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L’activité physique, un levier de bien-être au travail en Esat ?

Élodie Leclerc - Doctorante - Laboratoire sport et environnement social - Université Grenoble-Alpes
Clément Ginoux - Maître de conférences - Laboratoire sport et environnement social - Université Grenoble-Alpes
Sandrine Isoard-Gautheur - Professeure des universités - Laboratoire sport et environnement social - Université Grenoble-Alpes

Année de publication : 2025

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°92 – Détours sportifs

Le travail occupe une place centrale dans la vie de nombreux·ses adultes. Au-delà des ressources financières et matérielles qu’il apporte, il joue également un rôle social important. Cela est particulièrement vrai pour les personnes en situation de handicap qui ont plus de risques de connaître la pauvreté et l’exclusion sociale1. Au vu de ces enjeux, la Convention relative aux droits des personnes handicapées impose aux États signataires de garantir les « possibilités d’emploi et d’avancement professionnel des personnes handicapées sur le marché du travail, ainsi que l’aide à la recherche, à l’obtention, au maintien et au retour à l’emploi2 ». Malgré ces obligations, le taux de chômage des personnes en situation de handicap en Europe reste presque deux fois supérieur à celui de la population générale, atteignant 17,7 % contre 9,2 %. La situation est d’autant plus préoccupante pour les personnes pré- sentant une déficience intellectuelle, puisqu’elles rencontrent davantage de difficultés d’accès à l’emploi.

Déficience intellectuelle et emploi

L’association américaine sur les déficiences intellectuelles et développementales définit la déficience intellectuelle comme « un handicap caractérisé par des limitations significatives à la fois dans le fonctionne- ment intellectuel et dans le comportement adaptatif, qui couvre de nombreuses compétences sociales et pratiques de la vie quotidienne3 ». Une étude récente indique que « les jeunes présentant des déficiences intellectuelles [sont] parmi les plus gravement désavantagés de tous les groupes de handicaps en ce qui concerne la participation au marché du travail après l’obtention d’un diplôme et [sont] plus susceptibles de travailler dans des environnements protégés4 ». Deux possibilités d’emploi s’offrent à eux : l’emploi en milieu ordinaire, au sein d’entreprises ou d’organisations classiques, ou l’emploi en milieu protégé, au sein d’établissements majoritairement compo- sés de personnes en situation de handicap, bénéficiant d’une supervision adaptée pour réaliser leur travail. En France, le rapport réalisé en 2019 par l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances, indique que le milieu protégé du travail comprend majoritaire- ment les établissements et services d’accompagnement par le travail (Esat) qui accueillent 122 600 usager·ère·s, dont 64 % présentent une déficience intellectuelle5. L’emploi joue un rôle essentiel dans l’égalité des droits, la santé et la qualité de vie des personnes présentant une déficience intellectuelle. Afin de favoriser leur maintien dans l’emploi, il est déterminant de considérer le bien-être de cette population comme une priorité, à court et long terme.

Concept de bien-être au travail

Le bien-être au travail est décrit comme « l’expérience de perceptions positives et la présence de conditions constructives au travail et au-delà, qui permettent aux travailleur·euse·s de s’épanouir et de réaliser leur plein potentiel6 ». Ce bien-être peut être mesuré à l’aide de questionnaires validés scientifiquement permettant de rendre compte du degré de bien-être ou de mal-être au travail des individus. Parmi les indicateurs de bien-être au travail, nous retrouvons majoritairement la satisfaction professionnelle vis-à-vis des tâches effectuées ou des conditions et du niveau d’engagement au travail, c’est-à-dire la vigueur ou l’énergie dont l’individu fait preuve dans ce cadre. Du côté des indicateurs du mal-être au travail, les études sur le sujet se sont intéressées à l’épuisement professionnel (burn out). Chez les personnes présentant une déficience intellectuelle, la satisfaction professionnelle est l’indicateur le plus souvent mesuré pour rendre compte de leur bien-être au travail7.

Pourquoi s’intéresser à l’activité physique lorsqu’on parle de bien-être au travail ?

