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La logique de parcours en santé mentale et ses impacts sur les institutions

Céline Descamps - Directrice d’hôpital, cheffe de projet du Projet territorial de santé mentale 69

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique

Télécharger l'article en PDFRhizome n°87 – Pars, cours, dévie (mai 2024)

Consacrée par la loi du 26 janvier 2016 instituant les Projets territoriaux de santé mentale, la notion de « parcours » fait désormais référence au sein des politiques de santé mentale et de ses déclinaisons aux différentes échelles territoriales. Que recouvre vraiment ce terme et surtout quelles implications concrètes entraîne-t-il dans l’organisation, le fonctionnement et les pratiques des acteurs de santé mentale ? Cet article se propose d’explorer quelques aspects du sujet.

Le soubassement conceptuel de la notion de parcours : l’objectif d’accompagnement du rétablissement des personnes

En positionnant le rétablissement des personnes comme visée principale des parcours et donc des interventions des acteurs de santé mentale, la loi du 26 janvier 2016 et le décret du 27 juillet 2017 – qui la décline – ont instauré une rupture significative dans les orientations officielles de la politique de santé mentale en France1.

Le paradigme du rétablissement est issu du mouvement des usagers en faveur de la reconnaissance de leurs droits et de leur pouvoir d’agir. Il s’inscrit notamment dans l’évolution des connaissances scientifiques et des stratégies d’intervention sur les pathologies mentales, le handicap psychique et ses déterminants. Le rétablissement porte l’affirmation que toute personne vivant des troubles psychiques peut atteindre une qualité de vie qu’elle définit et reconnaît comme satisfaisante pour elle-même, indépendamment de la sévérité de ses troubles et de la persistance éventuelle de symptômes. Il reconnaît le pouvoir d’agir des personnes, leurs capacités et leur droit intrinsèque à définir leur propre trajectoire de vie. Ainsi, il consacre la vocation des personnes concernées par un trouble psychique grave à s’insérer ou à se maintenir en milieu de vie ordinaire, l’institutionnalisation (en établissement psychiatrique, social ou médico-social) devant être l’exception. Inséparable de la notion d’espoir, le rétablissement permet de rompre avec la vision déficitaire des troubles psychiques sévères longtemps associée à un cheminement quasi inéluctable vers la chronicisation et le handicap.

Dès lors, les pratiques professionnelles et les organisations doivent s’adapter pour venir en soutien du parcours de rétablissement des personnes, chaque parcours constituant une trajectoire individuelle avec ses rythmes et ses objectifs propres.

Un remodelage majeur de la visée et du contenu des interventions des acteurs de santé mentale

La logique de parcours de rétablissement oblige les institutions, qu’elles soient de soin ou d’accompagnement social ou médico-social, à repenser leurs interventions. La finalité est que celles-ci viennent moins en étayage durable d’un niveau de maladie ou de handicap considéré comme permanent, qu’en catalyseur et accélérateur d’une progression qui se fait en fonction d’objectifs définis par et avec la personne. Dans cette logique, la personne n’a plus, sauf exception, vocation à être prise en charge au long cours par une institution. Elle bénéficie de services qui évoluent en fonction de l’atteinte ou de la révision de ses objectifs. C’est dans ce cadre que les structures de soins ambulatoires, comme les centres médico-psychologiques (CMP), autrefois conçus pour dispenser des soins sans limites de durée, repensent actuellement leur organisation pour accompagner de manière pertinente et utile une étape du parcours des personnes atteintes de troubles psychiques. Ils couvrent généralement le diagnostic, la mise en place des traitements appropriés et la récupération d’un fonctionnement satisfaisant, avant – si possible et en accord avec la personne – d’envisager un relais par le médecin traitant ou un autre professionnel de première ligne. Cette mutation implique pour les professionnels de ces structures de travailler avec les personnes selon une logique de projet, de fixation d’objectifs et d’évaluation partagée de l’atteinte de ces objectifs. Cela représente un changement culturel d’ampleur. Elle implique également de repenser en profondeur le contenu des soins dispensés pour les axer sur l’autonomisation des personnes ainsi que le développement des compétences nécessaires pour une meilleure compréhension et une meilleure gestion de leurs maladies, mais aussi de leurs répercussions. La psychoéducation des patients et des prochesdevient alors une alliée indispensable.

