Récemment mises au-devant de la scène politique et sociale, les violences sexuelles sont dénoncées depuis de nombreuses années, d’abord par les victimes1 puis par les professionnels2. À la surdité et la cécité collectives et sociétales succède une première étape de prise de conscience3 attirant l’attention, et c’est une priorité, sur les victimes. Mais, protéger et soigner la victime ne suffit pas. Les violences sexuelles nécessitent une approche globale, intégrative et dynamique afin de ne négliger personne : agresseur, victime, famille et professionnels. De par leur fréquence et leurs conséquences sur la santé, les violences sexuelles sont un problème de santé publique universel et l’un des principaux contributeurs à la charge mondiale de morbidité4. Il est aujourd’hui clairement établi que les effets de ces violences contribuent de manière significative à l’émergence et la gravité de l’ensemble des troubles psychiatriques5.
Définitions
Les violences sexuelles sont définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)6 comme : « Tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne. » Elles recouvrent donc un champ extrêmement large, regroupant les viols, les attouchements, les violences sexuelles incestueuses inter- ou intragénérationnelles, les mutilations génitales, les transactions incestueuses, les comportements sexuels problématiques, l’hypersexualisation précoce, le harcèlement verbal, la corruption de mineurs, la prostitution, l’exposition précoce ou inadaptée à la pornographie, l’union forcée…
Violences sexuelles intrafamiliales
C’est dans l’enceinte familiale, propice au silence et au secret, que les violences sexuelles sont les plus fréquentes, mais leur réalisation et leur répétition, jusqu’à leur pérennisation, s’inscrivent dans des dimensions individuelles, relationnelles, communautaires et socioculturelles. L’expérience clinique7 nous permet d’identifier quelques ressorts individuels et relationnels à l’origine des violences sexuelles intrafamiliales sur mineur (tableau 1), soit une demande d’attention, d’affection, de sécurité et de soins de l’enfant à laquelle l’adulte répond par un glissement du sensuel au sexuel8, un syndrome d’accommodation9, la vulnérabilité et une asymétrie de la victime avec l’agresseur… La place des proches (adultes, fratrie) interroge toujours le clinicien sur leur implication dans la relation et les violences (covictime, coauteur, complice…).
Les troubles paraphiliques
Sur le plan psychopathologique, ces violences sexuelles sont sous-tendues le plus souvent par un trouble de la relation, mais peuvent être aussi facilitées par la présence de véritables troubles psychiatriques perturbant la sexualité : les troubles paraphiliques.
Les troubles paraphiliques sont des troubles psychiatriques caractérisés par la présence de fantasmes ou de pratiques déviantes, inhabituelles ou bizarres et susceptibles de perturber les relations à autrui10. Il s’agit d’une impulsion sexuelle persistante (de plus de six mois), puissante et incontrôlable qui implique :
– des objets inanimés (fétichisme, transvestisme), et/ou ;
– de l’humiliation et/ou de la douleur (sadisme, masochisme), et/ou ;
– des enfants ou partenaires non consentants (pédophilie, frotteurisme).
Ces fantasmes, impulsions ou comportements sexuels sont à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération importante du fonctionnement social, professionnel ou relatif à d’autres domaines. Ainsi, un diagnostic de paraphilie peut être affirmé dès le stade de fantasme. Par ailleurs, tous les comportements paraphiliques ne sont pas constitutifs d’une infraction (par exemple, la pratique du sadomasochisme, entre partenaires consentants, capables de consentir).
Enfin, tous les auteurs de violences sexuelles ne souffrent pas de paraphilie. En effet, certains agresseurs sexuels d’enfant (agresseurs pédosexuels) nous confient ne pas avoir d’intérêt sexuel particulier pour des mineurs, mais avoir agi par « opportunité ». Il est de même pour un parent incestueux qui n’éprouvera pas de désir pour tous les enfants, mais seulement pour son ou ses enfants.
En matière de violences sexuelles sur mineur, il convient de bien distinguer la pédophilie, la pédocriminalité et l’inceste. Ces comportements sexuels problématiques relèvent de prises en charge psycho-médico-sociales et judiciaires différentes, indexées à leur degré de gravité.
Ressources
De très nombreux outils d’information, de sensibilisation et de prévention ont été récemment développés et il existe des professionnels aguerris à ces questions au sein des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs). Ces derniers recensent 27 équipes pluridisciplinaires réparties sur l’ensemble du territoire national11 proposant des formations, de la documentation, du soutien et de la supervision, de l’information à destination du grand public et de tous les professionnels. Les Criavs, réunis en une fédération nationale, la FFCRIAVS, proposent aussi l’accès à des ressources documentaires via un réseau national, un bulletin hebdomadaire et la mise à disposition d’un moteur de recherche spécifique : Théséas12. Par ailleurs, la FFCRIAVS a récemment mis en place un numéro d’appel unique pour toutes les personnes attirées sexuellement par des enfants, le Service téléphonique d’orientation et de prévention (STOP). Ce dispositif, qui existe au Royaume-Uni (depuis 1992) et en Allemagne (depuis 2005), est une préconisation de la Commission d’audition publique du 17 juin 201813 et du Sénat14. Élargi progressivement à l’ensemble du territoire, il a reçu le soutien du Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance dans le cadre du Pacte pour l’enfance.
