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Comment comprendre les prévalences liées au genre dans le cas de l’anorexie mentale et de l’autisme infantile ?

Sylvie TORDJMAN - Pédopsychiatre, Praticien Hospitalier, Fondation Vallée

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

Les troubles mentaux sont souvent caractérisés par une forte prévalence féminine ou masculine. Ainsi, selon le DSM-IV, les troubles de conduites alimentaires, les troubles anxieux ou la dépression surviennent beaucoup plus souvent chez les femmes que les hommes, alors que les troubles des conduites sont davantage retrouvés chez les hommes (les agressions avec affrontement de la victime sont plus fréquents chez les hommes).

On peut illustrer ces propos par les exemples marquants de l’anorexie mentale et des troubles autistiques. En effet, plus de 90% des cas d’anorexie mentale touchent des filles, alors que l’on observe 4 à 5 fois plus de garçons que de filles autistes.

Comment comprendre ces différences de sex-ratio ?

Les facteurs socioculturels favoriseraient l’émergence et la prévalence féminine de l’anorexie mentale à l’adolescence.

Cependant, l’intérêt d’une approche psycho-socio-environnementale qui paraît évidente dans le cas de l’anorexie mentale, le semble moins pour des pathologies comme les troubles autistiques. Le syndrome autistique est défini comme un trouble du développement débutant avant l’âge de trois ans et caractérisé par des anomalies des interactions sociales et de la communication, ainsi que par des stéréotypies comportementales ou idéiques. La forte prévalence masculine relevée dans l’autisme a suscité des hypothèses biologiques génétiques portant notamment sur le chromosome X, et hormonales comme celle d’une élévation de l’activité de la testostérone chez le fœtus (théorie développée par Geschwind et Galaburda).

Mais, à la répartition biologique des sexes correspond une répartition des rôles sociaux attendus culturellement et codifiés comme spécifiques de l’un et l’autre sexe. Et par rapport à des domaines comme ceux de la communication et des interactions sociales (domaines profondément perturbés dans l’autisme), on peut s’ interroger sur l’importance de la représentation des rôles sexués (qui paraît fondamentale par exemple au niveau de l’ expression émotionnelle ou des jeux) et de l’effet de ces représentations sur les attitudes et attentes que les parents vont avoir vis à vis de leurs enfants, et ce dès la naissance. Ainsi, lorsque des nouveaux -nés sont présentés à des adultes, leur perception et interprétation des émotions des enfants va dépendre du sexe réel ou présumé du bébé. Dans l’étude de Condry et Condry (1976), 204 étudiants sans enfants visionnent un film représentant un enfant âgé de 9 mois qui pleure. A la moitié des étudiants, on dira qu’ils observent un garçon, et à l’autre moitié, une fille. Les résultats sont éloquents quant aux effets du sexe annoncé sur les représentations sociales : lorsque l’on demande aux étudiants de s’exprimer sur la cause des pleurs du bébé, ils répondent qu’ils ont vu un garçon en colère et une fille effrayée. De façon similaire, Fagot (1985) a étudié comment 100 étudiants (jeunes adultes sans enfants) se représentaient de manière différenciée selon le sexe, les jeux des enfants de 2 ans.

De telles représentations différenciées vont induire chez les parents des comportements différenciés, notamment au niveau de la communication ainsi que des interactions sociales, en fonction du sexe de leur enfant. L’ensemble des études sur ce sujet, malgré certains résultats contradictoires, montre que les parents sollicitent et stimulent plus les interactions sociales (incluant le sourire social) et les vocalisations puis par la suite le langage verbal, chez les filles que chez les garçons dès les trois premières années de vie. Ces études mettent bien évidence chez les parents une représentation très différentiée des rôles sexués, et également des attentes et attitudes différenciées (les conduites différenciées en fonction du sexe de l’enfant seraient plus marquées chez les pères ainsi que vers l’ âge de 18 mois, selon des revues de question comme celle de Lytton en 1991). Cependant, on peut se demander s’il n’existerait pas aussi des comportements différents des garçons et des filles dès le plus jeune âge, et qui conduiraient les parents à adopter des attitudes différentes à l’égard de l’un ou l’autre sexe.

