Les conséquences des violences sexuelles sont dramatiques sur le développement de l’enfant (elles peuvent, par exemple, être à l’origine d’une dysrégulation émotionnelle, de l’altération des habiletés sociales, de troubles de l’identité ou des apprentissages) et la santé des victimes1 (des troubles du comportement et des conduites, des addictions, la dépression, mais aussi des pathologies somatiques chroniques en particulier auto-immunes peuvent, par exemple, apparaître).
La pédophilie n’est pas une infraction, mais un trouble psychiatrique caractérisé par une attirance sexuelle pour des mineurs prépubères. Ce diagnostic (et le traitement adapté, conformément aux recommandations en vigueur) peut être porté pour des personnes âgées de plus de 15 ans qui présentent, depuis plus de six mois, des fantasmes, un intérêt ou des comportements sexuels impliquant des enfants prépubères, ayant une différence d’âge d’au moins cinq ans avec la cible de ses attirances sexuelles2. Ainsi, le diagnostic de pédophilie peut être envisagé (dès le stade de fantasme) en l’absence de passage à l’acte (l’agression pédosexuelle qui caractérise l’infraction), bien que ce trouble en majore le risque3.
Les personnes attirées sexuellement par des enfants cherchent souvent l’aide et les soins nécessaires pour éviter le passage à l’acte4. C’est pourquoi, afin de renforcer la protection de l’enfance et la prévention des violences sexuelles sur mineurs, les professionnels des centres ressources pour les intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles (Criavs), réunis au sein de la Fédération française des Criavs (FFCriavs), ont décidé de mettre en place le dispositif Stop, un service téléphonique d’orientation et de prévention avec un numéro d’appel national unique, confidentiel et non surtaxé5.
Écouter pour éviter les passages à l’acte
En s’appuyant sur l’expertise d’autres lignes spécialisées en téléphonie sociale et solidaire pour la protection de l’enfance ou des victimes déjà actives en Europe6, et répondant aux recommandations qui émanent des professionnels et des politiques impliqués dans la prévention des violences sexuelles et la protection de l’enfance7, le principe du projet est simple : proposer une interface opérationnelle et fonctionnelle afin d’éviter tout passage à l’acte. Stop permet d’évaluer et d’orienter les personnes attirées sexuellement par des enfants vers des dispositifs de soins adaptés. En pratique, selon les besoins identifiés et le niveau de souffrance exprimé, l’appelant est directement orienté vers les services d’urgence (notamment en cas de risque suicidaire) ou le réseau de professionnels compétents de son département de résidence pour une confirmation diagnostique et la mise en œuvre des soins adaptés.
La formation, la supervision et l’accompagnement des répondants, soit des professionnels des Criavs, représentent un enjeu majeur. Ces derniers disposent également d’un réseau de professionnels compétents, ainsi que d’une bonne connaissance des dispositifs d’accueil et de soins existants sur leur territoire8.
Au bout du fil
Nous observons, à travers la répétition d’appels d’un même appelant, une difficulté à révéler cette problématique, à cheminer jusqu’à l’échange verbal et, peut-être, la rencontre avec un professionnel. Le plus souvent, le premier appel est interrompu avant la fin du message automatique de présentation de la ligne Stop. C’est en moyenne après le quatrième appel qu’un échange, d’une durée de vingt minutes environ, est possible de vive voix. Concernant le profil des appelants, ils sont, 8 fois sur 10, de sexe masculin et sont âgés de 33 ans en moyenne – avec un écart type de 17 à 89 ans. L’appel est, 7 fois sur 10, justifié par une attirance sexuelle envers des mineurs. Le reste des appels téléphoniques concerne des démarches d’information qui peuvent, par exemple, être formulées par une personne condamnée qui cherche un thérapeute, un patient déjà suivi en ambulatoire par des services de psychiatrie qui doute sur un diagnostic comorbide de trouble paraphilique, un membre de la famille inquiet pour un proche (potentielle victime ou agresseur) qui aurait des comportements inquiétants (tels que des comportements sexuels problématiques pour des enfants de moins de 12 ans, ainsi que des comportements ou des gestes inappropriés) ou un professionnel de santé (mais aussi du champ social ou judiciaire) qui sollicite un avis spécialisé ou cherche des ressources pour adresser un patient vers des soins adaptés. Finalement, plus de la moitié des appelants est orientée vers des soins. Depuis sa création et malgré l’absence de campagnes d’information, l’activité de la ligne d’écoute ne cesse de croître9 avec des pics de fréquentation selon les périodes (en hiver ou lors de périodes de confinement, par exemple) ou lors de la médiatisation de crimes sexuels impliquant des mineurs (faits divers ou jugements médiatisés). Ainsi, en quelques années, le nombre d’appels annuels de Stop est passé de 1 500 à plus de 3 000. Au total, depuis sa mise en place, 12 000 appels ont été recensés.
