Le monde de l’errance active, revendiquée, celle des zonards, des punks, des travellers, des squatters, fait l’objet de recherches en sciences humaines et sociales, et d’expérimentations de modes d’action en travail social. Il est acquis qu’il ne s’agit pas là d’une population juvénile homogène, mais que de profonds clivages la traversent. En particulier, ce monde réunit des jeunes qui se cherchent dans des dynamiques actives, constructives, de quête de soi, et des jeunes qui se fuient en s’enfermant dans un agir permanent leur permettant d’évacuer temporairement leur passé.
Il apparaît que « ceux qui se cherchent » s’engagent dans l’errance pour une période limitée, avec des conduites relativement contrôlées, et qu’ils sont capables de dire ce qu’ils y ont trouvé et pourquoi ils ont arrêté quand ils en parlent quelques années après.
La période d’errance (mais le terme est-il encore adapté ?) fonctionne pour eux comme un espace de découverte et d’initiation individuelle où s’inventent les formes nouvelles de ce rite dans la société contemporaine.
La plupart d’entre eux ont vécu des enfances équilibrantes. Enfants aimés, accompagnés, le processus d’attachement a joué son rôle jusqu’à sa résolution. Ils savent qui ils sont, ils prennent soin d’eux, ils ont pu développer une estime d’eux-mêmes qui les a conduits à avoir une personnalité affirmée et épanouie. Cependant ils ne se satisfont pas de ce qu’ils ont, de ce qu’ils sont, il y a encore quelque chose qu’ils veulent trouver, qu’ils souhaitent vivre, comme si une dernière découverte était à faire, à vivre, dans une dernière prise de distance avec la sécurité de la normalité et avant l’entrée définitive dans la vie adulte. Ils vont alors aller vivre un passage sur les marges de l’errance le temps de quelques festivals, d’un été, d’une ou de quelques années, dans une quête active d’eux-mêmes. Parfois qualifiés de « punks en chocolat » par les vrais, les durs, c’est exact qu’ils sont plus là en visite qu’avec un bail à long terme, et à la différence avec ce noyau dur de l’errance ils font plus attention à eux, ils sont plus prudents dans leur utilisation des toxiques.
La plupart se trouvent, ce chemin partagé avec l’errance les conduisant alors dans deux directions possibles.
Ils peuvent décider d’arrêter et de revenir vers la normalité, clairement enrichis de ce qu’ils ont vécu. Parenthèse apparente dans une vie linéaire, cette expérience sera pour eux pleine de sens. On les retrouve actuellement dans des formations conduisant à des métiers tournés vers les autres (IUFM, formation de travailleurs sociaux…), dans des cursus universitaires qui leur permettent probablement de mettre du sens sur leur vécu (sciences humaines et sociales, sciences de l’éducation), dans les métiers du spectacle, de l’humain. Interrogés sur les acquis de cette période de leur vie, ils disent assez clairement la découverte d’eux-mêmes alors faite et dont ils avaient visiblement besoin. Bien souvent ils ne présentent aucun signe identitaire évoquant leur vie passée, et ils ne l’évoquent pas spontanément ; la rencontre, l’épreuve vécue les a grandis, et ne nécessite pas un appel permanent à un statut passé.
D’autres décideront de poursuivre dans le chemin de la marginalité, s’engageant dans les alternatives culturelles et politiques des squats urbains et des nouvelles communautés rurales.
Peut-on alors parler de parcours, d’étape, d’épreuve initiatique ? Pas si on s’en tient aux acquis stricts de l’anthropologie, en particulier à la nécessité d’une dimension collective-communautaire du parcours, possible dans les sociétés de la tradition. Mais quand tant de jeunes vivent aujourd’hui les mêmes aventures sur les mêmes marges, et en parlent ensuite avec les mêmes mots, force est de constater que quelque chose agit ici. Les quêtes identitaires individuelles sont ici évidentes, mais insuffisantes pour expliquer et comprendre ce qui se passe. Ce phénomène générationnel rejoue les dynamiques de la beat generation, de la période hippie, du phénomène punk dans sa version politique, du phénomène traveller dans sa radicalité alternative.
Cette période de quête active de soi n’est pas à prendre comme une parenthèse, comme un moment simplement à subir par les proches « en attendant que jeunesse se passe ». Les transformations qu’elle apporte aux jeunes dans les façons de se connaître et de se comprendre seront à suivre avec intérêt par ceux qui portent attention à l’impact des dynamiques de jeunesse sur la société de demain.
Bibliographie
Chobeaux F., (2009), Intervenir auprès des jeunes en errance. Editions La Découverte, Paris.
Créyemé A., Morales J-H., Sur les marges des festivals. Vie Sociale et Traitement n° 104, 2009, pp. 7-16.
Dupont S., Lachance J., (2007), Errance et solitude chez les jeunes. Editions Téraèdre, Paris.
Le Breton D., (2007), En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie. Editions Métailié, Paris.