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Des arts visibles pour s’émanciper

Nicolas Robin - Président de l’association Les Arts Visibles
Vanessa Évrard - Pair-aidante professionnelle Espairs
David Bartholoméo - Membre de l’assemblée générale de l’association Les Arts Visibles

Année de publication : 2023

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°84 – Échappées artistiques (février 2023)

L’expression artistique est invitée sous toutes ses formes au sein de notre association, Les Arts Visibles1. Elle se veut avant tout un outil d’exploration et d’expression créative, où le poétique, et parfois le politique, prend vie via des ateliers, des expositions ainsi que des appels à projets. Nos actions relient l’art et le psychisme. Dès lors, les frontières entre signifiant et signifié, rabotées, transcendent le « je » et le « tu », en font un « nous » pour produire de l’art brut.

En préambule, qu’est-ce que l’art ? Sur cette question, bien des philosophes se sont heurtés. Notre définition n’a pas la prétention d’éteindre le débat (ce qui signifierait la mort de l’art). Pour nous, c’est l’expression non utilitariste d’un être dans et avec son environnement afin de transmettre un sens. L’art est la matière investie d’une idée qui n’est pas que platonicienne. Elle est un pont entre deux rives pour faire passer des codes qui viennent percuter son observateur au risque de le déstabiliser. Au risque ? L’art serait subversif ?

Le mot est lâché. L’art peut-il se concevoir sans transgression ? Dire que l’art est libertaire est la conséquence euphémistique. Toutefois, l’art compose avec des contraintes (la matière en est une) qui sont sublimées ou démystifiées. Aussi, l’art, dans notre conception, est une activité revendicatrice d’affirmation de soi par soi, un long chemin par lequel un artiste parvient à une maîtrise de ses facultés et à une science de soi pour siéger dans la cité. Tel que dans un manifeste de Théophile Gautier2, l’art promeut l’émancipation de tout individu et scande sa singularité d’être en tant qu’être ; ce qu’il est hors les constructions mentales, ontologiquement.

Néanmoins, l’art est aussi une praxis, au sens grec, une pratique, tel un Héphaïstos perdu dans sa forge et que sa femme maltraite en allant courir le galant… Il n’est pas question de dire que l’art isole de son amante ou amant, mais l’art est aussi une épreuve concrète de la solitude avec son objet de création. Un rapport étroit s’établit entre l’œuvre et l’artiste qui la pare d’atours ou la conteste. Dans Les Arts Visibles, l’art a aidé bon nombre de nos membres à dépasser le repli collectif via un dialogue entre soi et sa page de papier ou son bout d’argile ou de soie. Nous sommes composés de personnes vivant avec des troubles psychiques ou sensibilisées à la cause ; définition résolument floue pour ne pas marquer de frontière entre neurotypiques et atypiques.

Une expérience intérieure

Billet d’humeur – David Bartholoméo

Je vais simplement vous partager mon expérience. Quand on dessine, quand on peint, lorsque l’on est juste avec soi-même, qu’on n’essaie pas de faire à la manière de, qu’on ne projette rien sur le rendu final de l’œuvre, des choses se passent.

Abîmé depuis tout jeune, isolé, je dirais presque puni par une situation dont je n’étais pas l’auteur, me voilà confiné, seul, avec un brouhaha de pensées erratiques [fruits de] ma douleur et de ma solitude. Mais rien du dehors ne faisait écho [si ce n’est des plaisirs furtifs]. J’ai eu la chance, dès mes 12 ans, de rencontrer mon professeur d’art plastique, artiste exceptionnel, Pierre Pilonchéry. Je l’ai eu comme enseignant pendant six ans et il a bouleversé ma vie en me donnant les clés pour faire vivre mon intériorité en muant l’expression tragique en geste positif.

Je dessine depuis toujours et peins depuis vingt-cinq ans. Lorsque je regarde mes travaux, c’est une lecture de moi-même, de mes peurs ; [mais] ma joie et mon espoir [y figurent aussi]. Parfois, nous n’avons pas accès à cette lecture intrinsèque, mais quand vous faites une exposition, cruciale pour l’artiste, les gens autour peuvent vous situer. Elle permet de confronter son mal-être ou sa joie à d’autres [ qui s’y retrouvent ou pas]. Ce qui est important c’est de se rendre compte que chaque être humain passe par des bouleversements. Les processus de compréhension, de ressentis, sont très longs. C’est pourquoi, le fait de pratiquer de l’art un peu tous les jours nous fait suivre les traces inscrites pour observer son propre voyage intérieur.

En conclusion, nous percevons l’art comme un moyen de dépassement de soi et de capacitation. Aussi vivons-nous notre art comme un moyen de lever la douleur liée à la maladie, et nos productions sont infusées de notre sentiment de décalage dans le monde. Nous postulons que l’art ne peut être lisse et consensuel et qu’il ne peut se concevoir sans des partis pris qui exacerbent une réalité. Une œuvre d’art n’est- elle pas le climax d’un caractère ? Mettre en exergue notre individualité incompressible est notre crédo pour interroger sa normalité et lui demander ingénument si elle est si normale que cela. Par l’art passe un message de transgression qui chamboule les esprits pour mieux les voir se reposer sous un autre ordre, comme de la poudre dans une boule à neige après le trouble.

Notes de bas de page

1 L’association est née en mars 2020 (sise place Grandclément à Villeurbanne [69]).

2 Gautier, T. (1890). Émaux et Camées. Poésies. Lemerre.

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