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Lutter contre l’anxiété

David Nouchi

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°90-91 – Anxiéter (décembre 2024)

Ayant un père avec de gros problèmes psychologiques et une mère avec une lourde pathologie, mon frère jumeau et moi, âgés seulement de 5 jours, avons été retirés du berceau pour être placés en pouponnière dans la région lyonnaise. Après huit mois, nous avons été recueillis par une famille d’accueil dans le Beaujolais. À 8 ans et demi, nous avons été retirés de nouveau, injustement, pour nous rapprocher de nos parents et de la communauté juive à laquelle ils appartiennent. Nous avons grandi en foyer et avons évolué dans une école juive orthodoxe au sein de laquelle nous avons eu du mal à trouver nos marques. Nous avons vécu dans l’angoisse incessante jusqu’à nos 13 ans environ où nous sommes parvenus à changer d’école. Bien que la situation ait évolué par la suite, nous en avons gardé de douloureuses séquelles. L’été de nos 18 ans, nous avons décompensé tous les deux et avons dû prendre un traitement pour gérer l’épisode psychotique. J’ai entamé des études que je ne suis pas parvenu à mener jusqu’au bout du fait de la fatigue causée par les médicaments. À 21 ans, l’été 2023, je me suis retrouvé sans solution de logement et ai été contraint d’aller vivre quelque temps chez mes parents biologiques. Ces derniers ont peu de moyens et vivent avec deux de leurs filles, complètement immergées dans le bain de la religion juive. Après trois mois très compliqués, le dispositif Un chez soi d’abord m’a proposé un logement dans lequel je vis depuis septembre 2023.

L’anxiété

Être anxieux à l’idée de… rien de plus ? Oui, sans doute rien de plus, mais cela suffit pour développer toutes sortes de symptômes : des bouffées de chaleur, la gorge serrée, l’estomac noué, des palpitations… L’anxiété est un état psychologique qui signifie avoir une disposition naturelle à l’inquiétude. L’inquiétude se manifeste dans les situations d’attente. La crainte d’une éventuelle souffrance et l’anxiété se caractérisent par une inquiétude disproportionnée par rapport à la réalité des menaces. En résumé, la réalité d’un événement ou d’une souffrance n’est pas le facteur premier de l’anxiété. Il s’agit en fait d’une prédisposition. Nous sommes plus ou moins prédisposés à l’anxiété, mais certaines personnes développent un véritable trouble anxieux.

Différentes formes d’anxiété

J’ai toujours été anxieux. Qu’il s’agisse du quotidien ou de l’école, je n’ai jamais su lâcher prise. C’est sans doute cela l’anxiété, ne pas trouver de répit pour profiter du présent. Je pensais à l’après, quand j’allais être mal, face à mes parents ou à un examen. À 8 ans et demi, quand j’ai été placé en foyer, j’ai bien cru que je ne reverrais jamais ma famille d’accueil après deux mois et demi sans avoir le droit de leur rendre visite. Cela a développé une première forme d’anxiété chez moi, je l’appellerais « l’anxiété d’abandon », soit la peur éternelle de perdre quelqu’un avant même de m’y être attaché. Par peur de perdre l’être aimé, je me suis ainsi parfois interdit d’aimer. Paradoxalement, j’ai même quitté une fille pour ne pas souffrir d’une rupture.
J’ai l’impression que le potentiel d’anxiété croît à mesure que des traumatismes surviennent. Plus nous avons vécu d’abandons, plus la peur d’être abandonné est douloureuse. L’anxiété empêche véritablement de vivre et d’évoluer.

J’ai également développé une autre forme d’anxiété. Lorsque je suis censé passer un bon moment, je pense déjà à la fin de l’événement et ne peux ainsi profiter dûment de l’instant présent. Nous pouvons élargir le concept et déjà penser à la fin de la vie. C’est bien ce que je fais parfois. Cette forme d’anxiété développe aussi une peur de la mort. Ou peut-être est-ce l’inverse : l’anxiété naît d’une peur de la mort.

