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Entretenir l’espoir entre écoanxiété et solastalgie

Christina A. Popescu - Doctorante en psychologie sociale, chercheuse, conférencière sur le thème des changements climatiques et de l’écoanxiété – Université du Québec à Montréal – Laboratoire de recherche culture, identité et langue (Ciel)

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°82 – Vivre la nature (janvier 2022)

Se pourrait-il qu’il existe une forme d’interdépendance entre les êtres humains et la nature qui les entoure ? La réponse à cette question paraît évidente de prime abord, et avec raison, car nous ne pouvons extirper l’espèce humaine de l’environnement dans lequel elle s’inscrit, elle évolue. Par le fait même, cette nature que nous considérons notre maison et qui nous apporte sécurité et réconfort définit notre habitat, les produits que nous consommons en majorité dans notre quotidien, ainsi que plusieurs de nos us et coutumes. Cependant, au-delà de ces aspects, quels autres types de liens développons-nous avec cet environnement qui nous habite autant que nous l’habitons, et qui, à l’aube des bouleversements climatiques bien amorcés, nous touchent et nous perturbent d’une manière nouvelle ?
Dans un monde de plus en plus ébranlé par les effets des changements climatiques et la pollution humaine, il devient pressant de se pencher sur les types de liens qui nous unissent à notre environnement ainsi qu’aux différents aspects qui le composent. Dans le présent texte, un regard davantage axé sur la psychologie sera mis en avant dans le but de mieux comprendre ces liens, ainsi que la manière dont la nature et l’environnement peuvent être une source de réconfort et de bien-être pour les humain.e.s, autant qu’à d’autres occasions, ils peuvent également devenir le sujet de nos inquiétudes et de nos peurs. L’objectif de ce texte est de mieux comprendre les enjeux que ces problématiques amènent – et amèneront à l’avenir – sur les populations humaines au niveau de la santé psychologique, dont l’écoanxiété et la solastalgie, mais également de penser d’ores et déjà à demain, à l’adaptation et à la résilience qui seront nécessaires pour engager l’espoir et l’avenir.

Avons-nous une identité environnementale ?

Pour expliquer l’origine des liens qui nous unissent à l’environnement, la chercheuse et psychologue américaine Susan Clayton a élaboré le concept d’identité environnementale, qu’elle définit comme une forme d’identité apparaissant chez les individus lorsque ceux-ci développent leur concept de soi. Elle est un sens de connexion ressentie envers une partie de l’environnement naturel non humain qui trouve ses racines dans l’historicité, l’attachement émotionnel et les valeurs d’une personne. Elle représente la croyance selon laquelle l’environnement est important pour soi et qu’il forme une part essentielle de qui nous sommes. C’est une forme d’identité qui nous procure le sentiment d’être connecté, de faire partie d’un plus grand tout, en plus de permettre la reconnaissance de points communs entre soi et les autres1.
Au niveau plus théorique, l’identité environnementale découle de la théorie du Place Attachment qui implique que les expériences subjectives des personnes sont ancrées dans le monde physique dans lequel elles évoluent2. Il est également à noter que les sentiments de connexion et d’appartenance à un lieu augmentent avec le temps passé dans cet environnement et apparaissent de manière précoce dans l’enfance. Ainsi, plus un individu habite un lieu longtemps, plus grand sera le sentiment d’appartenance qu’il développera envers ce dernier. Également, plus l’attachement à un lieu débute tôt chez un individu, par exemple, lorsqu’il était enfant, plus il sera fort en comparaison avec celui d’un individu ayant débuté son attachement au même lieu plus tard dans sa vie3.
De plus, l’identité environnementale est fortement reliée au sentiment d’écoanxiété ressentie4. Ainsi, plus une personne possède une identité environnementale élevée, plus elle sera encline à vivre de l’écoanxiété en lien avec les changements climatiques. Similairement, une autre étude réalisée sur une population australienne rapportait qu’une plus forte identification à l’environnement était également associée à de plus hauts niveaux de stress5. À la lumière de ces informations, on peut s’attendre à ce que l’identité environnementale puisse expliquer et mieux prédire les risques qu’une personne expérimente de l’écoanxiété ou de la solastalgie en comparaison à une autre personne.

Écoanxiété et solastalgie, les nouveaux maux planétaires ?