Maintenant, comment fait-on le lien entre ces attitudes différentiées et la prévalence par exemple du syndrome autistique chez les garçons ?

On peut faire l’hypothèse qu’il existerait de la part de l’entourage socio-familial des attitudes et des sollicitations différentiées en fonction du sexe de l’enfant, plus particulièrement au cours de la 2éme année de vie (surtout vers 18 mois), et qui conduiraient les filles et les garçons à développer des compétences plus spécifiques. C’est à partir de 18 mois que l’on peut observer, selon les travaux de Baron-Cohen, les signes prédictifs les plus précoces du risque d’autisme, à savoir l’absence de jeux de faire-semblant (ces jeux reflètent les capacités d’abstraction, de symbolisation et de représentation mentale), de pointage protodéclaratif et d’attention conjointe. On peut penser que les filles étant plus sollicitées que les garçons dans les domaines des interactions sociales et de la communication (incluant l’expression émotionnelle), et ceci à une période sensible (si ce n’est critique) du développement de ces domaines, on observerait alors moins chez elles de troubles autistiques au niveau des interactions sociales réciproques et de la communication verbale ou non-verbale (qui constituent deux des trois principaux domaines des troubles autistiques).

On peut aussi penser que le dépistage des troubles des interactions sociales et de la communication serait plus précoce chez les filles, et aurait pour conséquence une prise en charge thérapeutique également plus précoce. En effet, si les parents ont des attentes importantes vis à vis de leur fille dans les domaines des interactions sociales et/ ou de la communication, ils risquent d’être plus inquiets pour elles quant aux retards développementaux touchant ces domaines, et alors de consulter plus tôt. C’est ce que j’ai pu observer dans ma pratique clinique où j’ai pu suivre des petites filles présentant des troubles autistiques dès l ’âge de 2 ans et demi, et qui ont eu une évolution positive, alors que les parents amenaient en consultation leur fils plus tardivement, après l’entrée en maternelle.

Enfin, il est impossible d’exclure l’implication de certains facteurs biologiques génétiques (comme les chromosomes sexuels) et/ ou hormonaux (comme les hormones stéroïdes sexuelles) qui expliquerait les différences de sex-ratio homme/ femme observées dans les troubles mentaux (ce d’autant, que par exemple, la forte prévalence masculine des troubles autistiques fait l’objet d’un consensus international et est retrouvée quel que soient les pays et les différences socioculturelles). On peut également envisager un modèle plus complexe, circulaire et non linéaire, où les facteurs biologiques joueraient un rôle dans une différentiation des comportements des garçons et des filles dès la naissance. Ces comportements différents induiraient alors chez les parents des attitudes et des attentes différentiées en fonction du sexe de l’enfant, et qui à leur tour viendraient renforcer les comportements plus caractéristiques de chaque sexe. On observerait ainsi un continuum dans différents domaines comportementaux (par exemple, les garçons interagiraient et communiqueraient moins que les filles, les filles exprimeraient plus leurs émotions), les troubles mentaux se situant aux extrémités de ce continuum (comme par exemple, les troubles autistiques chez certains garçons et les troubles anxieux chez certaines filles). Cette hypothèse s’inscrit dans un modèle où l’on passe d’une approche nosographique catégorielle à une approche dimensionnelle des troubles mentaux, et qui prend en considération la différentiation sexuelle des troubles mentaux.

Notes de bas de page

Condry J, Condry S. Sex differences : a study of the eye of the beholder. Child Development, 1976, 47, 812-819.

Fagot BI. Changes in thinking about early sex role development. Develpmental Review, 1985, 5, 83-98.

Geschwind N, Galaburda AM. Cerebral lateralization, biological mechanisms, associations, and pathology. Archives of Neurology, 1985, I : a hypothesis, 521-551, II : a program for research, 643-654.

Lytton H, Romney DM. Parents differential socialization of boys and girls : a Meta-Analysis. Psychological Bulletin, 1991, 109 (2), 267-296.

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