En effet, plus jeune, j’étais hypocondriaque. Pour un mal de ventre je me voyais déjà mourir. Si, comme je le conjecture, l’anxiété est liée à un traumatisme, tout s’explique. Lors d’un trauma, le cerveau se prépare à mourir. C’est pour cela qu’il met en place de nouveaux comportements d’adaptation comme l’évitement ou le fait que le corps nous fait revivre les mêmes sensations en permanence. Quelque chose n’est pas passé et la peur de la mort est toujours présente. Ce qui est étonnant avec l’anxiété, c’est que nous pouvons vivre les mêmes symptômes pour deux situations très différentes, comme le fait d’appréhender un examen et un saut à l’élastique. Face à ces situations, nous pouvons présenter des symptômes corporels similaires, tels que des nausées, des maux de ventre, des palpitations, des troubles du sommeil ou encore de la transpiration. Lors d’un examen, nous pouvons nous figer comme lorsque nous faisons face à un animal sauvage. Il s’agit des mêmes mécanismes. Cela m’invite à penser que nous pouvons exprimer la même intensité pour deux situations qui ne sont absolument pas dotées des mêmes enjeux.

Lutter contre l’anxiété

J’ai développé plusieurs moyens de lutter contre l’anxiété.

Le papier comme une épaule

Les ruminations sont des pensées involontaires répondant vainement à une détresse psychologique. En d’autres termes, ce sont des réponses inutiles qui ne font que renforcer l’anxiété face à une situation vécue comme problématique. Pendant longtemps, j’avais l’habitude d’écrire mes angoisses ou les situations qui m’en provoquaient. C’était un bon moyen d’extérioriser les ruminations. Les déposer matériellement sur un papier permet d’avoir un support, comme une épaule amicale sur laquelle s’appuyer, délivrer son fardeau. Cette méthode m’a été relativement efficace, notamment la nuit, mais je dois avouer qu’en commençant à écrire il m’arrivait de ne plus arrêter et je rédigeais des textes sans fin.

L’acceptation des émotions

Accepter ses émotions négatives évite la culpabilité. Le fait de les ressentir ne fait pas de nous des personnes négatives. J’écoute souvent certaines conférences qui traitent de ce sujet1 et cela me redonne du baume au cœur.

S’occuper l’esprit pour ne pas ruminer

Écouter des podcasts est un bon moyen pour chasser l’anxiété, car il suffit parfois de s’occuper l’esprit. Les premières minutes d’écoute sont souvent difficiles, mais peu à peu le sentiment de solitude laisse place à la sérénité. Écouter la radio ou des podcasts me donne le sentiment de n’être pas seul.

L’art et la méditation

Je vais souvent dans la nature. Je pars généralement avec mon appareil photo et je me rends présent à ce qui est. Écouter l’extérieur me permet de me reconcentrer doucement sur mes sensations. Me rendre à des expositions artistiques ou même exercer des pratiques artistiques sont aussi des bons moyens qui me reconnectent à moi-même. Je considère que la création est un bon exutoire et m’occupe l’esprit. C’est aussi une bonne manière de me redonner confiance en moi et de retrouver confiance en la vie.

Respirer

Pratiquer la technique de cohérence cardiaque2 aurait de nombreuses vertus sur la chimie du corps et du cerveau. La baisse de cortisol, qui augmente proportionnellement au stress, est une action favorable sur de nombreux neurotransmetteurs, comme la dopamine et la sérotonine, et prévient l’anxiété et la dépression3.

Discuter

Téléphoner à un ami est un bon moyen de déballer son sac et même d’attraper parfois le filet d’une onde positive, par exemple sur un moment de rire. Il n’est pas facile, quand on est anxieux, d’explorer tout l’éventail de ses émotions, mais avec les autres, ça l’est plus. Lorsque je ne vais pas bien, j’ai tendance à appeler ma famille d’accueil et nous parlons de choses positives. Cela me fait beaucoup de bien et, souvent, me motive.

