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La santé mentale en tout genre

Élodie Gilliot - Docteure en psychologie, directrice adjointe de la publication de la revue Rhizome, Orspre-Samdarra
Nicolas Chambon - Sociologue, directeur de publication Rhizome, Orspere-Samdarra, maître de conférences associé, Centre Max Weber, Université Lumière Lyon 2

Année de publication : 2023

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SANTE MENTALE, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°85 – Quand le genre se manifeste (mai 2023)

Si le genre renvoie, par définition, à un ensemble d’attentes, de comportements, de rôles, de statuts et de droits qu’une société attribue aux individus en fonction de leur sexe, il est aussi aujourd’hui l’expression d’une revendication à considérer et à reconnaître l’expression de la multiplicité des identités de genre. La revue Rhizome ne pouvait rester insensible à cette évolution. En réponse, elle choisit d’interroger les conséquences de cette dernière sur les théories et les pratiques dans les champs de la santé mentale et de l’intervention sociale. Dans ce numéro, le genre se pense comme un opérateur analytique de la multiplicité des affirmations identitaires. Dans cette optique, la vie sociale serait moins ordonnée par une norme sociale préétablie – selon un ordre sexué – que par l’adhésion à des valeurs qui favoriserait le respect de la diversité. À travers ce numéro, nous aspirons à ce que la santé mentale soit en mesure de complètement s’affranchir d’un soubassement patriarcal et s’inscrive dans ce paradigme de la reconnaissance de cette diversité. Le genre imprègne et impacte tous les rapports sociaux et il est indissociable des rapports de pouvoir. Ses effets s’immiscent inévitablement dans les pratiques propres à l’action sociale et à la santé.

Nombre de stigmatisations, de discriminations et d’oppressions sont subies au regard de l’appartenance à un certain genre ou comme conséquence de la volonté de s’en affranchir. Le genre est ainsi un déterminant central des inégalités sociales de santé mentale. En cela, il peut être une clé de lecture des processus de vulnérabilisation. Ces derniers sont d’autant plus nombreux et divers qu’ils interagissent avec d’autres phénomènes sociaux, tels que l’expérience de la précarité et des troubles psychiques. C’est, par exemple, le cas pour les femmes sans abri. En étant plus exposées à la violence, elles peuvent être amenées à développer des stratégies d’invisibilisation dans l’espace public ou éviter de recourir à des dispositifs d’hébergements collectifs. Il importe alors de s’interroger sur leurs besoins et de proposer des modes d’accompagnement et d’accueil spécifiques. Les enjeux sont tout autant politiques et sociaux que sanitaires. Mieux comprendre, documenter, reconnaître et visibiliser la variété des difficultés et souffrances associées aux questions de genre apparaît nécessaire pour identifier et mettre en œuvre des moyens d’agir à tous les niveaux.

Le genre performatif

De plus en plus de personnes déplorent le réductionnisme des attentes et des rôles assignés à leur genre : certaines ne se reconnaissent pas dans une vision binaire du genre (soit le féminin vs le masculin) ; d’autres ne remettent pas nécessairement en cause cette binarité, mais le fait d’être assignées à un genre ou à un autre au regard d’attributs biologiques. L’identité serait moins déterminée par d’autres dès la naissance. Il s’agirait plutôt d’une quête permanente qui mettrait tout à la fois en jeu ce qui nous singularise et ce qui nous fait exister socialement. La biologie et l’anatomie ne nous condamnent pas à une destinée marquée par le sceau de la domination. Ainsi, en tant que concept d’origine féministe, le genre agit comme une invitation à s’émanciper de l’ordre de la domination sexuelle qui fait de l’homme le détenteur du pouvoir dans le fait d’ordonner la vie sociale et intime. La perspective d’un « genre performatif » interroge le pouvoir d’agir sur les identités et les situations, elle questionne donc ses effets sur la santé mentale.

Genre, santé mentale et pouvoir d’agir

Notre définition de la santé mentale intègre les dimensions politiques, sociales et psychosociales des problématiques d’identification et des éventuels rapports de pouvoir. Ce numéro nous invite à sortir d’une lecture masculino-centrée des vulnérabilités et des capacités pour faire face. Les sciences médicales, humaines et sociales se sont en effet développées dans un contexte marqué par les inégalités de genre. Un certain nombre de pathologies, psychiatriques notamment, ont été pensées, voire construites, au prisme des normes patriarcales. Si l’hystérie a largement été pointée comme un marqueur fort de ces constructions, l’attention croissante portée aux effets des normes de genre ouvre des questionnements sur d’autres compréhensions de la souffrance et des solutions associées. C’est notamment le cas des troubles du spectre autistique, dont la lecture masculino-centrée jusqu’alors en vigueur a conduit à leur sous-diagnostic chez les femmes. En conséquence, cela a entravé la reconnaissance des difficultés qu’elles ont pu éprouver et, surtout, leur accès à des compensations et à des soutiens appropriés. Les évolutions propres à la compréhension de la santé mentale conduisent ainsi à bouger les lignes de critiques à cet endroit : il ne s’agit plus seulement de ne pas pathologiser des comportements qui pourraient être entendus comme acceptables dès lors que l’on s’émancipe des normes, mais de reconnaître, par endroit, des souffrances et leurs modes d’expression. Parce que les troubles mêmes ne sont plus compris comme de simples défaillances de l’individu, qui devrait donc s’ajuster au risque d’être exclu, il devient possible d’envisager que la définition de difficultés en pathologie soit par endroit un mode de reconnaissance utile.

Ce numéro appelle, encore une fois, à sortir de l’ordre de la domination et du déterminisme sous toutes ses formes et de lutter contre les souffrances induites par le fait de subir (une partie de) sa vie. Il importe d’être à l’écoute de l’expression des souffrances liées aux normes sociales et aux propositions de solutions formulées pour une plus ample reconnaissance des singularités.

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