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Le malaise des psychiatres, la déchirure

Jean FURTOS

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°8 – La psychiatrie publique en questions. 1er volet Paroles de psychiatres (Avril 2002)

A partir de ce malaise, les réponses à ces questions varient du tout au tout selon deux axes de réponses.

1er axe, très largement dominant : de la précarisation du secteur à la chronique d’une mort annoncée de la psychiatrie.

Cette analyse s’étaye sur certains éléments :

–          le processus avéré de désertification du secteur : des centaines de postes de praticiens hospitaliers vacants, dont le nombre va croissant, une disparition des infirmiers spécialisés, des budgets en attrition, entraînant une « exclusion du soin » (Alain Pidolle) , sans compter les 35 heures qui vont favoriser un « temps court », du côté de l’urgence, du côté également du renforcement de l’hospitalisation complète, au détriment de l’extra-hospitalier;

–          La fragmentation d’une pratique généraliste du secteur, avec le morcellement des missions et la pression des « néo-urgences sociales » ;

–          La mise à mal du rôle médical, voire « le syndrome de maltraitance à médecins , celle-ci risquant de contaminer les équipes soignantes et les patients. Il convient de rappeler  que la psychiatrie est une discipline médicale de soin et de recherche, acceptant par ailleurs la multi-disciplinarité de la prise en charge de la souffrance psychique (Thierry Bougerol).

La notion de santé mentale, tournée en dérision sous les vocables de « santémentaliâtrie » et de « santémentaliâtre », n’indique t-elle pas, en fait, un attachement au « iatrique », c’est à dire au « médical », lequel ne serait plus le centre du « projet santé mentale », par nature poly-centrique ?

« Dans tous les cas », conclut Pierre Delion : « Nous assistons à la chronique d’une mort annoncée de la psychiatrie, entendue comme discipline médicale assurant les soins aux malades mentaux, tout le temps qu’ils en ont besoin ». Dans cette phrase, chaque mot compte. La mort de la discipline est équivalente à  l’abandon des malades mentaux dans la durée, ce dont témoigne l’allusion à l’extermination des malades mentaux en Allemagne nazie. Ce point doit être manié avec précaution : s’il y a une vigilance à exercer, le recours à cet argument peut aussi recouvrir le conservatisme le plus radical.

Dans ce premier axe de réponses, l’avenir de la psychiatrie est envisagé du côté du cadre de soin en péril. Lorsque l’on est en position de survie, peut-on s’occuper de nouvelles missions ? En tout cas, s’il y a lieu de choisir entre les malades mentaux et les nouveaux besoins « sociaux », le choix est clair : il faut s’occuper en priorité des malades mentaux chroniques. En cette matière, les besoins en hospitalisation l’emportent, et de loin, sur le travail dans la cité.

Deuxième axe : le soin aux personnes précaires et les avancées possibles en ce domaine.

Ce deuxième axe insiste sur le péril des usagers et sur les processus de changement ; minoritaire parmi les textes reçus, il correspond aux questions habituelles de Rhizome.

Bertrand Piret rappelle que « le désir » est soumis à des conditions de possibilité de nature sociale ; l’attention aux facteurs de précarité constitue donc un élément de la clinique, y compris psychanalytique. Il démonte la notion de stigmatisation  des populations ciblées par des offres précises (en l’occurrence, les migrants) : l’objectif n’est-il pas plutôt de « signifier, par cette offre publique, la reconnaissance de leur commune appartenance aux institutions (de soins) de la République ».

Jean-Pierre Vignat, jetant aux orties tous les cadres théoriques de référence passés et actuels, envoie une salve de remarques et de questions extrêmement stimulantes pour le sujet qui nous occupe : « La psychiatrie, de plus en plus interrogée par les problèmes de société, a répondu avec ses outils avant de s’apercevoir qu’il lui faudrait en inventer de nouveaux », « Que connaît-on du processus de socialisation, de création et de développement du lien social ? ». Pour lui, le service public de psychiatrie, assuré par les équipes de secteur, « est en capacité de s’adapter à cette nouvelle donne si certaines conditions sont assumées ».Il serait important d’explorer ces conditions.

Le malaise des psy et la chronique de la mort annoncée du dispositif de psychiatrie publique renvoient à une déchirure, celle de la dualité complémentaire d’une politique de secteur adéquate à ses objectifs : d’une part les aspects thérapeutiques de la maladie mentale (centrés sur la psychose), d’autre part les aspects du travail au plus près des populations – ce que l’on appelait autrefois « l’hygiène mentale – pratiques acceptant des souffrances d’une autre nature (par exemple l’échec scolaire, dont s’occupe depuis longtemps la pédopsychiatrie).

Devant cette dualité déséquilibrée, ou à la recherche d’un nouvel équilibre, Patrick Chaltiel insiste sur la labilité entre vision optimiste et pessimiste. Il choisit un « pessimisme de volonté », à titre de résistance, pour défendre quelques certitudes du métier de psychiatre.

On ne peut soigner qu’en s’identifiant à la souffrance et aux besoins de l’autre. Or ce qui frappe, dans cette dualité déchirée, c’est la tendance forte à s’identifier aux seuls patients psychotiques, avec en corollaire l’absence d’empathie vis à vis des personnes en souffrance psychique. Le texte de Nicole Garret-Gloannec, fort intéressant dans son analyse sociologique, exemplifie cette impossibilité. A travers la distinction radicalisée entre soin individuel et prévention épidémiologique, on retrouve l’argument selon lequel : « le raz de marée des demandes de soins (nouvelles) est à interpréter comme la nécessité d’apporter un soin à la société elle-même ». Ne s’agit-il pas du même type d’argument lancé autour des événements de mai 68 : soigner le fou, c’était « être les chiens de garde de la société », faire de la « flichiatrie » ? Est-il vraiment opportun d’opposer des sujets malades, à traiter dans une relation duelle, et des « populations » de définition épidémiologique, dont il faut, au mieux, « drainer » la souffrance ? Le sujet de l’inconscient et le sujet politique sont-ils à ce point desintriqués ?

Il est certes important de garder un mouvement critique sur la précarisation sociale, de ne pas la cautionner. Dans le même temps, comment faire « avec » la précarisation, de fait croissante, des dispositifs et des modèles de soins ? Comment vivre cette vulnérabilité dans le social et dans l’intime pour pouvoir s’identifier empathiquement aux plus précaires dans un souci les concernant ? Faute de quoi, la psychiatrie a le sentiment de diluer sa pratique dans le social, de « perdre son âme », de faire du « santémentalisme » (Thierry Bougerol).

Philippe Davezies reprend d’une manière éclairante le rapport de la psychiatrie et de la précarité, en envisageant le métier de psychiatre du point de vue de la santé des professionnels.

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