S’éloigner des réseaux sociaux et de l’actualité

Les médias mettent toujours l’accent sur les mauvaises nouvelles. Il est important de savoir prendre des pauses pour ne pas s’ajouter de charge. J’ai coupé le contact avec les réseaux sociaux pendant plus d’un an. J’avais l’impression d’ajouter le poids du monde sur mes épaules, je consommais beaucoup trop d’informations et le trop-plein nuisait à mon moral.

Soigner son hygiène de vie

Il s’agit ici d’adopter un bon rythme de sommeil et de manger une alimentation saine. Il a été établi que consommer des aliments avec un indice glycémique faible était bon pour le moral. En effet, la courbe d’insuline est plus plate, ce qui diminue la fréquence des coups de fatigue4. À ce sujet, l’ouvrage Faites votre glucose révolution de Jessie Inchauspé donne des méthodes très pratiques pour augmenter son efficacité, éviter les fringales et les coups de fatigue spontanés5. J’ai pratiqué cela pendant quelque temps en accompagnant mon régime de beaucoup de sport, un de mes anciens passe-temps. J’en ai constaté de très bons effets, à noter la diminution des coups de fatigue qui augmentent le stress.
Pratiquer du sport est enfin un moyen très recommandé par les médecins pour réduire le niveau de stress et ainsi diminuer les chances de développer de l’anxiété. La marche est un sport au même titre que la course à pied. Je ne fais plus beaucoup de sport pour être honnête car j’ai eu un accident assez important à l’épaule, mais je sors souvent marcher et cela me fait du bien.

Avoir un travail ou une activité régulière

Je me sens beaucoup mieux depuis que je suis en service civique6. Ne rien faire de ses journées est le meilleur moyen pour développer de l’anxiété. La routine de travail permet de s’ancrer et d’oublier les ruminations. Au-delà de ça, se sentir utile est très bon pour le moral.

Il existe beaucoup de méthodes pour la prévention et des moyens d’action pour lutter face à l’anxiété, il s’agit de trouver la plus efficace. Nous pouvons adopter une bonne hygiène de vie, nous écouter, nous ressourcer régulièrement dans la nature, par exemple, et prendre des moments pour soi. Parfois, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les traitements médicamenteux. Consulter un thérapeute est souvent inévitable. Pour faire face à l’anxiété, il est aussi important d’adopter des routines constantes.

Notes de bas de page

1  Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute spécialisé dans la communication non violente, diffuse ses conférences sur Youtube. Fabrice Midal, philosophe, réalise des entretiens sur la santé mentale qu’il publie sur Youtube.

2  Il s’agit d’inspirer lentement pendant cinq secondes, puis d’expirer pendant cinq secondes en respirant par le ventre.

3  Personnellement, je ne suis pas coutumier de cette technique car j’ai beaucoup de mal à me concentrer sur ma respiration. Ce n’est pas une méthode que je trouve très radicale. Mais tout est relatif puisqu’elle fonctionne sur beaucoup de personnes.

4  Ainsi, il importe de privilégier les sucres lents, les fibres, les aliments issus d’une farine semi-complète, complète ou intégrale, les fruits et les légumes (frais et secs). Les produits transformés, garnis de sucres rapides, sont à éviter.

5  Inchauspé, J. (2022). Faites votre glucose révolution. Robert Laffont.

6  Je suis actuellement en service civique dans l’association « Les Petites Cantines », un restaurant participatif. Des bénévoles viennent cuisiner et manger à prix libre des produits locaux, frais et de saison. L’association a comme but de favoriser les liens entre les personnes du quartier. Plusieurs profils s’y rendent, mais la majorité sont ceux qui se sentent seuls ou isolés.

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