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La prison mineure

Marianne CONSTANZO - Médiatrice de santé, Chargée d’étude Orspere-Samdarra sur la participation des usagers à la gouvernance du Conseil d’Orientation en Santé Mentale de Marseille

Année de publication : 2015

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°56 – Prison, santé mentale et soin (Avril 2015)

J’ai fêté pour mon malheur mes 14 ans en prison. J’ai commencé par la vielle prison familiale de Perpignan ensuite, Toulon, Marseille, Nîmes, Toulouse, Fleury-Mérogis, Fresnes et Rennes. Ma première détention était folklorique dans le 66. Tout d’abord, il n’y avait que deux cellules de six détenues. Les femmes s’accrochaient entre elles, sur les motifs de ma présence avec elles. Elles se battaient, certaines avaient le droit de m’approcher d’autres pas selon leurs critères de sélection.

Les femmes, des braqueuses voleuses, ainsi que les escrocs, m’ont transmis leurs expériences, les criminelles leur assurance et attitudes, toute la panoplie de la parfaite délinquante. Comment s’exprimer devant toute autorité, éviter de répondre aux questions, comment s’enfuir sans courir, etc… ? J’ai appris à prendre de l’assurance, et j’ai appris la violence, je l’ai subie également. Il y a des fois où j’étais paralysée par la peur. J’ai appris par force à la gérer avec entre autres l’isolement car je n’avais ni visites, ni courrier, je vivais avec un sentiment d’injustice qui m’apportait une colère et rage en permanence.

J’étais également une privilégiée, car aux yeux de mon jeune âge, j’avais droit à des denrées alimentaires, à du supplément, les surveillantes évitaient au maximum de me tenir enfermée, j’étais souvent en mouvement. Par l’organisme du G.R.E.T.A, jusqu’en 1987, j’ai passé des tas de diplômes, C.A.P et B.E.P de comptabilité et coiffure, le BAC C, licence et maîtrise de droit et langues étrangères (anglais, italien), beaucoup de sport et culture générale.

J’ai accouché à Fresnes d’une prématurée de sept mois, cela était violent car j’ai accouché dans ma cellule sur mon lit. J’ai été libérée 12 jours après. Comment s’intégrer dans un foyer auprès de « petites-filles » quand vous venez d’avoir un tel parcours, comment changer ses automatismes de survie (Comme s’assoir toujours dos au mur face au monde, ne jamais prendre le même chemin quand on rentre à la maison, etc.)? Comment avoir du discernement affectif ? Comment vivre la relation avec une société qui n’a fait que vous stigmatiser ? Comment se rétablir affectivement quand on se retrouve seul avec que des inconnus quel que soit l’entourage ? Moi je n’ai pas su !!! Cela m’a coûté beaucoup, j’ai commencé à michetonner, puis très vite, j’ai compris ma valeur et me suis mise à travailler, puis à boire quand les méandres de la société m’ont rattrapé.

J’ai eu du mal à m’équilibrer avec la dose de souffrance que je contenais, le rejet de la société et sa complexité m’avaient conduit à prendre la vie comme l’heure. J’allais dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, ce qui même si vous remontez bien ne peut vous amener qu’à des marginalisations à conséquences périlleuses dans la société. J’ai toujours été un bon élément, même dans le revers de la médaille, j’ai toujours donné le meilleur de moi-même.

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