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Refus d’une posture de guichet, Interview d’une Assistante Sociale

Jean FURTOS

Année de publication : 2009

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°35 – La clinique change-t-elle? (Juillet 2009)

Interview d’une Assistante Sociale confrontée à l’application de la loi DALO dans une grande ville de France

Rhizome : Pourriez-vous nous parler de votre pratique de la loi DALO ?

Assistante sociale : La loi DALO donne le droit humain d’être abrité et logé à tout à chacun. Mais on sait que les moyens n’ont pas pu changer avec une baguette magique. Les DDASS, afin de répondre à la loi, organisent selon les départements, des diagnostics pour pouvoir affiner la demande. Ce diagnostic devient une difficulté parce qu’il est surtout administratif. Mais au fil du temps, ça me semble de plus en plus compliqué. Un diagnostic d’hébergement a une valeur relative, parce que la plupart des gens sans logement n’ont pas que cette unique problématique-là.

R : Si l’on reste sur le plan de l’hébergement et du logement, quels résultats ?

AS : La semaine dernière, environ x demandes en attente. On se trouve face à des gens qui n’ont pas pu être pris en charge du tout, qui ont passé la nuit dehors et qui ne l’acceptent pas. On n’a même pas pu joindre le 115 aujourd’hui et je suis en attente sur toutes mes demandes. Il y a quelque temps, je les aurais mis à l’hôtel. Maintenant, on n’a plus l’autorisation. C’est la période de fin d’accueil d’hiver. Les six semaines arrivent à leur terme pour plein de dossiers. Je me suis marquée des dates, je sais que les gens vont réagir. « Dans six semaines c’est DALO ». Les gens attendent, montre en main. C’est logique, car on leur dit, lorsqu’ils présentent un dossier : « 6 semaines pour obtenir une réponse et 6 semaines pour mettre en application ». Et pour un logement : 6 mois pour une réponse et 6 mois pour l’application. On ne parle pas de liste d’attente ; il paraît que cela n’existe pas. Les gens arrivent à telle date, il faut que six semaines après, ils aient une réponse. Ca, c’est du vent, on a dépassé les six semaines pour certains…

R : Avez-vous remarqué que les réactions des personnes sont différentes avec vous, dans ce diagnostic ou dans ce temps d’attente ?

AS : Quelquefois, oui : comme on n’est pas dans une relation d’accompagnement, les gens peuvent nous identifier à la non réponse et être souvent au bord du passage à l’acte, agressifs. Il m’arrive d’avoir peur.

R : Et vous-même, quelle est votre posture ?

AS : Ma posture ? Une posture de guichet. Je vous ai dit dans quelle contradiction je suis prise. Récemment, je suis restée une semaine « plombée », je ne pouvais plus parler. Chez moi, ils se sont demandé ce que j’avais. Un soir je me suis mise à pleurer. Je ne savais plus comment faire. Après un temps de recul, je me suis dit : « je pense qu’en 26 ans de présence, j’ai toujours gardé un certain cap, humainement, auprès des gens, tu ne peux pas l’abandonner ». Réinjecter du suivi différemment, c’est peut-être le seul moyen de pouvoir continuer d’y aller. Ce qui m’avait complètement étouffé, c’est le sentiment d’impuissance, ne pas du tout reconnaître le travail que je fais. On n’est pas du tout dans une relation humaine, mais enfermé dans l’administratif d’une demande. Alors que, lorsqu’on travaille dans l’accompagnement, après avoir vu 5, 6, 7, 10 fois les gens, on se dit « tiens, ce monsieur, on le verrait bien en maison relais ; finalement non, la relation avec les autres, ça va être compliquée… », et on modifie petit à petit, au fil de la connaissance de la personne. Il est vrai que, quand on pose un DALO et qu’on l’envoie à la Préfecture, les gens sont souvent reconvoqués pour un diagnostic ultérieur. Certains peuvent peut-être ajuster leur demande, mais d’autres ne le feront pas parce que l’accès à la parole est à construire. Il faut avoir confiance pour se livrer, et ce sont les publics les plus en difficulté qui vont encore échapper au bienfait d’une loi sur l’hébergement et le logement, ceux qui ont le plus de mal à se défendre pour des tas de raisons (problématiques psychiatriques, conduites addictives,…).

R : Cette histoire d’observation administrative me fait penser au côté médical de la nosographie : quand on reçoit quelqu’un qui a les symptômes de la schizophrénie, on va faire un diagnostic, et ce diagnostic va permettre une conduite à tenir sans être trop proche du patient. Au fond, vous deviendriez des « diagnostiqueurs » ?

AS : Oui, le diagnostic, c’est un mot médical. On ne travaille pas comme cela dans le travail social. On travaille sur un film avec des séquences, plusieurs séquences. Une personne peut donner une super mauvaise image, on commence super mal une relation dans un premier entretien. La personne revient, on lui dit : « je pense que l’on a très mal démarré, peut-on s’en expliquer ? »… et on peut revoir l’entretien. Et après, ça se passe bien, on a osé parler. J’ai beaucoup de difficulté pour étiqueter les personnes aussi rapidement. Je ne supporterais pas qu’on me le fasse.

R : Vous pensez à une position qui risque de s’instituer, qui consisterait à faire le deuil d’une relation d’accompagnement pour le travail social ?

AS : Pour moi, ce n’est pas envisageable. Je pense qu’après une période difficile, des choses vont se mettre en place. Je ne suis pas convaincue qu’on en reste à quelque chose d’aussi figé.

R : Que se passerait-il si vous parliez aujourd’hui à visage découvert, dans cette interview ?

AS : Je pense que je peux perdre mon poste.

R : Qu’est-ce qui vous paraît le plus important dans ce que vous avez dit ?

AS : L’inquiétude sur la masse de gens qui va devenir précaire, et l’impossibilité d’une relation humaine possible qui serait la seule manière de patienter pour attendre une solution.

Propos recueillis par Jean Furtos

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