De la même manière, les services sociaux et médico- sociaux (ESMS) sont amenés à refondre leur stratégie et modalité d’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique. L’enjeu est de cibler davantage leur intervention sur les besoins et les souhaits des per- sonnes en matière de gain en autonomie, mais aussi de ne pas prolonger sans raison l’accompagnement dès lors que celui-ci n’est plus pertinent. Une telle démarche impose notamment de se doter d’outils d’objectivation des besoins et des attentes, tels que, par exemple, l’outil Eladeb3. Ce dernier est employé par les Samsah rétablissement déployés en région Auvergne-Rhône-Alpes. La logique de parcours imprègne pareillement un nombre croissant d’établissements et services d’aide par le travail (Esat) qui, de lieux d’emplois protégés permanents pour personnes handicapées, deviennent des tremplins vers l’insertion dans le milieu ordinaire de travail pour les personnes qui le souhaitent via le développement ou la récupération de compétences et de capacités. La logique de parcours modifie donc en profondeur la cible et les modes d’intervention des acteurs de santé mentale qui sont désormais invités à penser en termes de services personnalisés répondant à la diversité de l’expression des besoins. Elle sous-entend par ailleurs une capacité de flexibilité pour s’adapter au caractère intrinsèquement non linéaire du chemin de rétablissement des personnes, fait d’allers et retours, d’expérimentations, de succès ou de réorientations. Ainsi, le parcours ne saurait se concevoir sans un droit à l’erreur et au retour dans un mode d’accompagnement antérieur.

En ce sens, la dynamique d’accompagnement du parcours de rétablissement des personnes ne peut se résumer à une simple logique de flux d’entrées et de sorties de dispositifs, logique parfois incriminée comme visant à faire de la place pour de nouvelles prises en charge ou de nouveaux accompagnements dans un contexte de pénurie d’offre. Même si elle produit de fait une fluidification du recours aux services qui s’avère bénéfique à l’ensemble du système, elle est d’abord et avant tout centrée sur l’intérêt de la personne et tributaire du rythme de cette dernière.

Le passage d’une logique amont-aval à une logique de collaboration entre acteurs

L’assise du parcours sur le paradigme du rétablissement transforme également radicalement la nature des relations entre acteurs de santé mentale. Dans la conception du parcours en santé mentale qui a longtemps prévalu, la priorité va en effet au rétablissement médical entendu principalement comme la résorption des symptômes. Le parcours engage donc prioritairement les acteurs du soin psychiatrique et ce n’est qu’une fois la stabilisation clinique obtenue que d’autres acteurs sont sollicités, généralement au motif de l’apparition ou de l’aggravation d’un handicap psychique mettant en jeu l’autonomie de vie de la personne. Le parcours est alors majoritairement structuré autour d’une phase en amont, polarisée sur le soin, et une phase en aval, polarisée sur l’accompagnement à long terme d’une situation de handicap.

