Cet article propose de porter un regard croisé sur l’accompagnement des personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères au sein de deux institutions de soins que sont le service médico psychologique régional (SMPR) de la maison d’arrêt des Baumettes et le programme « Un chez soi d’abord » à Marseille1. Le SMPR s’inscrit dans une filiation historique du secteur ce qui a permis de faire entrer le soin et la société civile instituée dans la maison d’arrêt depuis 1994. Le programme de recherche « Un chez soi d’abord » est un dispositif de santé mentale qui propose des soins orientés vers le rétablissement. Cette technique d’accompagnement trouve son origine dans la rencontre des mouvements des usagers et de certaines équipes ambulatoires issue de la période désinstitutionnalisation en Amérique du Nord. Ces équipes fonctionnent selon une organisation horizontale, intègrent des travailleurs pairs, et promeuvent la création de groupes d’auto-supports. Les professionnels œuvrent dans la cité et tentent de construire avec les personnes accompagnées un plan de rétablissement en vue de reprendre le pouvoir sur leur vie dans l’ensemble des domaines qu’elles jugent pertinent. Les savoirs expérientiels des personnes accompagnées sont valorisés dans la relation d’aide afin d’élaborer des stratégies pour faire face aux difficultés dans la réalisation de leur désir.
Bien que l’équipe du SMPR ne se situe pas dans le champ du rétablissement, la pratique à la maison d’arrêt est contaminée par cette clinique particulière. La situation qui suit va tenter de l’illustrer.
D’une représentation désespérée de la situation d’un patient…
Pendant sa dernière incarcération Frantz2 a été hospitalisé au SMPR puis suivi sur le dispositif du CATTP (Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel) qu’il investit de manière adhésive. Sa situation a été évoquée à plusieurs réunions d’équipe. Ces synthèses attaquent jusqu’au lien dans l’équipe tant le patient incarne la figure du psychotique caractériel qui se chronicise dans l’institution. Les perspectives de vie hors la détention paraissent insurmontables. Il est bientôt libérable, n’a pas de papier, pas de ressource. Bien que stabilisé, la piste de l’hospitalisation à la sortie est envisagée. Au cours de sa dernière hospitalisation dans son secteur il a frappé une infirmière, aussi, l’hôpital qui doit l’accueillir envisage de décider par tirage au sort le secteur qui le prendra en charge. L’équipe du SMPR discute alors une hospitalisation sous contrainte pour forcer l’hôpital à accepter le patient.
La situation n’est pas abordée avec le patient qui asphyxie les soignants de demandes très pragmatiques : vérifier son pécule, établir une liste des cantines, le dépanner de benzodiazépine, qu’on l’hospitalise. La clinique de la situation nous permet de formuler l’hypothèse que les demandes très carcérales de Frantz sont un leurre qui a pour fonction de nous protéger de notre impuissance à organiser quelque chose pour lui à sa sortie. Nous tombons d’accord pour nous attaquer à ce problème avec lui dans le mois qui reste avant sa sortie.
… à l’ouverture du champ des possibles pour une personne.
Ainsi, nous lui faisons part de notre inquiétude pour sa sortie proche et l’invitons à écrire ensemble un plan de rétablissement3.
Nous évoquons au cours de l’entretien le SIAO (Service d’Information d’Accueil et d’Orientation) qui coordonne un projet d’accès et de maintien dans le logement pour les personnes incarcérées qui cumulent le plus de vulnérabilités psychosociales.
Nous évoquons aussi l’EMPP-MARSS (Equipe Mobile Psychiatrie Précarité – Mouvement et Action pour le Rétablissement Sanitaire et Social) qui est à l’initiation du programme « Un chez soi d’abord » et tente de promouvoir les soins orientés vers le rétablissement sur le territoire.
A l’issue de la rencontre nous proposons de résumer la situation aux différents acteurs de la prise en charge qu’on repère pendant l’entretien. Frantz participe à l’écriture et est d’accord pour qu’on envoie ce mail (Cf. encadré) aux médecins et infirmiers référents des soins ambulatoires et du temps plein et à l’assistante sociale du service, à son CIP4, à la coordinatrice du SIAO et à l’EMPP-MARSS.
Par la suite, Frantz rencontre en détention un psychiatre de l’EMPP. Notre confrère le trouve trop sédaté et lui demande de baisser ses traitements afin de pouvoir entamer ses démarches à l’extérieur. Le lien est fait et ils conviennent ensemble d’un suivi avec mise à l’abri à l’hôtel. A ce jour Frantz est toujours en lien avec cette équipe. Sa mère est venue de la Guadeloupe l’aider dans ses démarches.
