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Partager les savoirs, reconnaître le stress post-traumatique complexe

dcaius - Auteur du blog « Survivre & s’épanouir »

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°90-91 – Anxiéter (décembre 2024)

Rhizome : Sur votre blog, vous abordez la question du soin du trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT complexe). Comment en êtes-vous venu à traiter cette thématique ?

dcaius : En 2016, j’ai cherché des informations sur le TSPT complexe. Cela m’a fait remarquer que peu d’informations étaient disponibles en français. Lisant l’anglais confortablement, j’ai acheté un certain nombre d’ouvrages qui traitaient du trauma et j’ai lu également des travaux de recherches plus avancés sur ce thème, réalisés aux États-Unis1. M’étant reconnu dans ces lectures, j’en ai parlé à mes soignant·e·s en amenant mes notes à mes rendez-vous psychiatriques et infirmiers. Cela m’a permis de leur montrer les problèmes que je rencontrais. Puis, j’ai pensé que d’autres personnes, qui ne sont pas anglophones, pouvaient également avoir besoin de ces informations. J’ai donc décidé de les diffuser sur internet en créant un blog. Ce dernier m’a notamment permis de publier mes propres traductions des lectures qui abordaient la question du TSPT complexe. Au fur et à mesure, j’ai publié d’autres articles qui présentaient plus spécifiquement mes réflexions autour des enjeux du trauma et plus largement des neurodivergences – à défaut d’avoir un meilleur mot pour les qualifier. J’ai aussi beaucoup écrit au sujet de l’autisme et du handicap, plus largement.

Au-delà de mes propres recherches, et au vu de mon parcours de soin qui est ce qu’il est, être en contact avec des soignant·e·s m’a donné certaines connaissances en psychiatrie. Toutefois, je constate des effets iatrogènes du soin qui ont brisé beaucoup de choses dans ma vie – les soignant·e·s n’étant pas les seul·e·s fautif·ve·s vis-à-vis de ce ressenti.

Avant même mes 13 ans, à la suite d’un événement très traumatisant, mes parents m’ont amené en pédopsychiatrie. Ayant une histoire familiale compliquée avec la psychiatrie, un diagnostic du trouble de la personnalité ainsi qu’un traitement médicamenteux m’ont rapidement été donnés. Aucun·e soignant·e n’a mentionné le TSPT complexe alors même que je présentais le tableau clinique complet y correspondant. J’ai compris cela suite à mes lectures en autodidacte.

J’ai vécu une expérience extrêmement traumatisante sans avoir reçu ni l’aide ni la protection dont j’aurais eu besoin. Au lieu de m’entendre dire que les symptômes que je présentais – soit le fait d’avoir des tocs, des problèmes de sommeil, et notamment des insomnies, ou de ressentir de l’anxiété – étaient des réactions logiques et cohérentes de mon organisme au regard de ce que j’avais vécu, on m’a simplement expliqué que j’avais « une espèce de maladie incurable un peu mystérieuse ».

Rhizome : Pouvez-vous nous dire pourquoi vous qualifiez votre parcours de soin de « iatrogène » ?
dcaius : À l’époque, des médicaments thymorégulateurs m’ont été prescrits en pédopsychiatrie alors même que j’étais très jeune, que je présentais le tableau clinique d’une personne qui survivait à un trauma et qui n’était pas accompagnée dans ce vécu. J’ai pris des médicaments pendant un peu plus de dix ans, soit de mes 14 à mes 25 ans, ce qui n’a pas été sans conséquences. En effet, ces médicaments ayant des effets sédatifs, je ressentais beaucoup de fatigue le matin et j’avais donc du mal à me lever. Mon entourage, ma famille et moi-même en avions conclu que ce problème illustrait le fait que je ne faisais pas preuve d’assez de volonté, ou alors que je ne me couchais pas assez tôt. Ainsi, pour résoudre ceci, ce qui m’a été renvoyé était qu’il fallait juste que j’y mette plus du mien. Je n’ai pas arrêté de prendre ce traitement puisqu’on m’avait transmis l’idée que cela aurait été dangereux. Je ne me rendais pas bien compte des effets, l’ayant commencé si jeune et à un moment où j’étais si déstabilisé. Puis, à l’âge de 25 ans, et après avoir pris ces médicaments pendant presque une décennie, j’ai réalisé que ce problème de fatigue était en réalité un effet secondaire des médicaments. Lors de cette prise de conscience, je me suis demandé pourquoi personne n’avait envisagé ou ne s’était rendu compte que la fatigue que je ressentais pouvait être un effet secondaire de ce traitement ? Mais aussi, pourquoi personne ne m’avait jamais bien informé de ces effets secondaires ?

