« La souffrance n’est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la diminution, voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir faire, ressentie comme une atteinte à l’intégrité de soi » (Ricœur, 1990).
Philippe : l’origine de mon engagement en tant que pair-aidant professionnel
Je suis devenu médiateur de santé-pair parce que je vis avec une maladie chronique en lien avec la santé mentale. C’est au sein de groupes d’usagers que j’ai entendu parler, pour la première fois à la fin des années 1980, de rétablissement en santé mentale, bien avant que des professionnels des champs sanitaire et social ne s’approprient le sujet sous la forme de concepts. Depuis plus d’une vingtaine d’années, je me rétablis en participant à des groupes d’usagers. En effet, ce n’est pas à la sortie de l’hôpital, lorsque l’on est « stabilisé », que tout s’arrête. Au contraire, c’est là que mon parcours de rétablissement commence, en reprenant du pouvoir sur la maladie, et qu’un champ de possibles s’offre à moi. Le processus d’identification réciproque à mes pairs et l’espoir qu’ils ont suscité en moi ont largement favorisé mon passage à l’action pour oser intégrer un processus de transformation, à la fois intérieur et extérieur, et ainsi passer du mal être au mieux-être, mais aussi pour pouvoir élaborer un projet de vie, reprendre une place au sein de la cité et faire respecter mes droits. À ce jour, les cinq dimensions du rétablissement définies par Rob Whitley et Robert Drake (Whitley et Drake, 2010) sont la dimension clinique, fonctionnelle, sociale, physique et existentielle.
Je me rétablis dans tous les domaines de ma vie qui sont identifiés, en partie, par ces cinq dimensions :
je connais une rémission de mes symptômes ;
je travaille et je suis autonome ;
je suis en lien avec ma famille, j’ai des amis, une relation affective et une vie sociale satisfaisante. Je m’affirme en tant que citoyen. J’ai une place dans la cité ;
ma santé physique s’est améliorée, je pratique une activité physique ;
ma vie a un sens.
Ces cinq dimensions du rétablissement mettent en lumière une tension entre l’institution, qui est orientée vers la qualité des soins, et les attentes des patients, qui ont pour objectif une meilleure qualité de vie et une plus grande autonomie. Nous verrons que les pairs-aidants professionnels peuvent contribuer à sortir de ce dilemme.
Pour moi, « être » en rétablissement, c’est « re-naître » ou « être à nouveau » et pouvoir vivre avec la maladie, malgré les symptômes, tout en ayant accès à un projet de vie ainsi qu’à une meilleure qualité de vie. Le rétablissement s’entend plus en termes de bien-être que de maladie. Nous parlons de rétablissement physique, mental, social et spirituel.
En 2012, je me suis engagé dans ma première expérimentation des médiateurs de santé-pairs parce que j’avais, moi-même, goûté aux bénéfices de la pair-aidance au sein d’associations d’usagers. C’est grâce à ces groupes que j’ai pu maintenir une « stabilisation » qui m’a permis de reprendre une place dans la cité. Aujourd’hui, j’ai la conviction que si j’avais pu bénéficier d’un accompagnement lors d’une hospitalisation avec un pair, cela m’aurait fait gagner du temps dans mon parcours de rétablissement. Cela aurait, probablement, pu avoir un impact positif sur la diminution du nombre de mes rechutes. Ma motivation consiste à transmettre ce que j’ai reçu de mes pairs, mon engagement à témoigner que le rétablissement est possible. La transformation des pratiques au sein des équipes n’a pas été une motivation initiale, mais une conséquence subtile de mon intégration au sein d’une équipe de soins. Ces partages d’expériences entre pairs m’ont donné accès à un savoir qualifié « d’expérientiel ». C’est une espèce de connaissance intime qui naît en éprouvant la maladie et dont la nature n’appartient qu’aux usagers.
Pratiques et savoir expérientiel : l’exemple d’Antoine
Nous allons décrire le parcours d’Antoine1, rencontré au sein d’un hôpital de jour/unité de soins psychosociaux (USPS) spécialisé en remédiation cognitive avec une philosophie de soins orientés rétablissement. En 2012, j’ai intégré l’équipe pluridisciplinaire de cet hôpital de jour en tant que médiateur de santé-pair.
