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L’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie

Jean-Paul LANQUETIN - Infirmier de Secteur Psychiatrique, Praticien chercheur en Soins Infirmiers GRSI ; Centre Hospitalier de St Cyr au Mont d’Or (69) et Centre Hospitalier du Vinatier (69).

Année de publication : 2013

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

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L’informel dans les soins et les pratiques infirmières en psychiatrie, comme élément de spécificité, constitue un thème incontournable du (des) métier(s). Nos motivations et notre intérêt à entreprendre et conduire une démarche de recherche sur ce thème de l’informel dans les soins se sont appuyés sur deux constats déterminants du contexte spécifique de l’exercice des infirmiers en psychiatrie.

Un double constat

Le premier constat tient à l’absence ou l’insuffisance de recensement de ce réel de l’activité, entendu ici dans l’écart entre ce qui est demandé à l’infirmier, le registre est ici du côté du prescriptif et ce que cela lui demande. Ce dernier registre convoquant alors la question du « comment ? ».

L’informel se manifeste de manière privilégiée, particulièrement dans le cadre de l’hospitalisation « temps plein », dans l’écart conséquent entre activité réelle et activité prescrite, puis entre activité réelle et ses modes de saisie et enfin entre soins programmés et actions non programmées. Ces dernières zones discrètes d’activité informelle, ces « dessous du soin » peuvent représenter jusqu’à 50 % du temps « non identifié », particulièrement en unité d’hospitalisation temps plein.

Certaines études, qui évaluent la répartition des soins, entre soins directs et activités d’autre nature, donnent des chiffres supérieurs ; 72% du temps pour Michel Nadot1, 66,5% pour M. Estryn-Behar2 et 60,8% pour l’IGAS3.

Cette place est donc quantitativement importante. Elle est le plus souvent liée à la permanence des soins dans les aspects de la vie quotidienne, c’est-à-dire du « vivre avec » et de sa gestion. Ces aspects inhérents au rôle propre de l’infirmier mobilisent et questionnent puissamment l’utilisation de cette dimension institutionnelle du soin.

Le deuxième élément concerne la logique soustractive à l’œuvre quant à l’enseignement de la psychiatrie et des processus psychopathologiques lors des refontes successives de la formation initiale des infirmiers. L’arrêté de 1979 portait à 33 mois et 1376 heures l’enseignement de la psychiatrie ; il était de 440 heures lors de la réforme en 1992, il est de 80 heures depuis 20094. Soit un rapport en pourcentage de moins 94 % en vingt ans confinant à l’évanescence les contenus d’enseignement propre à notre discipline.

Ce double constat finit par poser frontalement la question du statut des savoirs infirmiers en psychiatrie et conforte l’idée de la nécessité d’une approche qualitative et d’un recensement des compétences attendues pour identifier, utiliser et élaborer ces espaces-temps où se situe l’informel.

L’informel, un concept nomade

Nous sommes partis de l’idée que toute forme prend naissance dans l’informe pour aborder ce concept nomade d’informel. Ainsi, le dessin peut partir de la feuille blanche, la sculpture d’un bloc de terre, des mises en forme à partir d’un informe. Ce constat peut s’appliquer à la permanence des soins en unité d’hospitalisation temps plein, au quotidien et à l’ordinaire. Il peut s’appliquer particulièrement à la construction et à la mise en forme de la relation avec nos patients. L’informel peut devenir alors l’élément support sur lequel va se tisser et s’exercer, touche après touche, « petits riens » après « petits riens » une mise en forme de la relation. Cette approche est constituée d’un maillage de microactes et de miniactes pour ces niveaux d’actions souvent très investis en psychiatrie.

Ainsi, aller discrètement au devant, se rendre disponible, soutenir et offrir sa présence sans l’imposer, s’arrêter sur une détresse ou une inquiétude, porter un geste qui entoure, alimenter un narcissisme défaillant, porter une attention liée à un élément de confort, mobiliser son sens de l’occasion sur l’ouverture d’une fenêtre « relationnel » constituent des actions qui ont une profonde signification sociale et humaine. De même, s’immerger, acter sa parole, aller à la rencontre des zones de moindres résistances dans les plis du quotidien, s’en servir comme un support au soin, comme d’un facilitateur pour pénétrer l’univers mental de l’autre, que ce soit dans le sens d’un désamorçage, d’un apaisement ou d’une ouverture, ces actions là aussi concourent à la construction d’une ambiance « relationnel ». Elles parlent alors le lieu de soin, elles témoignent de traces d’hospitalité, « Elles sont le socle du contenir »5.

Ces soins au quotidien contribuent à créer du quotidien, entendu ici dans le sens de connu et de rassurant. La constance de leurs déploiements dessine un environnement soignant et une toile de fond sur laquelle vont se tramer les autres facettes de soins plus construits. En hospitalisation temps plein, nous retrouvons alors les deux temps de la permanence et de la séquence, cette dernière étant liée à l’acte (séance, consultation). Dans le cadre de notre approche, les espaces temps informels sont adossés de manière élective sur ce temps du quotidien et de la permanence. Un espace central en termes de coeur de métier pour Raymond Panchaud et Michel Miazza6 ; « Ce soin du quotidien, cet environnement soignant qu’organisent les infirmiers […], est l’essence même des soins infirmiers en psychiatrie. […] C’est dans cet espace que cette profession a construit son identité et ses savoirs propres. »

Ces savoir-faire discrets et ce travail invisible que suppose toute relation de soin nous permettent d’effectuer un saut logique. Celui de dépasser la démarche de qualité des soins pour aborder celui de la qualité du soin. Nous avons choisi comme porte d’entrée pour aborder ces actions et les savoirs qui les constituent le terme d’informel. Cinq critères ont alors présidé à cet arbitrage :

  • son usage transdisciplinaire ;
  • sa nature d’activité hors prescription et programmation de tâches ;
  • sa perception aux entrées larges quant aux pratiques concernées (individuelle ou groupale, occasionnelle ou régulière, etc.) ;
  • la notion processuelle dans le passage possible parfois de l’informel vers le formel, une possibilité et en aucun cas une finalité.
  • et enfin, un continuum d’activités qui lie les activités programmées et contribue à faire le lit du soin.

