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L’accompagnement juridique des personnes homosexuelles en demande d’asile

Abdellatif CHAOUITE - Anthropologue Rédacteur en chef de la revue Écarts d’identité Grenoble
Toriki LEHARTEL - Président de l’association À Jeu Égal Administrateur du centre LGTB de Grenoble Membre de la commission de soutien aux réfugié-es LGTBI de Grenoble
Nathalie BESSARD - Juriste référente asile de l’association Adate Grenoble

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Anthropologie, Demandeurs d'asile, PUBLIC MIGRANT, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°60 – Sexualités (Juin 2016)

Le contexte juridique

Les causes de persécutions permettant d’obtenir le statut de réfugié sont très encadrées : l’origine ethnique, la religion, les opinions politiques, la nationalité, l’appartenance à un groupe social. Depuis l’entrée en vigueur de la loi réformant le droit d’asile, le 1er novembre 20151, l’orientation sexuelle devient légalement un groupe social2.

Pour qu’une personne homosexuelle obtienne le statut de réfugiée, elle doit démontrer qu’elle a été persécutée ou qu’elle craigne d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle, réelle ou présumée. Dès que cette personne « prouve » son homosexualité, le simple fait de provenir d’un pays réprimant l’homosexualité doit lui permettre d’obtenir le statut. Aussi, il ne devrait pas être opposé à un-e homosexuel-le le fait qu’il-elle pourrait parfaitement vivre dans son pays en cachant son homosexualité. Malheureusement, ces considérations ne tiennent généralement pas compte des réalités sociales qui diffèrent souvent, selon les régions, les législations et juridictions étatiques.

La réforme introduit un point moins médiatisé que d’autres, la possibilité de regroupement familial pour les concubin-e-s. Jusque-là, pour de nombreuses personnes homosexuelles réfugiées, cette discrimination semblait insupportable, et leur donnait parfois l’impression d’être des réfugiées de seconde zone. En effet, dans tous les pays où l’homosexualité est interdite, le mariage entre personnes de même sexe est, a fortiori, interdit. Or, en matière de mariage, la loi de l’État dont le demandeur a la nationalité s’applique. Cette situation semblait injuste pour de nombreux-euses demandeurs-euses qui souffraient d’être séparé-e-s de leurs concubin-e-s.

L’accompagnement socio-juridique

La première étape de l’accompagnement est d’exposer à la personne demandeuse qu’elle est désormais libre de vivre son orientation sexuelle, et qu’en plus elle bénéficie de protection juridique contre les actes et propos homophobes et transphobe. Il s’agit d’un premier pas qui est parfois complexe car plusieurs facteurs viennent freiner cette réappropriation de leur vie sexuelle.

Le premier facteur est le poids de la communauté-même (de nationalité ou d’ethnie). Arrivées en France, ces personnes, comme d’autres demandeurs-euses, sont en effet principalement aidées, orientées et conseillées par des membres de leurs communautés. Nombreuses parmi elles se trouvent ainsi contraintes de continuer à mentir sur les motifs de leur venue pour ne pas perdre le soutien des leurs. Les représentations négatives, continuent de sévir dans les mêmes groupes ethniques ou nationaux déplacés.

Le second facteur est la cohabitation avec des personnes en demande d’asile dont une grande partie provient de pays où certaines pratiques homosexuelles sont réprimées ou au mieux non tolérées. Dans leurs échanges quotidiens, les demandeurs-euses d’asile homosexuel-le-s cachent souvent leur orientation à leurs colocataires. La confidentialité des échanges étant exacerbée au sein des centres d’hébergement, il n’est pas rare que les demandeurs-euses homosexuel-le-s demandent à leurs accompagnateur-trice-s d’être extrêmement vigilant-e-s sur les motifs de leur venue.

Pour pallier cette peur et l’isolement du-de la demandeur-euse d’asile, l’intervenant-e social-e oriente souvent la personne vers des associations LGTB3, engagées et reconnues pour leur accompagnement des personnes « réfugié-e-s sexuel-le-s ». En leur proposant des moments d’écoute bienveillante et de convivialité, ces associations leur proposent des espaces et des accompagnements pour se reconstruire en se réappropriant leurs orientations affectives et sexuelles.

L’autre moment important et périlleux pour ces « exilés sexuels » est l’étape de la rédaction du récit de vie ou du recours. L’intervenant-e socio-juridique doit aider le-la demandeur-euse d’asile à démontrer qu’il-elle est effectivement homosexuel-le. La difficulté majeure provient du fait que, comme pour toutes les autres catégories, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (l’Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) semblent considérer que le-la demandeurs-euses doive rentrer dans des « cases ». Or, ces cases reflètent en fait l’imaginaire de notre société occidentale, avec ses préjugés et clichés. Leurs critères sont souvent éloignés des réalités et particulièrement de la façon dont les demandeur-euse-s d’asile vivent personnellement leur sexualité. Ainsi, de nombreuses questions qui leur sont posées contiennent des injonctions à correspondre à un profil particulier pour prouver son homosexualité (la lesbienne camionneuse, le gay maniéré, etc.). Ces injonctions poussent parfois la personne à modifier son discours, voire sa personnalité, pour tenter d’entrer dans ces cases. Pour une personne qui a dû taire son attirance affective ou sexuelle et donc cacher sa véritable « personnalité » pendant des années, le fait de devoir feindre, une fois de plus, une fausse image de sa sexualité entrave le travail d’accompagnement de ces personnes4.

La question de l’homosexualité pose non seulement celle de l’intimité (sur le plan personnel) mais celle de la reconnaissance à la fois juridique et mentale des singularités dans la pluralité sociétale. Les demandeurs d’asile homosexuels proviennent de pays dans lesquels l’expression de la sexualité d’un individu en public n’est pas acceptable, voir taboue. L’imprégnation des instances classiques de socialisation, conjuguée à des politiques conservatrices ou répressives dans beaucoup de pays (d’Afrique, du Moyen-Orient et de certains pays asiatiques notamment), mais aussi le poids des préjugés, voire des dénis dans nos propres pays, où ces questions ne se résument pas à la seule législation, continuent d’exposer ce groupe social à différentes discriminations, directes et indirectes. Les accompagnateur-trice-s socio-juridiques et de LGTB se trouvent au croisement de cet imbroglio juridico-politico-culturel : ils-elles ont pour mission d’aider à protéger les « réfugiés sexuels » en appui sur la loi.

Notes de bas de page

1 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, entrée en vigueur en novembre 2015. Repéré à : http://www.gouvernement.fr/action/le-droit-des-etrangers-et-la-reforme-de-l-asile

2 Art. L 711-2 Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA).

3 Lesbiennes, gays, transexuels  et bisexuels (LGTB).

4 CJUE – Communiqué de Presse – Arrêt dans les affaires jointes C-148/13 à C-150/13 A, B, C / Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie. La Cour de Justice de l’Union Européenne avait pourtant condamné ce système, en considérant que « l’évaluation des demandes d’asile sur la seule base de notions stéréotypées associées aux homosexuels ne permet pas aux autorités de tenir compte de la situation individuelle et personnelle du demandeur concerné. L’incapacité d’un demandeur d’asile de répondre à de telles questions n’est donc pas, à elle seule, un motif suffisant pour conclure au défaut de crédibilité du demandeur ». Cependant, cette situation semble perdurer.

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