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Le handicap psychique : reconnaissance ou stigmatisation ?

François CHAPIREAU - Psychiatre des hôpitaux, responsable du département d’information médicale, Hôpital Erasme, Antony (92)

Année de publication : 2007

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°26 – Ordonner le réel sans stigmatiser (Mars 2007)

Le handicap psychique peut être abordé selon deux angles principaux : celui de sa définition, et celui de l’usage qui en est fait. Les deux ne se recouvrent pas.

Dans son acception la plus simple, le handicap psychique désigne les conséquences handicapantes des troubles psychiques. Elles existent ; elles peuvent être graves. Si simple soit-elle, cette acception pose des problèmes. En effet, dans les classifications internationales, la définition de nombreux troubles psychiques comporte parmi les critères d’inclusion ces mêmes conséquences handicapantes : sans un minimum de conséquences handicapantes, pas de trouble psychique. Ainsi est posée la question de la frontière entre trouble1 et handicap.

Pour leur part, les définitions du handicap les plus connues ont été formulées par l’Organisation mondiale de la santé. La classification internationale des handicaps (CIH) a été adoptée en 1980. La classification internationale du fonctionnement (CIF) lui a succédé en 2001. Une autre classification a été élaborée par des auteurs québécois, et porte le nom de Processus de production du handicap (PPH). Les trois ont en commun de porter sur tous les âges : enfants, adultes et personnes âgées. De plus, elles décrivent le handicap selon plusieurs composantes distinctes dont chacune se situe à un niveau particulier : l’organe (ou la fonction), la personne envisagée par elle-même, et enfin la personne envisagée dans un environnement donné. Les différences entre elles portent sur la manière d’aborder chacune de ces composantes et de considérer leurs rapports mutuels.

La question de la frontière entre trouble et handicap n’est pas seulement théorique. Ce qui appartient au trouble relève du traitement ; réciproquement, si le handicap est différent du trouble, alors il relève d’aides et de soins distincts du traitement. Des positions extrêmes ont été défendues : pour certains, tout relèverait du trouble ; pour d’autres tout relèverait du handicap. De même, les questions posées autour des composantes du handicap ont des implications concrètes. Chaque classification a pour objectif de réunir des informations selon une orientation principale, qui diffère d’un cadre à l’autre. La CIH a été construite dans une optique de santé publique (quelles informations permettront d’améliorer les dispositifs d’aide et de soins ?). La CIF est orientée autour des droits de la personne handicapée (quelles informations permettront d’améliorer le respect de ces droits ?). Enfin, le PPH est élaboré selon une approche anthropologique (quelles informations permettront à la personne d’occuper dans la société la place qu’elle aura choisie ?).

Il ne s’agit pas ici de science pure : les définitions sont directement en relation avec l’action. Ainsi, selon ses objectifs, chacun des acteurs choisira l’une ou l’autre des définitions, ou composera son propre assemblage à partir des possibilités ouvertes par chacune. Le débat devient interminable ou confus si les objectifs ne sont pas clarifiés en même temps que les définitions.

La notion de handicap psychique a été défendue en France par les associations de patients et de familles (UNAFAM et FNAP-Psy). Il s’agissait d’obtenir des décideurs politiques et financiers des mesures et des crédits ; pour cela les personnes souffrant des conséquences des troubles psychiques devaient être distinguées des personnes souffrant de handicap mental. Un rapport parlementaire publié en 2002 (rapport Charzat) présente l’enjeu sans détour : « L’usage en France réserve le terme de « handicap mental » aux handicaps résultant de la déficience intellectuelle. Pour désigner les handicaps résultant de déficiences des fonctions psychiques, les associations de patients en psychiatrie et de familles de malades proposent le terme de « handicap psychique ». […] Ces distinctions, si elles sont discutables sur le plan sémantique, ont pour avantage de désigner des formes de handicap très méconnues, de « faire exister une population », comme on le dit à l’UNAFAM. »

Ces initiatives s’inscrivent dans la logique officialisée par la loi 75-534, du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, qui parle « du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels, ou mentaux », répartissant ainsi les personnes en catégories différentes. Le dispositif est très cloisonné : d’un côté les malades (secteur sanitaire), d’un autre les personnes handicapées (secteur médico-social), et, parmi celles-ci, les personnes souffrant de handicap physique, sensoriel, ou mental, qui relèvent de services et d’établissements distincts. Au clientélisme des décideurs correspondent les filières cloisonnées du côté des personnes en souffrance.

Après la CIH, la CIF représente un outil auquel recourent ceux qui militent contre les filières et le cloisonnement. Ainsi, la loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées comporte la définition suivante : « Constitue un handicap au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». En référence à la CIF, il y a d’une part la fonction, et d’autre part le handicap (la limitation d’activité ou la restriction de participation), sans relation automatique entre niveaux. Diverses atteintes de fonction peuvent entraîner un même handicap : le handicap n’est pas défini à partir d’une fonction, psychique ou autre, mais en fonction des difficultés concrètes vécues dans un environnement donné. Le handicap psychique n’a pas sa place dans la loi de 2005. Pourtant le Président de la République, le ministère de la santé et tous les commentateurs ont affirmé le contraire. C’est que la logique de filière et le cloisonnement des services et des établissements ont la vie dure : s’il est vrai que les mesures créées en 2005 sont bien conçues en fonction de la nouvelle définition, en revanche, l’organisation des dispositifs existants n’a pas été modifiée. Comme à son habitude, le législateur français a pris des mesures pour satisfaire une clientèle active à un moment donné, sans pour autant adapter les dispositions précédentes, alors pourtant que celles-ci avaient été conçues selon une logique différente, voire contradictoire.

Alors, le handicap psychique, reconnaissance ou stigmatisation ? Les deux mon général ! Le législateur français a prévu des mesures et des financements pour les personnes souffrant des conséquences handicapantes des troubles psychiques : reconnaissance. Il a conservé les dispositifs cloisonnés qui orientent les personnes selon leurs atteintes d’organes ou de fonction : stigmatisation. Aux professionnels de terrain de mettre en œuvre le partenariat. Aux personnes handicapées de faire valoir leurs droits. Jusqu’à la prochaine loi ?

Notes de bas de page

1 C’est le terme employé par l’Organisation mondiale de la santé. Le chapitre F de la classification internationale des maladies (CIM-10) s’intitule Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement.

Bibliographie

Chapireau F. Handicap psychique : confirmation ou mutation du handicap à la française ? Encyclopédie Médico-chirurgicale (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-910-A-10, 2006.

Chapireau F. Handicap psychique : sortir de la confusion. Santé Mentale. 2006, 106, 24-27.

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