Nous avons demandé à Guy Baillon et Patrick Chaltiel de reproduire tel quel l’argumentaire de la journée de secteur du 15 novembre 2002 sur Souffrance Psychique, Santé Mentale et Psychiatrie. Cet argumentaire a le grand mérite de ne pas oublier tout ce qui a été fait dans le cadre de la psychiatrie de secteur et de pointer les enjeux d’avenir.
« Qui trop embrasse mal étreint » : c’est le proverbe qui pourrait venir à l’esprit devant un tel programme, pour une seule journée de travail.
Des notions aussi complexes que : souffrance psychique, santé mentale, précarité, handicap, violence… nécessiteraient, chacune, plusieurs semaines de travaux pour en définir les contours et les interactions. Aussi, bien sûr, ne saurait-il être question ici d’en épuiser les implications, mais bien plutôt d’inaugurer, au cours de nos échanges, un chantier de refondation de nos pratiques en psychiatrie publique ; une déconstruction (au sens promu par Derrida) qui nous donne des perspectives assez larges et lointaines pour ressourcer notre élan d’utopie, d’idéal, d’objectifs à long terme que nombre de nos « pères fondateurs » se lamentent de ne plus retrouver.
Au fur et à mesure que la réalisation des premiers idéaux (proximité, accessibilité, déstigmatisation, intégration, continuité, contextualité) s’inscrit dans les faits (pour ¼ de la psychiatrie publique française) ou fait l’objet d’un renoncement découragé (partiel ou total, pour les ¾ de nos collègues, malmenés par les pénuries structurelles, conjoncturelles … ou encore, par les rationnements comptables de certaines politiques, désastreuses par leurs visées démagogiques à court terme) apparaît un désenchantement, une carence d’idéal, de rêve, de créativité, comme un « burn-out ».
Il nous faut démentir ces tendances et montrer que la psychiatrie de secteur ne restera pas au milieu du gué, en se reposant passivement sur ses fragiles acquis, mais, au contraire, que nous avons bien saisi la leçon du dernier ½ siècle.
L’humanisme psychiatrique, héritage de la révolution française, témoin précieux de la bonne santé de toute démocratie, ne peut exister que dans la conjonction :
– d’un désir soignant tenace, opiniâtre, combatif, source d’inventivité toujours renouvelée,
– d’un soutien administratif qui refuse de se borner à des régulations tatillonnes ou à des comptabilités castratrices,
– d’un courage politique local, régional, national qui exhorte sans relâche à la tolérance, au refus de l’exclusion, à la citoyenneté pour tous et, en particulier, pour les plus fragiles et les plus démunis.
Nous avons la chance et le privilège, sur notre secteur de Bondy et des Pavillons-Sous-Bois, d’avoir pu bénéficier de cette conjonction et d’avoir ainsi réalisé la moitié du parcours. Fini, chez nous, le « grand enfermement », l’exil asilaire, l’oubli qui conduit à la mort psychique aussi sûrement que le massacre odieux des « misfits » pratiqué par la barbarie nazie.
Pour autant, nous ne sommes aucunement à l’abri d’un recul massif et rapide de ce considérable progrès humain, si, par négligence, nous baissions notre garde en nous contentant de gérer le présent sans penser l’avenir.
Trop de terrains demeurent minés, mouvants, trop de fondations superficielles et incertaines, trop d’architectures ambitieuses menacées, en l’absence d’une véritable politique de santé mentale contextuelle et intégrative.
Nos quatre thèmes en constituent quatre piliers essentiels :
– « La parole des usagers et des familles » : elle doit être reconnue dans sa valeur de vérité, de bon sens, d’intelligence, de compétence, de savoir, que n’excluent ni la maladie, et son cortège de méconnaissances, ni la souffrance et son cortège d’isolement.
– « La juste place d’un soin psychiatrique au sein d’un ensemble plus vaste de Santé Publique qui implique à titre égal : l’habitat, la culture, l’urbanisme, les conditions de vie, l’emploi, la solidarité sociale,…
– La reconnaissance et la compensation (actuellement rudimentaires) des conséquences de souffrances sévères sur la capacité d’autonomie et de relations de ceux qui en ont pâti. La prise en compte par la société tout entière (et non pas seulement par la psychiatrie) de ces nécessités vitales.
– Le positionnement adéquat de la psychiatrie face aux sollicitations auxquelles elle est soumise de régulation de la violence sociale, du fait de son savoir et de ses compétences en matière de violence clinique.
Tout ceci doit nous conduire à poser les bases d’un conseil local de santé, qui, à l’échelle humaine de nos communes, soutienne et renforce dans la durée, les partenariats nécessaires à la réalisation concrète de ces objectifs.