Auteurs : Léa, Igor, Noémie, Jules, Marine, Lorsque le malade écrit ou parle de sa maladie, son premier et véritable objectif est sans aucun doute celui de « neutraliser l’objectivation dont il a été victime : il souhaite se « réhabiliter » à ses propres yeux et aux yeux des autres, il souhaite reconquérir la maîtrise de sa vie »1.
De fait, le travail d’élaboration de la maladie par le sujet malade peut être un élément essentiel d’activation du soin. C’est dans cette perspective que s’est mis en place un groupe de narration de la maladie avec la participation de douze patients d’un hôpital de jour pour adultes2. Ce groupe a fonctionné durant une année3, dans un lieu neutre de l’hôpital et en collaboration avec les professionnels de l’Unité4.
Quelques extraits montrent les effets identitaires produits
- par l’engagement des patients et leur implication en tant qu’acteurs dans le dispositif de la narration d’une part,
- par le travail de négociation du cadre (passage de la situation du soin à un cadre de recherche) et des objectifs même de la recherche d’autre part.
« Mental, ça veut pas dire qu’on a perdu les pédales ? »
Le terme de malade mental est explicitement contesté par Igor
Chercheur : qu’est-ce que vous proposez à la place ?
Clément : dérangé
Pauline : non un problème psychologique
Eléonore : la dépression
Rose : c’est plus la dépression que la maladie mentale
Pauline : c’est comme une dépression
Igor : je parlerai de souffrance, de souffrance psychique, ça correspond à souffrance psychique
Pauline : mal-être
Rose : mais y’ a quand même la maladie, parce que quand y’a hôpital, c’est plus que souffrance
Pauline : puis ça peut être physique aussi
Rose : ça nécessite pas forcément une prise en charge à l’hôpital, la maladie psychique
Igor : c’est pas très heureux maladie mentale
Eléonore : ben y’a une connotation un peu (inaudible) à mentale, autrement c’est le terme hein, c’est vraiment ça, c’est bien mentale
Eléonore : c’est mentale qui gêne
Noémie : c’est les deux ensemble, c’est maladie et mentale
Igor : maladie, mal-être euh
Pauline : mentale, ça veut pas dire, que, qu’on a perdu les pédales ?
Suzanne : ben si hein,
Pauline : ça dépend, pour certains si
Suzanne : disons que dans la maladie mentale, y’en a peut-être qui les ont perdu, ou qui les ont pas perdu
Suzanne : alors qu’on ne voit que le coté où on a perdu les pédales
Rose : maladie psychique, moi je trouve que c’est bien, maladie psychique
Igor : oui, maladie psychique
Rose : psychique, ça a moins de connotation, psychique ça fait moins connotation hôpital psychiatrique que maladie mentale, mais en fait ça revient un peu au même hein, puis mois je trouve que c’est pareil psychique et physique, , enfin que les maladies physiques retentissent sur le psychisme, et les maladies psychiques retentissent sur le physique
Igor : le somatique
Rose : oui les maladies somatiques
Suzanne : on cherche où c’est, la maladie
Clément : On recherche ….
« On est des sujets »
….Clément : on est des sujets hein, à partir du moment où on est des sujets, on se suggère…gérer c’est le contraire de subir… »
Pauline : il y a la suggestion et la subjectivité…»
« On est des témoins »
La conversion du cadre et donc du contexte de l’énonciation donne à la parole une « force », un « poids », une valeur de « parole pleine ».
Agathe : «ce sont des adultes qui parlent avec des mots d’adulte, avec une dignité d’adulte…je suis surprise de ce changement…on est les mêmes, mais on se voit différemment, on ne s’exprime pas de la même façon…je parle de moi comme malade et en même temps je sors de ce regard,
Pauline : celui ou celle qui arrive le matin à l’hôpital de jour en traînant des pieds …je n’ai pas dormi…je suis angoissé…je me sens mal…j’ai envie de repartir…c’est celui-ci ou celle-là même qui adopte un autre langage…pourquoi ?
Agathe : parce qu’il se sent responsable et acquiert ici une identité…parce qu’il sait que ses paroles auront une importance, lui l’incompris
…
Suzanne : Nous sommes auteurs, témoins de ce qui nous est arrivé , nous avons été pris en tant qu’individus et non comme patients, c’est le témoin qui est là avant le patient…le patient est effacé par le témoin…c’est parce qu’on était dans un autre cadre que celui du soin »
Igor : il y a plus de paroles poussées dans le témoignage
Suzanne : nos témoignages ici ont un but constructif…C’est à dire, on est pris comme force de proposition par rapport au soin…»
….
Agathe : y’a pas la dépression, mais plein de dépressions avec des ramifications et des chemins, s’ils se trompent de chemin, les psychiatres, ils risquent de rater le malade. Ce chemin ils le trouvent parce qu’on l’indique hein
….
Ainsi l’idée de la recherche, négociée dans et par l’avancée du récit, a suivi le fil d’une fonction implicite et consensuelle : celle d’éviter de rester assigné à une place exclusive de malade mental (en tant que catégorie stigmatisée), de patient (d’un service psychiatrique) ; et dans le cours des investigations, de pouvoir en chercher, en essayer une autre, pas forcément substitutive d’ailleurs, par la mise à l’épreuve de nouvelles compréhensions et d’autres positions vis à vis de la maladie.
Notes de bas de page
1 M. Plaza , Ecriture et folie, Puf, 1986
2 Ce groupe de recherche s’inscrit dans le contexte d’une recherche-action qui fait l’objet d’une convention entre l’hôpital du Vinatier, (le Conseil Scientifique de la Recherche, l’ARP-UCPB, l’Université Lyon 2 et le CNRS-ICAR, UMR 5191, ENS-LSH. Cf rapport de la recherche 2002
3 Sous la responsabilité scientifique de C. Durif-Bruckert, Institut de psychologie, GERA (Département de psychologie) , CNRS-ICAR, ENS/LSH, Université Lyon 2
4 Gabriel Buffard, psychologue, A. Nicolas, Médecin assistant, C. Vigouroux et F. Weber, infirmières.