Antoine a reçu un diagnostic de trouble schizophrénique. En 2015, durant sa première hospitalisation, à l’âge de 22 ans, il est orienté par son médecin vers l’hôpital de jour. Ce sera pour lui l’occasion de faire un bilan cognitif, de créer des liens sociaux auprès d’autres patients et de réfléchir à son projet de vie.
J’ai accompagné Antoine depuis son arrivée à l’unité de soins psychosociaux (USPS) en 2015, jusqu’à son départ, en 2018, lié à un déménagement et à un projet de retour à l’emploi par le biais d’une formation. Antoine consommait du cannabis, ce qui pouvait fragiliser sa stabilisation et favoriser une rechute. Lors d’une réunion d’équipe, il fut convenu que je le rencontrerais lors d’entretiens individuels pour parler de sa consommation et lui transmettre de l’information sur le cannabis. Lors de notre premier entretien, je lui ai demandé s’il connaissait ma fonction. Il avait entendu dire par d’autres patients que j’étais médiateur de santé-pair sans pour autant savoir le définir. Ce fut l’occasion de lui présenter cette nouvelle fonction, mais aussi de lui dévoiler ma problématique addictive, notamment à la nicotine, mais aussi au cannabis. Il fut agréablement surpris par cette proposition d’accompagnement atypique dans un lieu de soins. Immédiatement, cela a fait sens pour lui. Il a rapidement pu se rendre compte de mes connaissances pratiques et intimes sur le sujet. Nous partagions un langage commun spécifique ; une espèce de jargon propre aux consommateurs de cannabis. Nous parlions de la même chose et de la même manière. C’est plus par l’expression orale que par le récit d’expériences qu’un processus d’identification a débuté. Cela a favorisé une relation de confiance qui s’est installée rapidement, mais aussi une expression authentique de la part d’Antoine. J’ai le sentiment que ce processus d’identification permet de gagner du temps pour établir une relation. Dans un premier temps, j’ai demandé à Antoine si sa consommation avait des conséquences négatives sur sa vie et sur son mental. Il s’agissait de l’encourager à mesurer la place que tenait le cannabis dans sa vie. C’est en analysant le déroulement d’une journée ordinaire qu’il a rapidement pu identifier que sa consommation augmentait lorsqu’il jouait sur internet à un jeu en réseau, qu’il avait tendance à jouer davantage durant les week-ends et que la période entre 17 heures et le dîner était difficile pour lui. Plus il jouait, plus il fumait. Antoine n’était pas dépendant, mais il a pu verbaliser les conséquences de sa façon d’agir, notamment l’isolement social, lié au temps passé à jouer ainsi qu’à sa consommation de cannabis. Ces entretiens destinés à orienter vers un changement comportemental s’appuyaient sur la motivation. Les ressorts de l’espoir et de l’identification ont largement contribué à initier le passage à l’action d’Antoine dans son processus de changement. Ce fut aussi l’occasion de lui transmettre de l’information sur le cannabis, qui ne fait pas bon ménage avec un traitement antipsychotique, et la dépendance aux jeux. C’est cette réalité scientifique qui lui a permis de commencer à prendre conscience des conséquences possibles et des risques liés à sa consommation. Ces échanges peuvent se rapprocher d’une forme d’éducation thérapeutique du patient en individuel qui serait déformalisée, avec des particularités liées à l’intervention et aux compétences spécifiques du pair-aidant professionnel. Il n’a jamais été question de le juger ni de le faire culpabiliser, mais de lui permettre de mieux définir ce qui est bon pour lui, pour prendre soin de lui, et d’envisager si cela est compatible avec ses propres désirs. Dans un premier temps, Antoine, qui a toujours été volontaire, a souhaité essayer de ne plus fumer du jour au lendemain. Cela a duré dix jours. Mon expérience m’a montré que les choses ne fonctionnent pas ainsi. Nous avons essayé de comprendre ce qui s’était passé. Antoine s’est rendu compte qu’il n’avait rien préparé et qu’il n’avait pas suffisamment analysé la situation. Il fallait qu’il essaie pour constater la nécessité de se préparer avec des objectifs à atteindre. Fort de mon expérience, je lui ai suggéré d’essayer de moins jouer le soir en semaine et de pratiquer une activité physique. Je lui ai toujours demandé s’il se sentait capable de mettre en pratique ce que je lui suggérais en lui précisant que cela n’était pas une obligation. Il fallait trouver une activité qui allait combler le temps à ne plus jouer. Antoine aime le sport et il avait repris le tennis avec sa sœur et le vélo avec son père. D’autres patients de l’hôpital de jour jouaient au tennis ensemble. Je l’ai orienté vers ce petit groupe où il fut immédiatement intégré. Durant cette période et à sa demande, nous nous voyions au moins une fois par semaine. Nous avions convenu qu’il pouvait demander à me voir en entretien en cas de besoin. De plus, nous échangions fréquemment de manière informelle. Petit à petit, il a réussi à moins jouer sur internet, à moins fumer et à privilégier sa vie sociale. Je sais par expérience qu’entretenir des liens sociaux, notamment par la pratique d’une activité physique vous éloigne des produits.
