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Le sentiment de l’écoute : une émotion ou un leurre ?

Lotfi Bechellaoui - Pair-aidant en santé mentale, membre de la Communauté des personnes à l’épreuve du psychotrauma - Centre national de ressource et de résilience (CN2R) — Lille

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Psychologie, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL, SANTE MENTALE

Rhizome n°79 – Les visages de l’écoute (mars 2021)

« Apprends à écouter non le vent des paroles ni les raisonnements qui leur permettent de se tromper. Apprends à regarder plus loin1. »

Je me demande si… lorsque vous me lisez, ici, maintenant, dans ce qui est… est-ce que vous entendez ou vous écoutez ce que vous êtes en train de lire ? Étrange, non ? C’est comme s’il y avait une distance invisible au cœur de l’échange, de notre échange, entre ce que vous lisez et ce que vous ressentez, comprenez. Ainsi nous disait Paul Valéry : « Un jour vint où l’ont su lire des yeux sans entendre, sans épeler, et la littérature en fut toute altéré1. » Écrire, prendre la parole, témoigner, dire, exprimer, émettre et divulguer sont des expressions de soi qui devraient être au service du collectif et de ses individus. N’avons-nous pas toutes et tous, une fois dans notre vie, éprouvé ce sentiment de ne pas avoir été entendus ni écoutés ? Essayer de se faire entendre n’oblige personne à nous écouter. La patience que nous accordons aux autres est celle que nous avons apprise avec nous-mêmes. C’est cela « l’écoute » et plus encore. L’entendez-vous chuchoter de l’intérieur ?

« L’écoute comme réponse ? », cette réflexion me transcende et me ravive car elle m’invite à une introspection qui résonne à l’intérieur de moi comme un effet miroir… reflétant mon parcours de résilience et ses sentiers battus, jonchés de ronces et de sables mouvants. Tout un tas de questionnements me submergent et à mon tour je vous invite à recevoir — ou non — ce que je suis en train de donner. Cela dépend de tellement de choses et de rien en même temps. L’interrogation qui me vient à l’esprit en premier lieu est : comment peut-on être présent, attentif, concentré et en situation d’écoute avec un autre si on ne s’est jamais donné ou offert cette attention à soi-même ? Aussi, pourquoi et comment développer des aptitudes à s’entendre ? Pourquoi et comment développer des attitudes à s’écouter ? Et surtout, comment opérer ? Peut-on opérer à cœur ouvert lorsque l’on écoute un autre ou soi-même, comme un chirurgien devant sa table d’opération qui fait de son mieux pour sauver une vie ? On pourrait aussi se permettre un raisonnement différent en s’interrogeant sur ce que « l’écoute » n’est pas ?

Pour essayer de répondre, je vais quand même me présenter en vous invitant à faire avec moi un voyage à l’intérieur du soi, de ses représentations et de ses expressions au travers de mon expérience personnelle.

Le dévoilement de soi, à soi et sans détour

J’ai été foudroyé et atteint très tôt dans mon enfance par le syndrome psychotraumatique. J’avais 5 ans, je me souviens. Ce trouble psychique, symbole d’une « allitération » sensorielle et affective désorganisée et ébranlée, aurait muté en moi en se transformant en un trauma complexe à l’image d’un mille-feuille pourri, empesté de tranches de vie oubliées, douloureuses et inaccessibles pour moi et ma mémoire pendant très longtemps. La cause ? Rien que des événements récurrents, impitoyables, irrationnels et effroyables imposés par une histoire familiale chaotique et taxée par l’asservissement de ses sujets et de ses serviteurs. Je peux vous affirmer aujourd’hui que si je ne m’étais pas entendu ni écouté pendant ce long périple, je suis certain que je ne serais pas ici, maintenant, dans ce qui est, avec ce qui est de moi-même et en même temps avec vous autres, mes amis, lecteurs et lectrices.

Ce voyage, ce parcours traversé, enduré et éprouvé par moi-même, seul témoin de ma longanimité dans l’épreuve m’a poussé et contraint à expérimenter et à comprendre ce qu’« entendre » et « écouter » pourraient m’apporter sur mon chemin du rétablissement, lui-même inspiré et poussé au plus profond de moi par une forte résilience pressentie et salutaire. Pour pouvoir communier avec soi-même et les autres, il est important de se détacher de soi, c’est-à-dire de faire face pour pouvoir se dépasser, être présent avec soi-même ainsi qu’avec les autres et son environnement. J’ai mis beaucoup de temps à essayer de m’entendre et à m’écouter ; tel un explorateur en quête de nouveaux espaces sains et ordonnés, échafaudés inconsciemment à l’intérieur de moi-même, pour y poser et y ranger des mots ressentis, puis enfin compris, sur des maux physiques invisibles, finalement identifiés et soignés. J’ai, par exemple, essayé d’entendre comment mon corps me hurlait dessus de douleur à force de ne pas l’avoir assez, ou pas suffisamment écouté. Il s’agit alors d’un dialogue interne où l’écoute et l’attention ont un rôle primordial, voire vital, pour la personne qui est en quête de soi, en souffrance ou non. Comment entendre ou écouter à l’intérieur de soi, lorsqu’il y a un chaos, un amas globuleux purulent et indigeste qui, dans un carcan inaudible et sourd, nous empêche de nous lire et peut-être même de s’écouter ou de s’entendre ? Si tous les humains sont forcément un jour confrontés à la souffrance et à la douleur, tous ne la sentent pas, ne la ressentent pas et n’en parlent pas de la même manière.

