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Tentative de suicide et mort par suicide selon le sexe

Michel DEBOUT
Thierry FAIC
Françoise FACY

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

Lorsque l’on parle aujourd’hui de suicide on évoque deux réalités différentes : les tentatives de suicide (suicidants) et les morts par suicide (suicidés) ; les différences entre ces deux groupes concernent la composition par sexe et par âge de chacun d’entre eux, les modes de passage à l’acte utilisés et enfin l’état psychopathologique des personnes.

Sur le plan épidémiologique la différence principale observée pour les suicidés et les suicidants est liée au sexe: la tentative de suicide est majoritairement féminine et la mort par suicide majoritairement masculine.

Cette réalité s’observe depuis que les statistiques existent sur le fait suicidaire, elle est retrouvée dans la quasi totalité des pays.

A cette différence liée au sexe s’ajoute un effet âge que l’on peut résumer ainsi : la suicidante est jeune, le suicidé est âgé.

(cf. tableau 1 à la fin de l’article)

De 1979 à 1994, il y a 3 suicides masculins pour 1 suicide féminin, avec une moyenne située à 21 pour 100.000 mille habitants en 1989 et 1994.

(cf. tableau 2 à la fin de l’article)

Le mode utilisé pour le passage à l’acte est aussi marqué par d’autres différences : la tentative de suicide est essentiellement liée à une intoxication médicamenteuse volontaire (95 % chez la femme et 90% chez l’homme) ; pour les morts par suicide, les modes varient selon le sexe : chez la femme pendaison, intoxication médicamenteuse et noyade se retrouvent dans des proportions voisines alors que chez l’homme ce sont la pendaison, les armes à feu qui dominent largement.

Peut-on suggérer des explications cliniques et psychosociales pouvant rendre compte de ces différences ?

La tentative de suicide féminine : une protestation silencieuse

L’ingestion médicamenteuse créé un état de sommeil voire de coma plus ou moins prolongé et provoque un retrait, provisoire, dans le silence. Ce retrait témoigne pour le moins du mal-être de la personne et souvent le refus de sa situation tant sur le plan personnel, relationnel que social.

L’effet escompté d’un tel comportement est de faire bouger les lignes d’une vie qui paraît dans l’impasse de façon à provoquer la réaction de l’entourage proche et celle du groupe social à travers l’intervention des médecins, des autres soignants, des associations de soutien. Le suicidant signifie par son geste qu’il cherche une nouvelle place dans sa vie et dans ses relations aux autres.

Cette pratique est particulièrement observée chez les adolescentes au moment de cette crise maturative où beaucoup de questionnements viennent submerger la pensée en fragilisant l’édifice psychique. Mais pourquoi un tel geste reste-t-il très majoritairement féminin, ce qui laisserait suggérer que les garçons, eux, traversent mieux leur adolescence ? En fait ces derniers expriment leurs propres difficultés à travers des comportements qui, s’ils ne sont pas qualifiés de « suicidaires », constituent une prise de risques avec leur santé voire même avec leur vie. Les adolescents en mal-être choisissent plutôt un mode plus bruyant pour exprimer leur détresse à travers des comportements dangereux dans les activités sportives, la conduite d’engins (2 ou 4 roues), des intoxications alcooliques ou toxiques massives, des agressions non pas tournées vers eux-mêmes mais vers les autres. Ainsi on peut émettre l’hypothèse que la différence n’est pas dans le mal-être masculin-féminin mais plutôt dans le mode d’expression qui est choisi pour le dire.

La mort par suicide masculine: la violence à la place des mots

La surmortalité masculine est observée à tous les âges mais avec un différentiel qui est plus marqué à l’adolescence et à l’âge adulte pour se réduire autour de 70 ans, mais retrouver une nouvelle progression après 85 ans.

On explique parfois cette différence de mortalité par le mode retenu pour le passage à l’acte, l’homme choisissant plus volontiers un moyen au risque létal majeur alors que la femme resterait plutôt dans l’intoxication médicamenteuse qui préserve mieux les chances de survie. Il s’agit là d’une analyse insuffisante car les femmes qui meurent (même si elles continuent à utiliser l’intoxication médicamenteuse de façon plus importante que l’homme) utilisent aussi des moyens violents comme la pendaison, la précipitation, la noyade. Ce qui fait la grande différence de notre point de vue c’est l’état psychopathologique que l’on repère dans le groupe féminin et dans le groupe masculin.

Dans une étude1 menée à St Etienne partant des renseignements retrouvés de façon anonymisée dans les dossiers de Sécurité Sociale, les femmes décédées sont toutes en traitement (parfois lourd) psychotrope et leur suicide s’inscrit dans une pathologie repérable et prise en charge. Par contre pour les hommes on retrouve deux groupes différenciés : celui des hommes soignés qui rejoignent en nombre absolu les morts féminines et celui chez qui la mort survient sans qu’il y ait eu de soins ou de médications préalables, ce qui peut expliquer la « surmortalité masculine ».

Il paraît donc légitime d’envisager deux grandes situations suicidaire mortelles :

– celles qui s’inscrivent, chez l’homme comme chez la femme, dans une histoire clinique prise en charge sur une durée plus ou moins longue souvent avec une prédominance dépressive mais où l’on retrouve d’autres pathologies. La mort pose alors la question de la qualité de cette prise en charge et aussi interroge sur la possibilité médicale d’éviter un suicide dans un tel contexte. Le soutien apporté à ces malades ne peut être seulement médical, il doit être aussi familial et social.

– celles essentiellement masculines où le passage à l’acte violent (entraînant parfois d’autres morts dans l’entourage) n’a pas été précédé par une prise en charge même si des signes d’alertes – difficile à repérer dans « l’avant coup » – ont pu être donnés. La question de la relation de l’homme avec sa pathologie, sa souffrance se trouve ainsi posée. Les hommes ont plus de difficultés à se soigner, plus de difficultés que les femmes à se reconnaître en mal-être, dépressifs et donc à consulter psychologues et psychiatres. L’hypothèse est donc d’expliquer cette surmortalité masculine par une résistance de l’homme à se dire malade, résistance inappropriée et inefficace enfermant le sujet dans sa souffrance ; il n’a plus alors comme échappatoire que sa disparition violente dès lors que son désarroi n’a pas pu s’exprimer par la parole.

Notes de bas de page

1 Thèse Mme V. Martorana : « Recherche des antécédents médicaux chez les personnes suicidées (à partir des dossiers de Sécurité Sociale les concernant) – Présentée en 1999 au CHU de ST Etienne.

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