Là où la guérison est incertaine, tant du côté de la victime que du côté de l’agresseur paraphile, la prévention est plus sûre. La prévention des violences sexuelles s’appuie sur des dimensions multiples15 mobilisées au cours du développement psychosexuel et affectif de l’enfant : les compétences psychosociales, la gestion des émotions, les savoirs (sur son corps, la différence des sexes…), le savoir-faire (entrée en relation, recueillir le consentement…) et le savoir-être (ajuster ses interactions, harmoniser ses conduites selon son propre désir et le désir de l’autre…). Informer, prendre (en) soin, éduquer et accompagner relèvent de la responsabilité des adultes et/ou des professionnels ; et, parce qu’une prévention primaire des violences est possible, il s’agit d’agir le plus tôt possible. Car une fois les violences sexuelles agies, leur identification est urgente et nécessaire, d’abord pour qu’elles cessent, puis pour prévenir leur réapparition.
Cependant, le dépistage des violences sexuelles n’est possible qu’à certaines conditions :
– la volonté de les chercher aux moindres signaux d’alerte, qu’il faut connaître (tableau 1) ;
– la capacité de gérer la révélation des faits : connaître parfaitement les procédures administratives et juridiques de signalement, garantir la sécurité physique et psychique de la personne qui révèle des faits, la victime et l’auteur ;
– la possibilité de mobiliser les ressources nécessaires (cf. supra) pour protéger la ou les potentielles victimes et prendre soin de l’ensemble des protagonistes (victimes, agresseurs, familles).
Conclusion
Il nous appartient aujourd’hui de réunir collectivement ces conditions, dans la complémentarité de nos actions et l’interdisciplinarité de nos interventions, sans jamais trahir ni dévoyer nos référentiels professionnels. Pour passer du temps de l’information (« Nous ne savions pas ») à celui de la formation (« Nous savons traiter cette question sur des bases évaluées et validées ») et faire émerger les nouveaux acteurs efficients du changement (« Nous allons réduire l’apparition et le développement des violences à caractère sexuel et sexiste »).
Tableau 1. La dynamique des violences sexuelles intrafamiliales sur mineur | |||||
Victime mineure | Proche(s) | Auteur | |||
Causes | Accessibilité
Passivité Soumission Confiance Loyauté envers les adultes Jeux exploratoires Besoin de réassurance |
Absence (réelle ou symbolique)
Démission Délégation Déplacement |
Troubles de la personnalité (dont aménagements paranoïaque, psychopathique et/ou pervers)
Troubles paraphiliques Distorsions cognitives Domination |
||
Conséquences | Silence
Culpabilité Perte des repères Atteinte narcissique Perte de l’estime de soi Vulnérabilité Identité et orientation sexuelle |
Ambivalence
Culpabilité Silence |
Répétition
Toute puissance Silence |
||
Signaux d’alerte | Rupture brutale de comportement
Agressivité (auto/hétéro) Trouble du sommeil Comportement sexualisé Connaissances sexuelles inadaptées à l’âge Exclusivité de la relation avec un adulte |
Absence d’intérêt pour ses proches (désintérêt ou domination)
Absence d’intervention pour faire cesser un comportement problématique |
Absence de pudeur
Non-respect de l’intimité Jeux tactiles centrés sur sphère génitale Expositions sexuelles répétées et inadaptées (propos, images…) Revendications affectives exclusives envers |
POUR MÉMOIRE ET COMPLÉMENT D’INFORMATION…
L’audition publique du 17 juin 2018, organisée par la Fédération française des centres-ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (FFCRIAVS) propose une mise à jour complète concernant l’évaluation et la prise en charge des auteurs de violences sexuelles.
À LIRE…
Lacambre, M. et Mouchet-Mages, S. (2019). Réflexions et perspectives sur l’audition publique « Auteurs de violences sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge » des 14 et 15 juin 2018. Annales médico-psychologiques, 177 (9), 921-923.
Notes de bas de page
1 Springora, V. (2020). Le consentement (1re éd.). Grasset.
2 Salmona, M. (2013). Le livre noir des violences sexuelles. Dunod.
3 Ronai, E. et Durand, E. (2021). Violences sexuelles. En finir avec l’impunité. Dunod.
4 Mathers, G., Stevens, M. et Mascarenhas, C. (2009). Global health risks. Mortality and burden of disease attributable to selected major risk. World Health Organization.
5 Hailes, H. P., Yu, R., Danese, A. et Fazel, S. (2019). Long-term outcomes of childhood sexual abuse : an umbrella review. Lancet Psychiatry, 6(10), 830-839.
6 Organisation mondiale de la santé (OMS). (2010). Violence against women. Intimate partner and sexual violence against women. OMS.