Une autre conséquence de cette prise de médicaments est d’ordre neurologique. Les ayant pris très jeune, cela a impacté mes possibilités scolaires et m’a ralenti de manière générale. Ces médicaments m’ont également provoqué beaucoup de ressentis de dissociation. Ceux-ci, déjà majeurs après avoir vécu un trauma, ont été amplifiés par les effets des médicaments sédatifs. J’avais toujours l’impression d’être complètement à côté de mon corps. Par ailleurs, j’essaie toujours de ne pas être dissocié actuellement. Après avoir vécu la majorité de ma vie en fuyant mon corps, il m’est toujours extrêmement difficile de l’habiter pleinement. J’ai des douleurs chroniques directement liées à cela.

Ce traitement médicamenteux raconte la vision très simplifiée des problèmes complexes que je présentais, qui n’ont pas été appréhendés avec une nuance nécessaire ni par les personnes qui m’ont accompagné, ni par moi-même par manque de recul. De plus, nous ne pouvons pas parler de consentement éclairé de ma part à cette période-là de ma vie. Les rouages dans lesquels notre société évolue ne sont pas axés sur le consentement. Ce concept est considéré comme un détail alors qu’il devrait être un fondement de la société. Je n’avais pas conscience de tous les effets et des conséquences liés à cette prise de médicaments, que je paye toujours aujourd’hui.

Je me souviens également avoir répondu une fois à une question complètement déplacée que m’avait posée une psychiatre qui travaillait au sein d’un centre médico-psychologique (CMP). C’était notre premier rendez-vous. Après lui avoir expliqué que j’avais un vécu d’agression sexuelle et de viol au cours de mon adolescence, elle m’a demandé s’il y avait eu un flirt. Sur le coup, j’étais tellement choqué que j’ai répondu à sa question. Puis, je me suis demandé pourquoi j’avais dû lui expliquer cela ? Pourquoi m’avait-elle posé cette question ? Cette situation était vraiment ahurissante. À l’opposé, j’ai rencontré des personnes qui, d’une part, étaient à l’écoute et, d’autre part, prenaient au sérieux ce que je pouvais amener comme discernement sur mes expériences tout en me faisant part de leurs retours. J’ai notamment un excellent souvenir d’une infirmière psychiatrique dans le même CMP, qui avait une qualité d’écoute, une gentillesse et un discernement rare. Le facteur de chance auquel nous sommes confronté·e·s dans l’accompagnement et le soin que nous recevons n’est pas normal. Le fait de pouvoir exprimer nos propres besoins en termes de soin est aussi souvent mal accueilli puisque cela convoque l’égo de la personne que nous avons en face de nous. Il y a donc beaucoup de gymnastique à faire afin de ménager suffisamment l’égo d’autrui tout en exprimant ce dont nous avons besoin.

Le système de soin peut échouer à aider quelqu’un, voire aggraver sa situation. Lorsque je raconte mon parcours de vie, je remarque qu’il est compliqué, pour certaines personnes, de prendre la mesure de cela, car c’est une source de désillusion. Par conséquent, pour exempter le système, certaines d’entre elles préfèrent parfois même croire que c’est l’individu concerné qui a des problèmes. Dans mon cas, le fait que les impacts du traumatisme n’aient pas été pris en compte a eu des conséquences catastrophiques. Cela raconte les idéologies qui existent, mais aussi comment les personnes fragilisées par des événements de vie sont considérées et comment cela est abordé avec elles.