Ces termes relativement nouveaux illustrent deux manières différentes de vivre les liens à l’environnement et à la biosphère, en particulier face à la transformation et la destruction de ceux-ci. De par sa sémantique, le terme solastalgie fait référence à la souffrance et au mal-être ressentis par rapport à l’état de l’environnement immédiat. Il fait référence aux sentiments de détresse qui apparaissent lorsque la maison et le territoire ont été transformés ou détruits par les activités humaines ou les effets des changements climatiques6.
Pour illustrer cette souffrance, prenons l’exemple des populations ayant survécu à des cataclysmes naturels, tels que l’ouragan Katrina, ou à des feux de forêt de plus en plus puissants, tels que ceux ayant sévi en Australie et au Canada ces dernières années. Les survivant.e.s de ces cataclysmes, une fois les dangers passés, vivent souvent de grands chocs émotionnels à la vue de la destruction de leurs habitations, villes ou villages et de la nature environnante. Il.elle.s peuvent vivre une importante détresse psychique, voir leurs niveaux d’anxiété et de dépression augmenter drastiquement, en plus d’être à risque de développer un trouble de stress post-traumatique dans certains cas7.
En gardant la réalité des changements climatiques en tête, il serait juste de prédire qu’un nombre de plus en plus élevé de personnes auront à composer et à vivre avec la destruction de la nature et de leur lieu d’habitation, et cela pourrait avoir pour conséquence l’apparition d’une forme de deuil environnemental. Cette forme de deuil serait ressentie, entre autres, à la suite d’une transformation et d’une perte – physique et visible – de l’environnement qui est habité et aimé, et il aurait des répercussions sur le bien-être des individus au même titre qu’un deuil interpersonnel8.
Toutefois, qu’en est-il des personnes qui vivent dans l’attente des transformations environnementales induites par les changements climatiques, en même temps qu’elles voient la destruction environnementale battre son plein ailleurs sur la planète ? Car vivre dans l’attente des conséquences des changements climatiques comporte également son lot de souffrances, comme il est possible de le voir avec le nombre grandissant de personnes éprouvant de l’inquiétude à l’égard de l’avenir de la planète, de la biodiversité et de l’humanité. À ce titre, un nouveau terme a fait son apparition dans les médias et dans les milieux universitaires pour définir ce « nouveau » type de souffrance : il s’agit du concept d’écoanxiété.
Cette problématique a un impact grandissant sur le bien-être psychologique quotidien de plusieurs individus, jeunes et moins jeunes, ici comme ailleurs sur la planète. Des manifestations de ce problème ont été rapportées chez toutes les tranches d’âge, mais les enfants, les adolescent.e.s et les jeunes adultes ressortent toutefois comme étant les populations les plus touchées – et affectées par l’avenir incertain que font miroiter les changements climatiques9. Les travailleur.euse.s des milieux des organisations non gouvernementales (ONG), de la recherche et de l’éducation relative à l’environnement sont également plus touché.e.s par l’écoanxiété10. Dans le même ordre d’idées, les individus ayant déjà expérimenté les effets des changements climatiques, ainsi que ceux dans l’attente imminente des transformations environnementales, telles que les populations insulaires du Pacifique, sont également plus à risque de vivre de l’écoanxiété11.
Parmi les symptômes liés à l’écoanxiété, nous retrouvons l’inquiétude et la rumination intenses, un sentiment d’impuissance et de fatalisme, une anxiété généralisée, l’insomnie ou les cauchemars, les crises de panique, des sentiments de stress, de tristesse, de perte, de culpabilité, de désespoir et d’irritabilité accrus, ainsi que le fait d’avoir à vivre avec les manifestations d’un deuil compliqué dû à l’étiolement et la destruction de l’environnement. Dans les pires scénarios, il est à prévoir que certaines personnes vivront un trouble de stress post-traumatique, tandis que d’autres iront jusqu’au suicide. Les manifestations de cette angoisse existentielle peuvent avoir pour conséquences une perte de motivation pour les activités quotidiennes, une difficulté de concentration, une accentuation des risques d’abus de substances, la perte d’une partie de son identité et un désir de ne pas faire d’enfants12.

Qu’en conclure ?