L’un de mes objectifs professionnels consiste à aider les personnes à prendre ou à reprendre une place dans la cité. Durant les trois ans de son engagement à l’USPS, la création et le renforcement de liens sociaux au sein de l’hôpital de jour, mais également dans la cité furent encouragés et soutenus par la participation d’Antoine à différents groupes. Le groupe « Cultures du cœur » fut le premier que j’ai proposé à l’équipe. Cette association permet d’obtenir des invitations et d’avoir accès à la vie culturelle, d’ouvrir les patients à l’autonomie en dehors des structures de prise en charge. Ce groupe donne la possibilité aux participants de se rendre au théâtre ou à des expositions avec des membres de leur famille, des amis ou des personnes qui fréquentent l’hôpital de jour. La culture nous apparaît comme un médium universel qui facilite les échanges et qui permet de parler de soi ; de ses goûts, de ses émotions et de sa relation à ce que l’on trouve beau. C’est un langage non stigmatisant qui facilite la prise de parole, l’affirmation de soi et les rencontres. La culture et le beau nous rassemblent. Ils nous aident à grandir et à nous ouvrir à soi, vers l’autre et au monde. De plus, la culture est accessible au sein de la cité. Il faut sortir de chez soi pour aller à sa rencontre. Ces invitations procurent surtout ce type d’occasions. Pour Antoine, ce fut également la possibilité de moins jouer sur internet et de renforcer ses liens sociaux. Lorsque nous avons appris dans le groupe « D’art, d’art » que sa grand-mère était artiste peintre, nous lui avons proposé d’organiser une sortie pour la rencontrer et découvrir son œuvre. Il a pris en charge l’organisation de cette sortie qui fut un vrai succès. À la suite de sa participation aux groupes « Sport » et « Inclusion sociale », Antoine s’est inscrit à un club de foot et il a recommencé à jouer au tennis avec sa sœur et des personnes qui fréquentaient l’USPS. Le groupe « Rétab » est un autre groupe dont je fus à l’initiative. Il a pour objectifs de transmettre de l’espoir, de favoriser le passage à l’action pour entrer dans un processus de changements. La participation d’Antoine à ce groupe lui a permis de mieux comprendre ce qu’est le rétablissement et d’entendre des personnes venues de l’extérieur témoigner de leur récit de vie. Ces temps de partage favorisent l’identification et la prise de conscience de leur propre cheminement et de toutes les dimensions du rétablissement. Ces messages, qui sont toujours intenses et puissants, encouragent chacun, par l’espoir qu’ils suscitent, à développer un projet de vie malgré la maladie. Dans une certaine mesure, le groupe « Rétab » présente des similarités avec l’éducation thérapeutique du patient (ETP) pratiquée en groupe. En fait, cette variante de l’ETP se rapproche plus d’une information à la santé et au rétablissement. Nous abordons aussi les addictions, la citoyenneté, le travail, les associations d’usagers, les structures de prise en charge, la vie sociale, les besoins, les désirs. Mais aussi les rêves. Ce groupe offre une réalité de champs de possibles et la certitude que le rétablissement est accessible à tous. Grâce à ce groupe, Antoine a acquis la conviction intime que lui aussi pouvait se rétablir et avoir un projet de vie. Il a favorisé son passage à l’action dans une démarche d’autonomisation et de retour à l’emploi par le biais d’une formation professionnelle. C’est lors d’un séjour thérapeutique organisé par cinq patients avec trois membres de l’équipe que nous avons pu mieux nous découvrir. C’est parce que nous étions à l’extérieur des