Alors, nous pouvons nous demander pourquoi les personnes sont réticentes à l’idée d’être considérées comme malades ? Cela est dû à la manière dont ces personnes sont traitées. Là est une partie du problème. En tant que société, nous pourrions nous organiser pour qu’un diagnostic ne soit pas un élément excluant. La manière dont certains diagnostics sont pathologisés crée de l’isolement, ce qui est contre-productif car, si l’on prend l’exemple d’une personne traumatisée, celle-ci peut déjà avoir adopté une posture d’évitement ou d’isolement.

Je tiens à souligner que l’isolement est aggravant et nous touche à tous les niveaux en tant qu’êtres humains. En effet, nous ne sommes pas des îles, isolées, mais fondamentalement des êtres sociaux. Nous ne pouvons pas survivre uniquement avec nos propres moyens. Cela peut paraître évident lorsque nous pensons à des personnes ayant des limitations très concrètes en termes de handicaps, par exemple. Ainsi, nous nous rendons compte assez rapidement que nous avons besoin des autres et cela peut être difficile parce que nous ne recevons pas systématiquement la considération dont nous avons besoin. Malgré tout, je pense qu’il est vraiment important de ne pas se résigner, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Il importe donc de trouver des personnes qui ont à cœur de construire des solidarités, qui ont une véritable préoccupation envers autrui et qui ne se concentrent pas uniquement sur l’utilité, et la rentabilité en quelque sorte, qu’un individu peut apporter. Il me semble également absolument crucial de remettre en question l’idée qu’il faille absolument se rendre utile pour avoir le droit d’exister. Certaines personnes ne sont pas en mesure d’être « utiles » et ne sont pas en capacité de produire du capital. Elles ont tout de même droit au respect, le droit d’exister, d’être soutenues et d’avoir leur place au sein de la société.

Rhizome : Diriez-vous que l’un des enjeux majeurs actuels est de produire des réponses sociales et sanitaires plus sécurisantes pour les personnes ?

dcaius : Le contexte est particulièrement éloquent au sujet des peurs – de l’autre, par exemple – qui se cristallisent et sont instrumentalisées. L’argument de la sécurité est beaucoup utilisé pour aiguiller les personnes dans une certaine direction. Cependant, j’ai mes propres réflexions philosophiques sur ce qui peut provoquer de la sécurité ou non. Se bercer davantage d’illusions de contrôle et de réflexions du type « je vais être en sécurité si je garde ce que j’ai déjà, même si d’autres ont moins » n’a aucun sens selon moi.

Ces dernières années, j’ai aussi beaucoup réfléchi à l’idée suivante : le dosage fait le poison. Cette nuance intervient dans beaucoup de domaines. Par exemple, nous pourrions dire qu’il importe de faire en sorte que l’élément traumatogène soit mis à distance d’une personne qui est en état de choc et que celle-ci doit être accompagnée vers ce qu’on appelle « la résilience ». Toutefois, en pensant de cette manière, nous perdons de vue que tout le monde n’est pas en capacité de s’extraire d’une situation traumatisante. C’est, par exemple, le cas des personnes qui sont sujettes aux violences de la précarité. Dans certains cas, avoir l’intentionnalité de créer des espaces qui sont potentiellement moins traumatisants est important et nous ne pouvons en faire l’économie si nous souhaitons prendre soin des uns et des autres. Néanmoins, nous ne devons pas nous contenter de cette réponse ultime. Dans ce sens, si nous nous résignons à créer des microécosystèmes dans un océan qui reste toxique, cela ne fonctionne pas. Cette notion doit être plus largement questionnée. Ainsi, créer des espaces sécurisés ne peut être la seule clé de notre boîte à outils.

Notes de bas de page

1  Walker, P. (2022). Workbook on complex PTSD: from surviving to thriving, a guide and map for recovering from childhood trauma. BookMaster ; van der Kolk, B. (2020 [2015]). Le Corps n’oublie rien (traduit par A. Weill et Y. Wiart). Albin Michel ; Bancroft, L. (2003). Why does he do that? Inside the minds of angry and controlling men. Berkley Books ; Donaldson-Pressman, S. et Pressman, R. M. (1997). The narcissistic family: diagnosis and treatment (1st ed.). Jossey-Bass.

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