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L’expérience vécue au jardin de soin en faveur du rétablissement

Romain Pommier - Psychiatre-praticien hospitalier – responsable médical du Jardin des Mélissses – CHU de Saint-Étienne – Centre référent de réhabilitation psychosociale de Saint-Étienne (RehaLISE-GCSMS Rehacoor42)

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°82 – Vivre la nature (janvier 2022)

Pour accompagner les personnes aux prises avec des troubles psychiques sévères et invalidants dans leur rétablissement, les soins de réhabilitation proposent déjà plusieurs interventions validées telles que l’éducation thérapeutique du patient, la remédiation cognitive ou l’entraînement aux habiletés sociales pour ne citer qu’elles. Le développement de nouvelles interventions non médicamenteuses validées est nécessaire, car si le recours pharmacologique reste souvent indispensable, il présente aussi des limites. Il convient de les utiliser de manière proportionnée et adaptée en les proposant, plutôt qu’en alternative, en complément aux soins usuels, comme c’est le cas de l’hortithérapie.

Le jardin des Mélisses, un projet de jardin thérapeutique

Le jardin – de soin ou à but thérapeutique – des Mélisses est né en 2015 au cœur du Pôle de psychiatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne. Le projet a été porté par une équipe pluriprofessionnelle de soignants (infirmiers, ergothérapeute, médecins) issus de l’ensemble des services hospitaliers. Cet espace aménagé1 selon des critères internationalement reconnus2 – soit l’accessibilité du jardin ; l’aménagement paysager avec une diversité suffisante et une non-toxicité des essences ; une variété d’espaces propices à l’apaisement, la production, l’accueil et la détente – a permis aux soignants et aux jardiniers de l’hôpital de la collaborer afin de proposer une végétalisation de l’ensemble du parc jouxtant les services hospitaliers.
Depuis plusieurs années, des activités thérapeutiques à médiation encadrées par des infirmiers sont menées au Jardin des Mélisses. Jusqu’à huit séances consécutives sont proposées, à raison de deux par semaine, aux personnes hospitalisées dans les six services du pôle de l’hôpital. Les activités réalisées à l’issue d’une prescription médicale ciblant des dimensions symptomatiques (tel que le retrait social, l’apragmatisme, la désorganisation, la perte d’autonomie…) sont adaptées à chaque personne au regard de son état physique et psychique. Ainsi, les infirmiers proposent à un groupe de 2 à 6 patients des activités adaptées à leur état clinique et permettant de soutenir la mise en mouvement, par une activité physique adaptée pour les uns, pour d’autres, par une tâche répétitive permettant de se concentrer et de focaliser son attention et enfin, pour les plus fatigués d’entre eux, une simple présence auprès du groupe au contact du jardin pour commencer.

Bénéfices et effets du jardin thérapeutique sur les personnes hospitalisées

Chez les personnes hospitalisées, les premiers bénéfices identifiés3 semblaient porter sur la réduction de la perception des symptômes de la maladie, l’impression d’être « reconnectées » à l’environnement immédiat et de ressentir un regain de vitalité, un sentiment d’utilité retrouvé, comme l’illustrent les dires d’un participant : « Ben, j’étais bloqué, je pensais que je n’allais pas m’en sortir, mais ça m’a redonné envie. Ça m’a montré que je n’étais pas que malade. Ça m’a donné envie de me battre. »
L’enquête met aussi en évidence l’intérêt d’une relation soignant-soigné différemment perçue, participant probablement à une amélioration de l’alliance thérapeutique. Les paroles d’un autre patient témoignent de ce constat : « Ça augmente le côté humain… qu’ils [les professionnels de santé] soient avec nous [les personnes hospitalisées participant aux ateliers du jardin thérapeutique], qu’ils travaillent avec nous, nous montrant ce qu’il fallait faire, ce qu’il fallait planter… Ça rapprochait vraiment l’infirmier de l’homme. Et pas le “gardien de prison dont on a l’image”… [Le jardin thérapeutique forme] un cadre ouvert. C’est agréable de voir qu’ils sont aussi capables de faire la même chose que nous et d’y trouver du plaisir. »
Enfin, plusieurs personnes interrogées évoquent une reprise du pouvoir d’agir, individuel et collectif participant à un sentiment d’autoefficacité amplifié, comme le souligne une autre personne hospitalisée : « C’est quelque chose qui peut faire du bien à tout le monde. Parce que c’est la nature et qu’on a besoin de la nature. Parce qu’elle crée. Il y a un résultat après, je ne sais pas si ça se dit, mais… vous récoltez ce que vous avez semé. »

Conclusions

Aujourd’hui, nous cherchons à développer ce type d’intervention non médicamenteuse sur notre territoire, dans le champ de la prévention et de l’accompagnement, hors contexte hospitalier, en fédérant les initiatives existantes et en soutenant les projets émergents4. Enfin, on remarque que la valence positive de la nature sur la santé humaine n’est plus la seule préoccupation des soignants, car les villes se saisissent de certaines opportunités en termes d’aménagement urbain et comprennent le potentiel social de ce type de projet5.
Alors qu’une majorité d’individus a éprouvé pendant le confinement à quels points les parcs et les espaces verts nous étaient nécessaires, nous espérons entraîner les personnes concernées par un problème de santé ou en situation de handicap, les proches aidants et les professionnels à participer ensemble au développement de ces nouveaux espaces partagés, vecteurs d’apprentissages et de solidarités renouvelées.

Notes de bas de page

1 Projet mené sous la coordination de France Criou, médecin généraliste, paysagiste et conceptrice du Jardin de l’Armillaire au CHU de Nice auprès d’un public similaire au nôtre.

2 Palsdottir, A. M. et al. (2014). The journey of recovery and empowerment embraced by nature: Clients’ perspectives on Nature based rehabilitation in relation to the role of natural environment Int. J. Environ. Res. Public Health, 11, 7094-7115.

3 Pommier, R. et al. (2018). Approche qualitative de l’éprouvé au jardin de soin. Une étude exploratoire en Psychiatrie de l’Adulte. Annales Médico-Psychologiques, 176(2), 150-156.

4 Un réseau départemental de jardins de santé, porté par l’association Danaecare et reconnu comme antenne locale de la jeune et – première en France – fédération française Jardin, nature et santé (FFJNS) permet ainsi de participer à la définition de ce champ en plein essor (f-f-jardins-nature-sante.org/) ainsi que l’ouverture en 2021 d’un diplôme universitaire « Santé et jardins. Prendre soin par la relation à la nature », porté par l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne.

5 C’est le cas de la proposition « Rue jardinée » portée par l’établissement public d’aménagement de Saint-Étienne (Epase) invitant les habitants à se saisir ensemble des enjeux d’aménagement du territoire et de participer à l’amélioration immédiate de leur environnement urbain.

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