murs d’un lieu de prise en charge institutionnelle que ce séjour thérapeutique nous a appris à nous connaître et à nous rencontrer. Les uns quittant leur costume de patient et les autres leurs lunettes à visée symptomatique. C’est grâce à cette authenticité que nous avons tous pu dévoiler un peu plus qui nous étions. À notre retour, cela avait changé quelque chose pour tous les participants. Nous nous étions rencontrés en dehors du strict statut des uns et de la fonction des autres. Nous n’étions plus uniquement des « soignants » ou des « soignés », des « sachants » ou des « apprenants », mais des hommes qui se parlent un peu plus et qui s’écoutent un peu mieux sur un axe qui tend vers l’horizontalité.
À présent, Antoine a quitté l’hôpital de jour. Il continue à nous donner de ses nouvelles à une fréquence qui diminue. Il va bien. Antoine se concentre sur son retour à l’emploi par le biais d’une formation qu’il suit. Son passage par l’USPS lui fut bénéfique à plus d’un titre. Cela lui a permis de nouer de nouveaux contacts sociaux, de rompre son isolement. Cela lui a également servi de tremplin pour élaborer et se faire accompagner dans son projet de vie.
Camille : une pratique et une posture professionnelles tierces, issues du savoir profane
Selon mon prisme de personne concernée, à l’instar de Claude Deutsch (2015), « la question n’est pas de savoir si la folie est une maladie ou pas, mais de s’interroger sur la situation des personnes désignées comme folles ». Je soutiens également la thèse selon laquelle « aussi vrai que la folie existe, “le fou” n’existe pas » (Deutsch, 2015). Ma pratique de médiatrice de santé-paire en découle : je soutiens le rétablissement et le pouvoir d’agir de mes pairs, en les accueillant dans leur globalité, en tant que personnes qui ont des aspirations, des valeurs et des sentiments universels. Dans ma pratique, je cherche à développer une écoute profonde, sensorielle et je porte une attention particulière à la communication non verbale, partant du constat expérientiel, vécu, que souvent le problème est plutôt « qu’on ne sait pas qu’on sait ». Au-delà des mots, l’attitude, l’énergie dégagée révèlent quelque chose dépassant la façade de chacun et nous permettent de nous connecter. Cette écoute favorise la rencontre, la reconnaissance du dénominateur commun qui fait de l’autre un pair. Ce dénominateur peut être positif ou négatif, de l’ordre du ressenti, de la pensée, du comportement, des valeurs, de l’aptitude, de la vulnérabilité ou de l’histoire vécue. Travaillant dans une relation de proximité, je le cherche pour favoriser le dialogue et la détente. Par cet échange, alors décontracté, j’essaie de reconnecter la personne à elle-même et/ou à son univers social. Ce soutien ponctuel ne dure qu’un temps, plus ou moins long. Je ne cherche pas à m’établir dans la durée. Je rejoins alors la définition du passeur vu comme allié stratégique qui agit à la fois sur la composante personnelle et structurelle de l’obstacle qui bloque le mieux-être (Le Bossé, 2016).
Pour que cela soit efficient, la démarche doit rester volontaire et non contrainte. Si la personne n’est pas favorable à la rencontre avec le pair-aidant, celle-ci est inopérante. On ne se décrète pas pair de quelqu’un. On le découvre lors de la rencontre. C’est toute la subjectivité de cette approche. Cependant, par le croisement des savoirs profanes, théoriques, pratiques accumulés et le développement d’outils spécifiques qui en découle, la pair-aidance peut se professionnaliser, s’institutionnaliser. La relation de proximité est cultivable, à défaut d’être universelle.
