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Pièce café

Marc JOURDAN - Psychologue, Psychanalyste, Toulouse

Année de publication : 2008

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°32 – Lieux d’asile en milieu hostile (Octobre 2008)

Le dispositif du « psy-qui-traîne » s’inaugure en 1995 au sein de la Maison des Chômeurs de La Faourette située au Mirail à Toulouse. Il s’agit de mettre en service la fonction psy au sein de l’association, dans un contexte où la majorité des acteurs du soin de l’époque ne sont pas en mesure de prendre en compte la souffrance psychosociale. Pour bon nombre d’entre eux, le fait de toucher le RMI est lié à une faille de la personnalité. Faille qui s’inscrit dans un savoir psychiatrique où la surdétermination de l’individu est obérée, selon les appartenances théoriques, soit par l’inconscient, soit par le moi, une culture du sujet. Du côté des chômeurs, le radical « psy » ne connote, qu’elle qu’en soit sa terminaison, que des significations négatives : fou, folie, maladie, psychiatrie, asile. Culture du sujet là aussi, qui transmue le manque d’une place sociale en sentiments de honte, de culpabilité et culpabilité objective,  dans un déni de la souffrance psychique. Acteurs du soin et exclus, face au vécu de la précarité, mettent tout autant à l’écart ce qu’il en serait d’une surdétermination de l’insécurité, présente dans l’environnement aussi bien économique que social ou familial. Il n’y a pas de lieu  pour dire ce que j’appelais alors « la souffrance sans nom ». Dans ces conditions les exclus n’intéressent pas le secteur de la santé mentale, et du côté des exclus il ne peut y avoir de demandes.

Il s’agit donc pour le « psy-qui-traîne » de se détourner de la question de la demande, pour développer une pratique de « l’aller vers… ». Etre, dans la pièce café, un homme comme les autres, avec un plus à l’humain qui est sa spécificité de soignant. Pièce café qui est le lieu central de l’accueil au sein de l’association, habitée par une hétérogénéité voulue, des fonctions et statuts des accueillants (juridique, culturel, technique, soin…) qui y travaillent. Le dispositif s’est inventé de cette inauguration. Le nom du dispositif, la manière d’utiliser le psychologue ont été créés par les utilisateurs : libre service pour des entretiens collectifs ou privés au sein même de la pièce café ou dans une pièce à l’écart.

Quelque chose se cristallise autour de la Maison des Chômeurs. Véritable lieu contre l’errance, elle va permettre le passage de l’isolement, l’esseulement pour certains, à une vie collective où l’acte « d’aller vers… » des professionnels, va induire le public à la réciprocité, ainsi qu’au développement de la sollicitude au sein du groupe dont le marqueur est le « dirigé vers… ». Le dispositif, dans ce lieu, permet donc le passage du silence à l’élaboration d’un dire individuel et collectif sur cette « souffrance sans nom » liée à l’insécurité. Cette première période correspond au mouvement d’élaboration du concept de souffrance psychosociale, corrélatif de l’organisation des collectifs de chômeurs qui culmine dans la manifestation nationale des chômeurs le 17 janvier 1998.

Une seconde période s’ouvre après la catastrophe d’AZF le 21 septembre 2001 à Toulouse, dix jours après le mondial 11 septembre. Elle se caractérise par une difficulté croissante à tenir le collectif dans la durée. Nous passons peu à peu d’une population hétérogène et avide de collectif, à une population hétéroclite, disséminée, disparate, de plus en plus individualiste et en errance. Un travail de rassemblement est nécessaire. Il s’effectue par la création rigoureuse et participative des supports. Ces supports du collectif, prennent la forme d’espaces qui se restreignent à une frange du public, à la façon de niches identitaires. Nous sommes donc dans un ouvrage de tri et de rassemblement, tout en veillant à la garantie d’homogénéité de l’ensemble, et à la jonction possible entre le dedans et le dehors. Travail fondamental sur l’image du corps, la dialectique partie et tout, préliminaire d’un accès possible à l’articulation de l’espace et du temps, du contenu et du sens. Le corps comme modèle structural de l’espace. Dans ce contexte, les demandes deviennent demandes de réponses, de choses, de résultats immédiats, de significations plus que de sens, sorte d’effet guichet de l’hétéroclite. Une des conséquences pour le dispositif du « psy-qui-traîne » en est une chute de l’utilisation en libre service, au profit de rendez-vous. Ces rendez-vous signent une demande de reconnaissance, de rythme, d’approfondissement de l’apparence mais aussi une perte de qualité de « l’objet d’arrière plan » tant social que familial. Cette montée en puissance de l’insécurité développe une inflation de l’imaginaire dont les effets, dans la réalité, sont le repli, la dépendance et la victimisation. En réaction, le dispositif devient de plus en plus volontariste dans la distinction, différentiation des registres symbolique et imaginaire, aussi bien dans la clinique individuelle que dans l’animation d’espaces collectifs. Nous sommes dans la volonté de présenter, de greffer, d’implanter des éléments symboliques. Dans cette urgence, le psy-qui-traîne participe aussi à la réflexion, à l’élaboration, à la résistance nécessaire à la mise en œuvre de la politique collective de l’association, dans l’articulation fine du faire entre possible et impossible. Il traîne toujours…

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