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Quitter la chimie nécessite un changement dans la pensée

Bertrand RIFF - Médecin généraliste, Lille

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES MEDICALES, Médecine, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°22 – La médecine générale à corps et à cris (Mars 2006)

La médecine générale c’est quoi ?

On me dit souvent, « vous n’êtes que généraliste »; depuis peu, on me demande si je veux être médecin traitant, mais traitant de quoi?

Probablement de la complexité d’être médecin, et non technicien.

Un technicien est centré sur une partie du corps : le corps psychique, le corps social ou le corps biologique.

Le médecin est interpellé par les trois corps ainsi que par les interrelations entre ces corps. Médecin de quartier, de campagne, de famille, médecin de premier recours. Au fait, c’est qui ton médecin ? La médecine générale est encore une médecine de l’oralité, pas de livre de médecine générale, essentiellement une transmission de savoir oral, dans la tradition populaire. Nous sommes des artisans un peu commerçants.

La toxicomanie c’est quoi?

Vision de généraliste : terme ancien désignant un usager de substance psycho active interdite, utilisé aussi bien par les usagers (je suis toxicomane) que par la médecine (intervenant spécialisé en toxicomanie) ou la justice (le toxicomane est un délinquant).

Terme qui veut tout dire et rien dire, mais qui veut surtout faire peur.

Il s’agit d’hommes et de femmes porteurs un jour d’un « va mal » d’origine sociale et/ou psychique et/ou somatique et qui ont rencontré ces substances psycho actives (héroïne, alcool, cannabis), s’en sont bien sentis et ont continué à les prendre. C’est donc un adepte de l’auto phytothérapie de la rue. Mais il s’agit de soin sans parole, il s’agit de panser les plaies sans les penser. Il va découvrir au fur et à mesure deux effets secondaires de cette auto phytothérapie, la dépendance et le retrait du monde des vivants. Voilà une définition de médecine générale, faute de mieux, qui permet de conceptualiser le soin en médecine générale.

La médecine générale a surtout rencontré des patients en difficulté avec les chimies de l’apaisement, opiacés, cannabis, alcool, nicotine. Je parlerai surtout de cette expérience.

Les bases de l’accompagnement en médecine générale

Accompagner un mort-vivant vers le monde des vivants nous oblige à travailler la question du désir, non plus de façon freudienne, mon désir c’est mon manque, mais à la mode de Deleuze, s’autoriser à avoir envie pour être en vie. La médecine générale est régulièrement confrontée à ce questionnement, la perte du désir dans la dépression, la non autorisation à désirer dans la vieillesse, où l’illusion qu’avec la retraite viendrait le désir. Pour ces patients le besoin s’est substitué au désir.

Quitter la chimie qui est tout, nécessite de changer la vie et cela prend du temps, beaucoup de temps. Le médecin généraliste est habitué à travailler sur du long terme. Trop souvent il se met en résonance avec le patient et pense qu’en 2 temps 3 mouvements le problème sera réglé. Pourtant l’une des spécificités de la médecine générale, c’est un accompagnement dans le temps.

Les patients souvent lucides imaginent une petite vie, un petit travail, une petite maison, un petit stage, une petite amie. Les médecins souvent mégalomanes ont pour leur patient de grandes ambitions. Changer la vie c’est passer d’une non vie à une petite vie.

Quitter la chimie nécessite un changement dans la pensée, passer de « je prends un produit qui me drogue » à « je prends un médicament qui me soigne ». La difficulté vient de ce que produit et médicament sont la même molécule. Aider le patient à ce changement de paradigme est une des missions du médecin généraliste. Cela n’est pas simple car nombre de confrères, de familles, de patients pensent qu’un opiacé ne pourrait avoir plusieurs fonctions (drogue, médicament antalgique, tranquillisant,…). Tant que les médecins pensent que l’objectif du traitement c’est de vivre sans traitement, ils ne prescriront que des produits.

La question du pourquoi et du comment arrivera le jour où le patient nous dira « vous ne pensez pas qu’il faudrait que je parle de tout ça » cela nécessite un ailleurs. Ailleurs qui doit être là en permanence, ne pas travailler seul. Appartenir à une communauté de soignants coconstruite et covalidée avec le patient.

Accompagner le désordre

On aime à penser que les patients « chimie nécessitant » sont dans le désordre, traitement mal pris, envie de vivre incertaine, demain improbable, psychopathologie certaine, logement précaire, ressources au jour le jour. Comme pour toutes pathologies chroniques, les études épidémiologiques montrent que seuls 40 % de ces patients sont dans le désordre. Ils nécessitent alors un accompagnement multiple et donc des pratiques de réseau.

Les pratiques de réseau, c’est ce qui permet de passer du multipartenarial au transpartenarial! C’est ce qui permet de mettre de la démocratie dans l’accompagnement quand les problématiques sont telles que les réponses a priori en manquent cruellement.

Mais alors, que sont ces pratiques de réseau ? C’est l’acceptation de la multiplicité des concepts et de la nécessité de débat entre ces conceptualisations ; c’est l’acceptation de la multiplicité des langages, un médecin généraliste ne parle pas comme un psy qui ne parle pas comme un éducateur… et donc la nécessité, soit de médiateur, soit de langage commun, entre ces professions.

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