Dans cette situation clinique tant qu’on ne s’était pas enrichi des rêves de la personne et qu’on n’avait pas considéré le réseau de santé mental dans sa globalité nous ne proposions qu’un double rejet d’exclusion et d’enfermement qui avait des conséquences directes sur notre relation avec le patient. Celui-ci s’enfermait dans les stéréotypes propres à notre service de soin. L’ouverture du champ des possibles a radicalement changé sa présentation et le regard porté sur lui par les professionnels. Cela a entraîné une modification de la clinique en formulant une hypothèse de travail décentré des problématiques carcérales mais ouverte à celles de la cité. Par ce geste, les conflits ne sont pas essentialisés par les symptômes ou la maladie mais sont discutés dans le contexte des alliances possibles. Les réunions d’équipe du CATTP ont finalement permis de s’approcher d’une organisation en multi-référence5 telle que nous l’exerçons dans l’équipe du « Un chez soi » et de pouvoir repérer avec le patient une inquiétude là où on ne percevait que de l’angoisse.
Ce court article a tenté de montrer à travers une situation que l’incarnation de la santé mentale dans le concept du rétablissement invite à un engagement particulier auprès des personnes qu’on accompagne qui cumulent le plus de vulnérabilités. Cet engagement redéfinie jusqu’à la nature transférentielle des relations entre professionnels et patients. Il nous invite à travailler la création d’un lien fraternel de justice social ouvert sur la cité plutôt qu’un lien d’amour de réparation du manque circonscrit à l’intimité de la relation duelle. Bien que l’équipe du SMPR ne soit pas une équipe de soin orienté vers le rétablissement, il y aurait une certaine proximité du fait d’exercer en détention par l’élaboration d’une clinique du contexte particulière à ce lieu. Cependant, l’impossibilité à agir sur le contexte carcéral avec nos clients nous entraîne vers une double essentialisation de la folie et de l’enfermement. Dans le documentaire « Etre là6 » les soignants du SMPR répètent à plusieurs reprises : « vous n’êtes pas que ça » sous-entendu : des fous, toxicomanes, pauvres, dangereux et emprisonnés. L’accompagnement par le rétablissement serait, dans la perspective qui est développée ici, une possibilité de sortir des silences gênés qui suivent cette assertion.
Notes de bas de page
1 Le lancement du programme de recherche national « Un chez soi d’abord » à Marseille constitue une incarnation de cette mise en réseau par la naissance d’une équipe pluridisciplinaire sanitaire et sociale et constituée des travailleurs pairs. Le dispositif permet un accès direct au logement via le dispositif d’intermédiation locative, l’équipe accompagne les dynamiques du rétablissement sans condition préalable de réduction des consommations ou de prise de traitements médicamenteux. Cette équipe accompagne 100 personnes parmi les « patates chaudes » des institutions de soins psychiatriques et d’accompagnement médico-social de la ville.
2 Le prénom, les dates et les données biographiques ont été modifiées
3 Les plans de rétablissement et plans d’intervention ont été mis en place par les équipes d’Assertive Community treatment (traitement communautaire dynamique pour les francophones). Ils permettent de mener une discussion avec la personne accompagnée de manière à repérer les buts qu’elle souhaite atteindre, de faire le bilan de ses forces et des ses barrages pour planifier des étapes intermédiaires en vu de les réaliser et de pouvoir mesurer les progrès réalisés à chaque étape.
4 Conseiller d’insertion et de probation qui accompagne l’exécution de la peine et prépare la sortie
5 Les locataires du « Un chez soi d’abord » ne sont pas répartis à des référents qui auraient en charge le suivi et l’aboutissement des démarches. Chaque locataire est amené à rencontrer l’ensemble de l’équipe au grès des besoins repérés. Chaque visite au domicile est construite en lien avec la précédente et prépare la suivante. La réunion d’équipe quotidienne du matin permet de construire cette continuité en partageant les informations et en répartissant la charge de travail entre professionnels.
6 « Être là » de Sauder R. est un documentaire qui décrit les soins psychiatriques au sein du SMPR de la maison d’arrêt des Baumettes qui a été tourné en 2012. https://www.youtube.com/watch?v=My0sNdl4XOo