Dans un parcours orienté rétablissement, l’ensemble des dimensions de la vie de la personne ont vocation à être prises en compte d’emblée : non seulement sa maladie et les symptômes par lesquels elle se manifeste, mais aussi sa qualité de vie, son insertion sociale, ses compétences, ses aspirations et ses projets. Le rétablissement médical ne prime pas sur le rétablissement personnel, mais est mis au service de celui-ci. Il s’agit alors de permettre à la personne d’exprimer ses besoins et ses choix dès l’entrée dans un parcours ainsi que de construire le projet personnalisé en découlant. Tout l’enjeu va être aussi de pouvoir mobiliser, sans délai et de manière coordonnée, l’ensemble des acteurs dont l’intervention est essentielle à la mise en œuvre du projet personnalisé, que ceux-ci relèvent du domaine du soin (de la psychiatrie, la médecine générale ou de l’addictologie), de l’accès au logement, de l’accompagnement à l’autonomie ou de l’insertion par l’activité professionnelle, sans oublier les proches et les aidants. Ces acteurs doivent alors collaborer activement au service du projet de rétablissement de la personne, ce qui implique à la fois une délimitation claire des missions de chacun, la complémentarité des actions, le partage d’informations4 et le partage de la philosophie d’intervention. Dans cette configuration, le paradigme du rétablissement, par essence transversal aux différents champs de la santé mentale, constitue un langage partagé puissant pour rapprocher les cultures professionnelles et faire tomber les cloisonnements entre acteurs. Cette conception du parcours, outre qu’elle vise à maintenir l’identité de la personne en ne la résumant jamais au statut de patient ou d’objet de soins, s’inscrit expressément dans une logique de prévention de la désinsertion sociale et du handicap en activant les leviers de préservation des compétences, de l’inscription sociale, des projets de vie et de l’espoir qui les nourrit. Si cette logique d’intervention collaborative autour des parcours est aujourd’hui inscrite dans les textes5, sa mise en œuvre concrète se heurte encore à beaucoup d’obstacles. Ces derniers sont d’ordre réglementaire, financier ou culturel. Il s’agit en effet de dépasser la simple coordination (soit, échanger autour d’une situation en ayant chacun son propre plan d’action) pour aller vers une véritable collaboration (agir dans le cadre d’un plan d’action partagé). Les expériences mobilisant cette approche et les outils permettant sa traduction concrète sont toutefois en pleine expansion. Les équipes de prise en charge précoce des premiers épisodes psychotiques qui se déploient sur un nombre croissant de territoires en France en sont un exemple : l’objectif de maintien de la trajectoire de vie du jeune est prépondérant dans le fonctionnement de ces équipes, celui-ci s’articulant autour du rôle essentiel du case manager. Garant du projet personnalisé, ce professionnel au profil diversifié6 a pour mission de s’assurer que tous les acteurs nécessaires au parcours de vie du jeune sont bien là et concourent au même objectif. D’une manière générale, il convient de développer activement l’ensemble des outils qui vont permettre aux personnes d’exprimer leurs besoins et attentes autour de leur parcours de rétablissement afin notamment de les partager avec les différents professionnels qui interviennent auprès d’elles : le plan personnel de rétablissement, le plan de prévention et de gestion de crise sont ainsi des outils transversaux essentiels pour aligner les acteurs autour des objectifs formulés par la personne. Au total, les évolutions récentes des politiques publiques, elles-mêmes prises en réponse aux aspirations et transformations à l’œuvre sur le terrain, amènent de puissants changements dans la conception et la structuration des parcours de santé mentale. Ces changements ne sont pas sans bouleverser le champ d’habitudes et des certitudes acquises; ils doivent donc être accompagnés de manière volontariste et au plus près des équipes, sans oublier d’évaluer les bénéfices en résultant pour les personnes, mais aussi pour les professionnels eux-mêmes.

Notes de bas de page

1 Article R3224-6 du Code de la santé

2 De nombreux pro- grammes de psychoéducation pour les proches existent en ayant fait la preuve de leur efficacité, tels que Bref, LEO, Connexions familiales, Profamille…

3 L’échelle lausannoise d’autoévaluation des difficultés et des besoins (Eladeb) est une échelle de mesure subjective des difficultés et du besoin d’aide. Sur la base d’une activité de tri de cartes effectuée par la personne évaluée, il est rapidement possible de dresser son profil de difficultés psychosociales, et de mettre en évidence les domaines dans lesquels elle estime avoir besoin d’une aide supplémentaire par rapport à celle qui existe peut-être déjà. Cet outil peut être employé dans différents contextes cliniques et convient particulièrement bien aux personnes peu verbales, maîtrisant mal le français et plutôt réticentes devant des questionnaires classiques. Consulter la présentation des outils de rehab Aeres et Eladeb sur le site du Centre de réhabilitation psychosociale.

4 Le décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel permet le partage d’informations entre professionnels de santé et professionnels des champs social et médico-social.

5 Article 3224.6-II du Code de la santé publique.

6 Les case managers peuvent être des infirmiers, des éducateurs spécialisés ou encore des psychologues.

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