La systématisation de ce questionnement sur l’informel a abouti à l’initiation d’une recherche en soins de nature qualitative et descriptive, appliquée au domaine des soins infirmiers en psychiatrie (méthodologie de recherche en sciences sociales).

Les résultats7 de cette recherche multicentrique sont riches d’enseignements. Nous avons ainsi pu aboutir en particulier à la caractérisation de 139 fonctions en lien avec ces activités informelles. Un nombre important de repérages d’actions dont aucune ne donne lieu à une saisie d’activité. Ce réel de l’activité avance donc comme une variable masquée dans l’appréciation et l’évaluation du travail infirmier. Au travers de cette étude nous pouvons nous positionner sur la place et le destin de l’informel dans les soins.

La place et le destin de l’informel dans les soins

Evoquer le recours à l’hospitalisation temps plein revient à indiquer la nécessité de soins infirmiers. Le destin de l’informel pour cette part de l’exercice infirmier sera conditionné par les conceptions de soins et leur traduction dans les organisations. Cette recherche et ses résultats permettent d’apporter une visibilité et une lisibilité à ce continent immergé.

Le quotidien et l’informel deviennent ici des éléments constitutifs d’une médiation par le réel pour cette dimension institutionnelle. Ils concourent à un « prendre soin » individuel et collectif, participent d’un climat relationnel, ouvrent à des espaces transitionnels où se déploient aussi bien des actions de cognition sociales que les différentes dimensions de la proxémie et de l’empathie.

La caractérisation de nombreuses fonctions en lien avec l’informel viennent alimenter les répertoires de ressources professionnelles et favoriser l’ajustement des réponses soignantes. Pour autant, cette approche par fonctions, si elle favorise la traduction des logiques d’actions, n’épuise pas la complexité de ces dernières. Elle contribue à en donner des schémas de modélisation, de dérouler des scénarios psychiques professionnelles. Des conceptions et des cadres de travail qui réunissent le pôle thérapeutique et le pôle institutionnel, qui conjuguent la notion de réalité interne des patients et de réalité externe étayées, sur une dimension institutionnelle du soin, seront favorables au déploiement de ces actions.

Mais la protection et la stabilité de ces lignes de pensées institutionnelles, médicales, d’encadrement et d’équipe se révèlent fragiles, transitoires, et soumises aux aléas des trajectoires professionnelles. Un départ ou une mutation plonge de nouveau l’informel dans sa partie immergée, là où le précipite son appartenance à plusieurs mondes possibles.

Un monde du soin et de constructions professionnelles en profondeur, comme l’attestent les résultats de notre recherche, pour les équipes qui nous ont témoigné de leurs pratiques, un monde sans consistance et sans entité pour l’évaluation de l’activité, et un monde perçu comme non productif et comme une marge de manœuvre molle pour la partie prescriptive du travail.

Notes de bas de page

1 Nadot, Michel. La fin d’une mythologie et le modèle d’intermédiaire culturel. In Dallaire C (dir.) Le savoir infirmier. Paris : éditions Gaëtan Morin; 2008: 359- 373.

2 Estryn-Behar M, Fouillot, J-P. Analyse du travail des infirmières et aides-soignantes dans dix services de soins. Document pour le médecin du travail 1990 : p. 131-144. Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

3 Strohl H, Bastinelli JP, Laurand G, Planes-Raisenauer C. Inspection générale des Affaires Sociales. Gestion et utilisation des ressources humaines dans six établissements de santé spécialisés en psychiatrie. Rapport définitif, Tome I/ IV-Rapport nº 2007, annexe Réponse de la DHOS -033P, juillet 2007

4 Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier. http://legifrance. gouv.fr, Par ailleurs, cette dernière formation renouvelle le paradigme de la formation initiale et le déterminisme socioconstructiviste remplace la pédagogie par objectifs dans une maquette compatible au niveau européen avec le système licence, master, doctorat (LMD).

5 Cette question d’un socle de connaissances propre à cet exercice s’actualise autour de la question de la transmission des savoirs avec la circulaire DHOS/P2/O2DGS/6C no 2006-21 du 16 janvier 2006 relative à la mise en oeuvre du tutorat et de la consolidation des savoirs pour les nouveaux infirmiers exerçant en psychiatrie.

6 Panchaud, Raymond et Miazza, Michel « Environnement thérapeutique infirmier : travail du milieu en psychiatrie », EMC (Elsevier Masson SAS, Paris) savoirs et soins infirmiers, 60-705-N10, 2011, pp. 1-2.

7 Rapport de recherche effectué dans le cadre du Conseil scientifique de la Recherche du Centre hospitalier du Vinatier, « L’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie », rapport non publié, 430 pages, disponible auprès des auteurs.

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