Le médiateur transmet-il l’envie d’agir ? Et comment ? Pour ma part j’ai choisi de favoriser l’éveil, à soi et aux autres ; d’être une médiatrice de la (re)connaissance, pour les personnes concernées et pour les professionnels, en place et en devenir. Je m’investis donc dans la psychoéducation, l’enseignement et la sensibilisation aux pratiques orientées vers le rétablissement.
Pertinence du positionnement du pair-aidant en psychoéducation
La psychoéducation gagne à être animée par des pairs-aidants professionnels et des soignants, en complémentarité et sur un pied d’égalité. L’approche psychoéducative pourrait être définie comme un dispositif proposant au patient et/ou à ses proches de devenir acteur des soins par une meilleure connaissance des troubles l’affectant et des stratégies pour y faire face. L’acquisition de ces savoirs théoriques et expérientiels passe par l’échange avec les thérapeutes animateurs du dispositif, qui est souvent groupal, et le partage entre personnes concernées à l’intérieur du dispositif psychoéducatif. Aller vers la psychoéducation vient nourrir le besoin de comprendre, de rationaliser, de se rassurer, de s’émanciper du stigmate.
En insérant dans les thérapeutes-animateurs une personne ayant traversé la problématique et ayant trouvé sa stratégie d’adaptation, son chemin vers le mieux-être, la citoyenneté et la connaissance de soi – bref, plus avancé sur son parcours de rétablissement –, le chemin entre théorie et pratique est facilité. Les rôles, les cultures, les stratégies et les vocabulaires se complémentent. Les qualités d’écoute également. Ainsi, dans ce cadre mouvant, le métissage entre l’accueil inconditionnel du soignant, les techniques de questionnement, de mise en sens de tout animateur et le partage expérientiel du travailleur pair catalysent l’émulation et l’identification qui permettent à la psychoéducation d’atteindre ses objectifs premiers, soit :
- accepter la maladie ;
- la dépasser (retrouver une distinction entre soi et la pathologie) ;
- connaître ses symptômes, les traitements et les stratégies adaptées pour y faire face et éviter les rechutes ;
- favoriser l’amélioration de l’estime de soi, la déstigmatisation, le dévoilement ;
- favoriser l’alliance thérapeutique en encourageant les patients à s’affirmer en tant que personne à part entière auprès des médecins et autres professionnels ;
- accéder à la pleine citoyenneté ;
- améliorer la compréhension des aidants à la problématique de leur proche concerné (psychoéducation pour les proches aidants) (Koubichkine, 2018).
À partir de ces objectifs et d’une posture facilitatrice, non jugeante, peuvent éclore l’espoir et le pouvoir d’agir. Le pair-aidant amène une détente qui permet à chacun de s’autoriser à aller vers la connaissance et la remise en question. La solitude se rompt, les barrières soignants-soignés diminuent et la singularité de chacun se déploie.
En tant que médiatrice de santé-paire, je cherche à transmettre ce que le temps, les rechutes, les rémissions m’ont appris en réflexivité et en stratégies pratiques pour faire face à des symptômes récurrents. Cette volonté a été également aidée par les savoirs et les outils acquis en formation et sur le terrain avec les psychiatres et les infirmiers du service de réhabilitation psychosociale dans lequel je travaille. Ces différents savoirs, je les utilise dans le but de partager plutôt une façon d’être au monde apaisée, mais pouvant être atypique, pour inspirer les participants à cultiver la leur, à la partager au sein du groupe ainsi que développer leurs astuces personnelles pour « vivre avec ». Dans cette mission qui consiste à favoriser la connaissance de ses troubles et de soi (forces et vulnérabilités), la pair-émulation est de première intention. C’est d’ailleurs ce qui est recherché par le travail groupal : l’émulation collective. Chacun nourrit et se nourrit des échanges, des attitudes de chacun, de ses doutes et de ses victoires. Cela correspond bien à l’horizontalité que recherche dans sa pratique le pair-aidant.