Initialement, la littérature scientifique visant à identifier les déterminants du bien-être au travail dans la population générale s’est principalement concentrée sur les facteurs inhérents à la situation professionnelle, notamment les conditions de travail. Ces travaux ont mis en évidence l’importance de considérer certains déterminants professionnels, tels que les exigences (par exemple, le fait de porter des charges lourdes, de se concentrer sur une tâche précise ou d’interagir avec des client·e·s désagréables) et les ressources disponibles dans l’environnement de travail pour y faire face (par exemple, le soutien des collègues ou de la hiérarchie, les aides techniques, ou la possibilité de faire des pauses). Ces deux catégories de facteurs s’avèrent également essentielles pour comprendre le bien- être au travail chez les personnes présentant une déficience intellectuelle8. Cependant, il peut être complexe pour des acteurs extérieurs d’agir directement sur ces facteurs. Ainsi, une partie de la littérature scientifique s’est orientée vers l’étude des stratégies permettant aux individus de mieux récupérer en dehors du travail ; ces stratégies de récupération permettant de préserver leur capacité à accomplir leurs tâches professionnelles quotidiennes. Très rapidement, les études explorant les liens entre les activités effectuées en dehors du temps ou du lieu de travail et le b i en-ê tr e au travail ont mis en évidence le rôle particulièrement bénéfique de la pratique d’activités physiques. Sur ce point, les études sur la population générale ont démontré que la pratique d’activités physiques en dehors du travail contribue à renforcer l’engagement au travail et à réduire l’épuisement professionnel des individus. La littérature souligne que la pratique d’activités physiques régulière favorise à long terme une meilleure santé mentale (par exemple, la réduction des symptômes dépressifs) et physique (par exemple, la réduction des risques de maladies cardio-vasculaires). La littérature actuelle ne renseigne pas sur l’effet de la pratique d’activités physiques sur le bien-être au travail des personnes présentant une déficience intellectuelle, travaillant majoritairement en milieu protégé et bénéficiant d’un accompagnement médico-social. Cette ligne de recherche est, à ce jour, inexploitée.

L’effet de l’activité physique sur le bien-être au travail

Depuis une trentaine d’années, les études ont mis en évidence l’existence de mécanismes qui peuvent expliquer l’effet bénéfique de l’activité physique sur le bien-être au travail. D’une part, nombre d’études ont révélé l’importance de paramètres physiologiques pour l’expliquer. Les premières tendances ont été renforcées par des preuves scientifiques plus robustes au cours des dernières années, soulignant l’importance des processus d’amélioration de la résistance physique au stress et de la qualité du sommeil9. Les recherches sur les mécanismes psychologiques sont plus récentes et permettent de compléter la compréhension de l’effet bénéfique de l’activité physique sur le bien-être au travail. Parmi ces mécanismes psychologiques, souvent désignés comme des « expériences de récupération », un modèle théorique (Disc-R10) s’est particulièrement intéressé au concept de « détachement » du travail. Ce dernier se définit comme le « sentiment de l’individu d’être éloigné de sa situation de travail11 », que ce soit sur le plan cognitif (soit la mise de côté de toutes ses pensées liées au travail), physique (soit le sentiment de détente à la suite des efforts physiques réalisés dans la journée) ou émotionnel (soit la mise de côté des émotions liées au travail). Par exemple, une personne ayant fourni des efforts physiques durant sa journée de travail, tels que le fait de réaliser des gestes répétitifs, pourra se détendre en pratiquant une activité physique moins sollicitante physiquement, comme le yoga. Cette pratique lui permettra de relâcher les tensions physiques accumulées et pourra aussi lui permettre de s’éloigner des émotions négatives vécues au travail. La récupération physique et émotionnelle induite permettra ainsi à l’individu d’affronter plus facilement les tâches professionnelles du lendemain. Il a d’ailleurs été démontré qu’un manque de détachement du travail était un prédicteur significatif des problèmes de santé physique et de l’épuisement émotionnel des employé·e·s. Ainsi, au-delà de son effet bénéfique sur le bien-être au travail, le fait de ne pas parvenir à se détacher de ses activités professionnelles est particulièrement néfaste pour la santé globale des individus.

