes du choix, mais également la possibilité de développer leur pouvoir d’agir afin de redevenir des citoyens prenant une part active, via leur alimentation, à l’amélioration d’un système alimentaire respectueux de l’environnement et juste envers tous les acteurs de la chaîne alimentaire. La Ville de Paris, en 2024-2025, dans le cadre de son engagement pour une alimentation accessible et durable, soutient plusieurs expérimentations visant à renforcer le pouvoir d’agir des habitant·e·s et leur accès à une alimentation de qualité. L’Agence nouvelle des solidarités actives – avec l’appui d’un comité scientifique – coordonne l’évaluation de ces démarches afin de comprendre, avec les associations qui les mettent en œuvre, comment ces initiatives contribuent à améliorer l’accès à une alimentation de qualité des publics concernés, mais aussi à développer leur pouvoir d’agir.

Dans les 18e et 19e arrondissements de Paris, l’association Toques en Stock10 et le Réseau Cocagne11 se sont associés pour proposer à des habitant·e·s des ateliers cuisine, adossés à la vente de paniers de légumes. Entre novembre 2024 et février 2025, chaque semaine, entre 30 et 40 personnes résidentes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville de Chaufourniers (19e) et de porte de Montmartre (18e) ont pu bénéficier d’un panier de légumes biologiques, en circuit court, pour un tarif selon leurs moyens de 3, 7 ou 15 euros, sur la base du déclaratif. Les produits maraîchers provenaient du jardin de Chennevières dans le Val-de-Marne, soit à quelques kilomètres seulement de Paris et étaient distribués en pied d’immeubles. En parallèle de la distribution de paniers, des animations cuisine-santé étaient proposées aux habitant·e·s volontaires par l’association Toques en stock, composée d’une cheffe cuisinière et de soignantes (soit une infirmière, une médecin et une diététicienne). Entre 5 et 10 personnes par atelier – en majorité des femmes – ont ainsi pu, dans une ambiance conviviale, s’informer sur les gras, les sucres, le sel, le nutriscore ou encore sur le lien entre l’activité physique et l’alimentation. Elles ont également préparé des recettes avec ce que contenait le panier de légumes chaque semaine. Une deuxième initiative, portée par l’association de solidarité étudiante Cop112, a permis à 100 étudiant·e·s résidant dans les 5e, 13e et 14e arrondissements de Paris de bénéficier de 125 euros mensuels pendant quatre mois sous la forme de chèques alimentaires, à dépenser dans des commerces d’alimentation durable. Les premiers résultats de cette expérimentation – encore en cours d’analyse – montrent que selon la situation et le profil des étudiant·e·s, ce soutien financier leur a permis de se passer de l’aide alimentaire ou de limiter leur recours à celle-ci ; d’accéder à une alimentation plus riche en protéines, en achetant davantage de poisson ou de viande ; ou encore d’accéder à des produits biologiques ou locaux. Enfin, deux projets de caisse alimentaire solidaire/ commune sont soutenus par la Ville de Paris dans les 14e et 20e arrondissements. Les enjeux de démocratie alimentaire occupent une place centrale dans ces deux expérimentations qui sont portées par des collectifs d’habitant·e·s.

Dans le 20e arrondissement, une vingtaine d’habitant·e·s se sont ainsi formé·e·s pendant plu- sieurs mois pour mieux comprendre le fonctionnement de notre système alimentaire : ils·elles sont allé·e·s à la rencontre de paysan·ne·s, ont relevé les prix des produits alimentaires dans les commerces de leur quartier et ont participé à des conférences et ateliers13. Ces projets de caisses alimentaires s’apprêtent désormais à expérimenter le principe d’une cotisation-allocation, calculée sur les revenus et les charges de chaque foyer – sur la base du déclaratif. Concrètement, dans le 20e arrondissement, une centaine de foyers cotisera chaque mois un certain montant (le minimum étant fixé à 15 euros) et percevra en échange entre 100 et 300 euros à dépenser pour des achats alimentaires auprès de magasins qui auront été conventionnés. Dans chaque arrondissement, environ dix points de vente ont été retenus sur la base de critères définis par les habitant·e·s. Ces commerces doivent notamment proposer des produits bios, locaux, de saison, favoriser les circuits courts, être facilement accessibles et mettre en œuvre de bonnes conditions de travail pour leurs salarié·e·s.

Notes de bas de page

1 L’Observatoire des Restos. (2024). Personnes accueillies à l’aide alimentaire des Restos du Cœur.

2 En novembre 2024, l’indice des prix à la consommation alimentation est à 131,7. En novembre 2020, il était à 108,4.

3 Insee. (2024). Indices des prix à la consommation par grands secteurs de consommation.

4 Anses. (2017). Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (Inca 3).

5 Insee. (2022). Enquête Aide alimentaire.

6 Credoc. (2023). Consommation et modes de vie. En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités.

7 Fondation Nestlé France. (2024). L’Observatoire des vulnérabilités alimentaires. Partage des enseignements de la 2e édition. Fondation Nestlé France.

8 Telles que les études menées par Action contre la faim.

9 Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des (2024). Liste nationale des associations habilitées à l’aide alimentaire. Solidarités.Gouv.fr.

10 Site internet de Toques en Stock.

11 Site internet du Réseau

12 Site Internet de l’association

13 Ce parcours de formation a été conçu et coordonné par l’anthropologue Bénédicte Bonzi.

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