Selon moi, donc, le médiateur de santé-pair est un passeur, un regard différent, un outil incarné. L’incarnation du rétablissement. De ce processus, ce chemin, il acquiert un savoir. Le savoir du voyageur. Celui qui a ressenti ces bouleversements, ces troubles psychiques et leurs conséquences sur la trajectoire globale de vie. Celui qui s’est redressé, qui a dompté, ou du moins fait avec, et a recommencé à agir pour sa vie. Par de petits pas, synonymes de grandes révolutions, il est arrivé au mieux-être. En reconnaissant ses faiblesses, en cicatrisant ses blessures. Il arbore désormais son stigmate comme une arme, un outil, une force nouvelle.
Cette matière première sert au médiateur de santé-pair à pétrir une posture particulière pour atteindre son objectif d’aidant : favoriser le déploiement du pouvoir d’agir du pair aidé afin qu’il se ressaisisse de son intégrité. Cela lui permet également de reconnaître et/ou d’assumer son identité particulière, plutôt que de rentrer dans une case. Par sa posture de tiers, à la fois professionnel au sein d’une équipe et concerné, le médiateur-pair encourage à dépasser les étiquettes, à sortir du cadre établi, de manière sécurisée.
Pour ne pas conclure, lorsque deux pairs se rencontrent, leurs territoires respectifs s’agrandissent. La mutualisation des expériences permet d’enrichir le savoir. Par le vecteur du médiateur-pair, celui-ci passe, et permet à d’autres personnes concernées d’y accéder, ainsi qu’aux autres professionnels d’en reconnaître la valeur et de le relayer.
Formation à la pair-aidance
Former à la pair-aidance des personnes qui ont vécu l’épreuve des troubles psychiques et s’en sont rétablies consiste à les rendre capables d’accompagner d’autres personnes traversant le même type d’épreuve vers leur propre rétablissement (Franck et Cellard, 2020). Être formé à la pair-aidance signifie parvenir à exploiter son savoir expérientiel au bénéfice d’autrui, être en mesure de pratiquer une évaluation psychosociale et une action psychoéducative ainsi qu’être apte à soutenir la construction d’un plan de rétablissement. Pour ce faire, il faut connaître les principes et les outils du rétablissement, les principaux outils thérapeutiques en faveur de la santé mentale, savoir adopter un positionnement empathique, savoir conduire des entretiens individuels et animer des groupes. Une formation à la pair-aidance doit apporter des connaissances théoriques et pratiques sur les troubles psychiques et le rétablissement, les droits des personnes, les outils sur lesquels le pair-aidant peut s’appuyer lorsqu’il intervient (dont la psychoéducation), ainsi que sur les métiers et les acteurs de la santé mentale.
Il existe actuellement en France deux formations diplômantes à la pair-aidance : la licence « Sciences sanitaires et sociales, parcours “Médiateurs de santé-pairs” (MSP) », proposée par l’université Paris 13 en partenariat avec le Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS)2 ; et le diplôme d’université « Pair-aidance en santé mentale », porté par l’université Lyon 1 en partenariat avec le Centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive3.
Notes de bas de page
1 Le nom de cette personne a été modifié afin de respecter son anonymat.
2 http://www.ccomssantementalelillefrance.org
3 https://centre-ressource-rehabilitation.org/du-de-pair-aidance-en-sante-mentale
Bibliographie
Deutsch, C. (2015). Je suis fou, et vous ? Dans C. Hazif-Thomas et C. Hanon (dir.) Profanes, soignants et santé mentale : quelle ingérence ? (p. 31-48). Montrouge : Éditions Doin.
Franck, N. et Cellard, C. (2020). Pair-aidance en santé mentale. Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson.
Koubichkine, A. et Schoendorff, M. (2018) Psychoéducation dans les troubles bipolaires et apparentés. Dans N. Franck (dir.), Traité de réhabilitation psychosociale (p. 506-519). Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
Le Bossé, Y. (2016). Soutenir sans prescrire. Aperçu synoptique de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (DPA-PC). Québec : Ardis.
Ricœur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.
Whitley, R. et Drake, R. (2010). Recovery: a dimensional approach. Psychiatric Services, 61(12), 48-50.