Toujours à la lumière de ce qui a été abordé, notre identité – ou plutôt nos identités – se trouve grandement altérée par la mort et la transformation de l’environnement que l’on considère comme faisant partie de soi, au même titre que la perte d’un.e proche nous bouleverse. Cela se produit autant lorsque la destruction environnementale a déjà eu lieu que lorsqu’elle se trouve à être de nature anticipée. Face à ces pertes, certains éléments et stratégies d’adaptation sont nécessaires afin d’aider à la construction et au maintien de notre sens du soi le plus élémentaire, ainsi qu’à faire émerger notre résilience.
La résilience se définit comme la capacité de reprendre un certain développement après avoir vécu un événement difficile ou traumatique, ainsi qu’à pouvoir surmonter les chocs émotionnels qui en découlent et à en ressortir plus fort.e, voire grandi.e. Cette épreuve permettrait donc d’atteindre une forme de croissance post-traumatique13.
Il existe des facteurs de résilience qui permettent d’entamer ce processus ; mieux les (re)connaître afin d’être en mesure de les mettre en pratique soi-même, ainsi qu’auprès des personnes souffrantes, déclencherait plus rapidement le processus de transformation. Développer une forte connexion à la nature et poser des actions collectives pour diminuer les conséquences des changements climatiques font partie de ces stratégies. L’éducation environnementale et les activités d’apprentissage sociales peuvent également permettre d’accroître le niveau de confiance et de cultiver l’espoir concernant l’avenir. Briser l’isolement, créer des connexions humaines et la capacité de travailler – et de vivre ensemble – permet aussi d’améliorer la vision que l’on peut avoir du futur. Développer des habiletés émotionnelles de présence à soi et d’autorégulation des émotions est également recommandé. Avoir la foi, développer des pratiques spirituelles et être en quête de sens sont d’autres facteurs contribuant grandement à l’apparition de la résilience et à une meilleure capacité de gestion des impacts personnels négatifs qu’apportent les changements climatiques et leurs multiples conséquences14.
À l’aube des transformations à venir, il peut être facile – et en tout cas normal – de se laisser envahir par l’anxiété et l’angoisse existentielle des risques que posent les changements climatiques. Si la détresse est trop forte et dépasse nos capacités d’adaptation et d’autorégulation émotionnelles, il ne faut pas hésiter à consulter des spécialistes en santé mentale pour rétablir un certain équilibre dans nos vies et pour notre bien-être.

Notes de bas de page

1 Clayton, S. (2003). Environmental identity. A conceptual and an operational definition. Dans S. Clayton et S. Opotow (dir.). Identity and the natural environment. The psychological significance of nature (p. 45-65). MIT Press.

2 Morgan, P. (2010). Towards a developmental theory of place attachment. J Environ Psychol, 30(1), 11-22.

3 Hay, R. (1998). Sense of place in developmental context. J Environ Psychol, 18(1), 5-29.

4 Clayton, S. et al. (2020). Development and validation of a measure of climate change anxiety. J Environ Psychol, 69, 1-11.

5 Dean, J. et al. (2018). Is nature relatedness associated with better mental and physical health? Int J Environ Res Public Health, 15(7), 1371-1389.

6 Albrecht, G. (2005). “Solastalgia”. A new concept in health and identity. PAN, 3, 44-59 ; Galway, L. P. et al. (2019). Mapping the solastalgia literature. A scoping review study. Int J Environ Res Public Health, 16, 2662, 1-24.

7 Ellis, N. R. et al. (2017). Climate change threats to family farmers’ sense of place and mental wellbeing. A case study from the Western Australian Wheatbelt. Soc Sci Med, 175, 161-168 ; Hackbarth, M. et al. (2012). Natural disasters: an assessment of family resiliency following Hurricane Katrina. J Marital Fam Ther, 38(2), 340-351.

8 Cunsolo, A. et al. (2018). Ecological grief as a mental health response to climate change-related loss. Nature Climate Change, 8, 275-281.

9 Clayton, S. et al. (2021). Mental health and our changing climate. Ibid. ; Hickman, C. (2019). I’m a psychotherapist. Here’s what I’ve learned from listening to children talk about climate change. The Conversation.

10 Pihkala, P. (2020). Eco-anxiety and environmental education. Sustainability, 12(10149).

11 Clayton, S. et al. (2021). Mental health and our changing climate. Ibid.

12 Ibid.

13 Cyrulnik, B. (2018). Traumatisme et résilience. Rhizome, 3-4(69-70), 28-29.

14 Macy, J. et al. (2012). Active hope. How to face the mess we’re in without going crazy. New World Library ; Pihkala, P. (2020). Eco-anxiety and environmental education. Ibid. ; Ramsay, T. et al. (2011). Resilience, spirituality and post-traumatic growth: Reshaping the effects of disaster. Dans I. Weissbecker (dir.). Climate change and human wellbeing: Global challenges and opportunities, 165-184.

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