Activité physique, déficiences intellectuelles et bien-être

Les travailleur·euse·s du milieu protégé, notamment dans les Esat, effectuent différentes tâches exigeant des efforts au cours de leur journée. Les travailleur·euse·s sont réparti·e·s sur différents ateliers comprenant des activités variées telles que l’entretien d’espaces verts, la restauration, le nettoyage ou le conditionnement. Pour réaliser ces activités, les travailleur·euse·s vont devoir produire des efforts qui peuvent générer de la fatigue et potentiellement du mal-être au travail si l’individu ne parvient pas à récupérer suffisamment. Étant donné les effets positifs démontrés dans la population générale, il est raisonnable de supposer que l’activité physique pourrait favoriser une meilleure récupération après le travail pour les personnes en milieu protégé, tout particulièrement lorsque les conditions sont réunies pour que l’individu puisse se détacher des efforts produits dans sa situation professionnelle. Cet effet bénéfique est d’autant plus probable étant donné que les personnes présentant une déficience intellectuelle sont davantage concernées par l’inactivité physique12. Le défi scientifique est ici clairement formulé : il est nécessaire de conduire des recherches pour confirmer cette hypothèse et de développer des dispositifs adaptés aux besoins des travailleur·euse·s présentant une déficience intellectuelle. Si les preuves de l’effet bénéfique de l’activité physique sur le bien-être au travail sont de plus en plus robustes dans la population générale, il est nécessaire de les répliquer auprès des personnes présentant une déficience intellectuelle, une population encore trop souvent exclue des études dans le domaine de la santé13.

Notes de bas de page

1 Commission européenne. (2021). Union de l’égalité : Stratégie en faveur des droits des personnes handicapées 2021-2030.

2 Article 27 – Travail et emploi, publié par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2006 dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

3 American Association on Intellectual and Developmental Disabilities. (2014). Definition of
intellectual disability.

4 Lysaght, R., Šiška, J., et Koenig, O. (2015). International Employment Statistics for People With Intellectual Disability – The Case for Common Metrics. Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities, 12(2), 112119.

5 Jagorel, Q., Lajoumard, D., Momboisse, P., Jacquey, B., Laurent, A. et Laidi, C. (s. d.). Les établissements et services d’aide par le travail (Esat). Igas.

6 Chari, R., Chang, C.-C., Sauter, S. L., Petrun Sayers, E. L., Cerully, J. L., Schulte, P., Schill, A. L. et Uscher-Pines, L. (2018). Expanding the Paradigm of Occupational Safety and Health: A New Framework for Worker Well-Being. Journal of Occupational and Environmental Medicine, 60(7), 589593.

7 Kocman, A. et Weber, G. (2018). Job Satisfaction, Quality of Work Life and Work Motivation in Employees with Intellectual Disability : A Systematic Review. Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 31(1), 122

8 Flores, N., Moret-Tatay, C., Gutiérrez-Bermejo, B., Vázquez, A., et Jenaro, C. (2021). Assessment
of Occupational Health and Job Satisfaction in Workers with Intellectual Disability : A Job Demands– Resources Perspective. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(4), 2072 ; Akkerman, A., Kef, S., et Meininger, H. P. (2018). Job Satisfaction of People With Intellectual Disability : Associations With Job Characteristics and Personality. American
Journal on Intellectual and Developmental Disabilities, 123(1), 1732.

9 Sonnentag, S., Cheng, B. H., et Parker, S. L. (2022). Recovery from Work: Advancing the Field Toward the Future. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior,
9(1), 3360.

10 De Jonge, J., Spoor, E., Sonnentag, S., Dormann, C. et Van Den Tooren, M. (2012). “Take a break?!” Off-job recovery, job demands, and job resources as predictors of health, active
learning, and creativity. European Journal of Work and Organizational Psychology, 21(3), 321348.

11 Etzion, D., Eden, D. et Lapidot, Y. (1998). Relief from job stressors and burnout: Reserve service as a respite. Journal of Applied Psychology, 83(4), 577585.

12 Dairo, Y. M., Collett, J., et Dawes, H. (2017). A feasibility study into the measurement of physical activity levels of adults with intellectual disabilities using accelerometers and the
International Physical Activity Questionnaire. British Journal of Learning Disabilities, 45(2), 129137.

13 Bishop, R., Laugharne, R., Shaw, N., Russell, A. M., Goodley, D., Banerjee, S., Clack, E., SpeakUp, C. et Shankar, R. (2024). The inclusion of adults with intellectual disabilities
in health research – challenges, barriers and opportunities: A mixedmethod study among
stakeholders in England. Journal of Intellectual Disability Research, 68(2), 140149.

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