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Offrir une écoute ou un espace de parole ?

Nicole Borie - Psychologue-psychanalyste, praticienne - Centre psychanalytique de consultations et de traitement (CPCT)

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES, Psychologie, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°79 – Les visages de l’écoute (mars 2021)

Écouter est avant tout donner la parole à quelqu’un qui souvent ne sait plus comment s’adresser à un autre. L’écoute en elle-même est une offre qui se laisse surprendre par ce qui ne parvient pas à se dire. Il convient alors de trouver les mots pour supporter le malentendu et accueillir ce qui ne peut pas se dire. Cet accueil inconditionnel donne la parole à ce qui n’a pas de place, ce qui suppose de faire de la souffrance humaine une affaire d’éthique.

Beaucoup de ceux que nous accueillons n’ont pas pu répondre aux offres qui leur ont été faites, se heurtant parfois à la réponse anonyme du « pour tous » ou aux répondeurs téléphoniques qui ne renvoient qu’en écho leurs difficultés à formuler leurs propres demandes. Le lien à eux-mêmes est aussi difficile que le lien avec les autres. Avec la psychanalyse, nous savons que le lien aux autres, c’est aussi le lien à soi-même. Sans a priori de parcours ni préalable, l’accueil de ceux qui franchissent le seuil mise sur ce qui dans la parole va faire surprise, trou dans le fil du récit, événement, silence aussi bien.

Au fil des années, nous avons appris à considérer l’effort pour venir en présence à un rendez-vous et la valeur des absences parfois répétées. Cette façon de se présenter fait partie de la rencontre. L’expérience vécue au centre psychanalytique de consultations et de traitement (CPCT) recueille ce qui n’est jamais libre dans la parole. Contrairement à l’idée répandue que parler libère, ce n’est pas toujours le cas ; chaque personne qui s’engage dans sa parole se confronte à un indicible, à une impossibilité à dire.

Il n’est pas tant question de pousser à la parole dans laquelle le sujet pourrait se perdre ou s’emprisonner que de soutenir le style de chacun. Nous faisons avec la difficulté à dire, l’urgence à parler, la rage de dénoncer, la colère des mots qui explosent. Nous faisons avec la crainte de parler, les silences d’avant la parole. Pour cela, nous recevons le plus rapidement possible celui qui appelle, celui qui enfin peut appeler. De la même manière que nous acceptons les absences répétées au premier rendez-vous qui sont pour nous la marque d’un embarras, voire d’une peur à exposer ses mots, nous ne comptabilisons pas ces absences, mais les accueillons comme des appels muets, sans préjuger. Dans la prise de rendez-vous comme dans les sollicitations, les mots sont ceux des représentations en cours : stress, manque d’estime de soi…

Les praticiens orientent les conditions de la parole pour faire advenir un dire qui engage la subjectivité de celui qui parle, seule façon d’approcher l’insupportable en jeu. Pour nous, l’écoute requiert un travail de précision à reproduire inlassablement pour permettre que la parole de chacun se transforme en un dire dans lequel l’auteur se reconnaisse et en assume la responsabilité. Les praticiens se font interlocuteurs des balbutiements, des messages fermés et péremptoires qui leur parviennent. La psychanalyse est une pragmatique qui permet — mais pas toujours — de faire passer l’intraitable, l’impuissance à la dimension d’un symptôme dans lequel le sujet peut se reconnaître. Le symptôme n’est pas la plainte. Il favorise une alliance humaine et singulière avec les forces pulsionnelles qu’il est vain de vouloir éteindre ou réprimer. Nous n’avons pour cela que le traitement par la parole. Le sujet, dans sa façon de dire, peut trouver quelques repères pour avancer, quelques abris où loger son être en déshérence parfois.

Il a fallu au praticien le temps de repérer ce qui enferme le sujet. Il a fallu souvent son tact et ses inventions pour faire entendre, pour faire taire ou voiler parfois, pour dérouter la pente de ce qui se répète et ce à quoi le sujet tient sans le savoir. Dans ce qui s’énonce, il y a ce qui s’est construit depuis longtemps comme certitude, ce qui peut s’interroger et ce qui surgit comme nouveau. Chaque fois nous vérifions le rapport à la parole dans le transfert.

Notre surprise concerne les effets qui pour autant n’ont pas été directement ni visés ni attendus dans les conversations avec le praticien. « Ni jugée ni obligée », rappelait une dame qui témoignait de son passage au CPCT. Elle avait trouvé un espace où découvrir son parcours et la façon dont elle avait pu y répondre.

Si la parole ne soulage pas toujours, ses effets peuvent desserrer les identifications morbides et entrouvrir a minima sur d’autres possibles. Le retrait et l’isolement sont souvent la seule défense possible. Cette défense coûteuse pour le sujet le protège de ce qui le juge, le menace, le contraint. Avec la parole se construit un asile pour abriter l’existence faite de ce qui fait vivre et fait souffrir. Cette construction ne peut pas se faire seul.

Notre époque commande à chacun de répondre des ratages de sa vie. Le passage au CPCT infléchit les injonctions, suture délicatement les ruptures parfois béantes avec lesquelles certains patients arrivent.

À notre mesure, nous luttons pour faire advenir des solutions parfois très modestes, mais uniques, celle qu’une personne trouve en s’expliquant la part impossible de sa vie : impossible à dire, impossible à se représenter. Le bien dire, traversé d’émotions supportables, est notre orientation.

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