Évolutions
Afin d’augmenter le rayonnement et de renforcer l’efficacité du dispositif Stop, mais aussi à condition de disposer des moyens nécessaires, ce dernier doit élargir ses populations cibles (telles que les adolescents, les mineurs présentant des comportements sexuels problématiques, les familles incestueuses) et ses supports (via la mise en place, en ligne, d’un chat, d’un programme de psycho-éducation, d’une thérapie cognitivo-comportementale auto-administrée ou de l’intelligence artificielle conversationnelle) comme le suggère la récente audition publique sur les mineurs organisée par la FFCriavs10.
En matière de santé publique et de prévention, après avoir déconstruit les représentations stigmatisantes entravant l’accès aux soins, la communication représente le principal levier pour favoriser et garantir l’utilisation d’un dispositif accessible par la téléphonie et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est tout l’enjeu de chaque opportunité qu’il nous faut saisir pour informer, prévenir et éduquer en proposant des ressources ad hoc à des personnes isolées et en souffrance. Quant à ses effets, ils devraient être évalués sur les plans individuels et collectifs dans toutes leurs dimensions (sociales, sanitaires, judiciaires et financières). En attendant, les professionnels des Criavs poursuivent au quotidien leur travail pour réduire le risque de violences sexuelles sur mineur, mais aussi afin d’apporter du soutien et de l’aide adaptés à celles et ceux qui les sollicitent.
Conclusion
Après un important retard en France au développement de supports d’écoute et d’orientation des personnes attirées sexuellement par des mineurs, nous avons pu déployer en quelques années une solution pragmatique, mais incomplète au regard du besoin de nouveaux supports techniques, en particulier adressés aux mineurs, et de la stratification des réponses, selon les besoins. À travers une riche collaboration internationale, nous développons des standards d’évaluation et de suivi pour garantir la qualité d’un service qui nous paraît essentiel et complémentaire aux stratégies actuelles de protection de l’enfance. À ce jour, depuis la mise en place du dispositif Stop, nous estimons qu’environ 6 000 personnes attirées sexuellement par des mineurs ont été orientées vers des soins. Autant de victimes et de violences évitées ?
Notes de bas de page
1 Hailes, Y. U. et Danese, F. (2019). Long-term outcomes of childhood sexual abuse: an umbrella review. Lancet Psychiatry, 6(10), 830-839.
2 American Psychiatric Association. (2023). DSM-5-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Elsevier Masson (5e éd.).
3 Seto, M. C. (2008). Pedophilia and sexual offending against children (p. VII). American Psychological Association.
4 Uzieblo, K. et De Boeck, (2022). They Need Somebody, and Not Just Anybody: Help-Seeking Behaviour in MinorAttracted Persons. Dans Uzieblo, W. J. Smid et McCartan (eds), Challenges in the Management of People Convicted of a Sexual Offence. Palgrave Macmillan, Cham.
5 Service téléphonique d’orientation et de prévention (Stop). Site internet de la Fédération française des Criavs.
6 Depuis 1992 au Royaume-Uni et 2005 en Allemagne.
7 Notamment les audi-tions publiques de 2018, « Auteurs de violences sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge », et de 2025, « Mineurs auteurs de violences sexuelles ».
8 Depuis vingt ans, les équipes des Criavs ont développé, dans chaque région, un maillage interdisciplinaire de professionnels à partir de leurs missions d’information, de formation, de supervisions cliniques et juridiques, d’articulation santé-justice et de prévention. La charte internationale des lignes d’écoute francophone, ratifiée en France au ministère de la Santé en 2022 par des équipes belges (SéOS et Stop it Now ! Bruxelles), suisses (Dis no), québecoises (Ça suffit) et française (Stop), formalise l’accompagnement des répondants.
9 Bellis, A., Pinède, D., Moulier, V., MartinBertsch, I. et Januel, D. (2024). French national helpline “stop” for minorattracted persons: First findings. L’Encéphale.
10 Taquet, A., Rappaport, C., et al. (2025). Rapport d’orientation et propositions. Audition publique « Parcours des mineurs auteurs de violences sexuelles.
Bibliographie
Le dispositif Stop, service téléphonique d’orientation et de prévention, est un numéro de téléphone national unique, confidentiel et non surtaxé : 806 23 10 63 – dispositifstop.fr
Fontan, F. (2020). Le sous-sol de nos démons [film documentaire]. Comic Strip Production.