Comme moi, il y a des personnes qui le découvrent dans la souffrance et l’épreuve — et d’autres non —, mais je reste convaincu que ce pouvoir, ce « sentiment », cet entendement céleste et dévolu fait intrinsèquement partie de notre nature humaine et il s’appelle : l’écoute. L’entendez-vous maintenant ? L’entendez-vous tonner au plus profond de vous ? Cette voix qui vous parle et qui vous commande, l’entendez-vous maintenant ? L’écoutez-vous ou est-ce elle qui vous écoute ? Ou peut-être est-ce un leurre, un mensonge que l’on se dit à soi-même et aux autres ? On ne maîtrise rien en dehors de soi et « l’écoute » en est un échantillon représentatif. C’est cela l’écoute et bien plus encore…

« L’écoute est un don, pas une vertu2. » Atteindre son cœur pour y accéder c’est faire corps pour mieux la partager. Dans l’instant présent, vous devenez votre priorité, la personne la plus importante du moment, car le véritable don de soi c’est d’être au service de soi-même et de notre humanité tant aimée. Et c’est seulement là, dans ces conditions, que « l’écoute » invoque et exige l’unité, la complétude, la totalité. Elle est le départ du multiple, du complexe et du savoir. Associer la connaissance de soi au service de l’écoute de l’autre, voilà ce que m’a appris cette épreuve. Tel un architecte de mes sens, s’est construit et fortifié au plus profond de moi cette conviction que l’écoute n’est finalement, et tout simplement, qu’une discipline au sens propre et figuré. Dans cette réalité, l’écoute est rarement improvisée et fantasque et en cela elle peut se transformer en compétences, en capacités, en un savoir-faire et en un « savoir-être ». L’élaboration psychique et la dépendance à l’appréciation créent un besoin et une attention particulière à la valeur de soi et de celle des autres dans cette situation. Aussi, dans ces conditions précises, le dialogue est ouvert et le discours, comme l’écoute, est au service des personnes et non plus au service de l’ego et de son individualité. Cette « félicité » tant souhaitée ne peut être atteinte qu’après un affrontement avec soi-même, en acceptant de fuir ce qui est nuisible pour soi et en étant convaincu qu’il est vain de se fuir soi-même. Devoir son salut à la fuite n’est pas glorieux, mais peut se révéler sage dans ce cas. Dans ces circonstances et avec le temps, l’affrontement pourrait permettre de se révéler à soi-même et en même temps aux autres. L’attention, la motivation et l’attente apprises font toutes partie de ces conduites et attitudes perceptives importantes qui ont conditionné et éclairé ma propre perception de mon monde intérieur et de celui qui l’entoure.

Le labeur du laborieux

« Le sentiment de l’écoute » est une émotion en soi, qu’elle soit bonne ou mauvaise, une vérité ou un leurre. Il est une émanation de soi, une reconnexion à soi-même et à tout l’univers qui nous entoure. Il s’agit d’une étape essentielle vers la restauration de la tolérance au soi et de celle des autres, car le fait de s’aimer, de se choisir, nous rend plus intuitifs et plus rationnels de manière à nous offrir, dans les meilleures conditions, une présence parmi nos semblables et une place dans notre environnement. La tolérance, la maîtrise, le contrôle ou la rupture au soi forment une association entre les événements et les émotions engagées dans la pratique de l’écoute avec soi-même ou avec les autres.

Le « sentiment de l’écoute » consiste finalement à être attentif à ses propres besoins et à ceux des autres, tout en faisant preuve de patience avec soi et de tolérance avec son environnement. Le reste suivra. Comme le « discours » influence la réalité — sans pour autant être dans le vrai —, « le sentiment d’écoute » peut être à sa manière le contraire de l’indolence, de l’apathie et de l’inertie, car il peut nous procurer ou nous imposer une quête de nous-mêmes et de notre propre vérité. Le don de soi au travers de l’écoute n’est pas une façon d’être ou de faire au service des autres pour être aimé. Il est plutôt une manière d’être et de faire, en pleine conscience, qui sert — ou non — à celui qui donne et à celles et ceux qui reçoivent, car donner, c’est inviter à recevoir sans contrainte ni obligation. S’exprimer, entendre et écouter sont de mises. Cette idée enthousiasmante et reviviscente m’oblige à me poser cette réflexion à laquelle je ne répondrai pas, mais je me permets néanmoins de vous la poser ici, maintenant, dans ce qui est et sans détour. Nos émotions, sont-elles le guide de toutes ces actions ? Et qu’est-ce qui les motive pour pouvoir guider nos actions ?

Notes de bas de page

1 Insufflé par mon ami Guedalia Assueid : Valéry, P. (2016). OEuvres. Tome 3. Paris : Le Livre de poche.

2 Bechellaoui, L. (2020). Histoire d’un voyage intérieur [texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’expression « Confitures maison » organisé au SUR CL3R par l’équipe Zone d’expression contre la stigmatisation — Zest].

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