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Le jardin

Paul-Claude RACAMIER

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°13 – Transparence, Secret, Discrétion (Octobre 2003)

Extrait du livre de Paul-Claude Racamier « L’esprit des soins »1

Un jardin privé est au cœur de la plupart d’entre nous : métaphore de notre intimité, de notre domaine personnel, de notre privauté. Ce jardin a aussi une toute autre connotation, et qui n’est pas la moindre : celle de la chambre parentale. On pourrait les dire inverses, comme deux intimités qui se contrarient. Il n’en va pas ainsi : le jardin parental n’est-il pas un modèle pour le jardin personnel ? Ce secret-ci s’oppose à ce secret-là.

Nous le savons d’ailleurs bien : s’il n’y a pas d’oedipe, et pas de scène primitive, il n’y aura pas non plus d’individualité, ni d’identité : le jardin secret personnel fait contradictoirement écho au jardin parental. Or, le jardin privé est une métaphore du cadre ; c’est à l’intérieur et à partir du cadre que nos patients se construisent un jardin privé.

Je donnerai une illustration : c’est l’histoire de Tino.

On sait qu’il a baigné dans l’incestualité maternelle. C’est à peine si avec nous il commence à s’en déprendre. Mais il s’en déprend. Quoique, chaque fois qu’il va la voir, il en revient la tête un peu chavirée. Justement il va lui faire visite ce prochain week-end. On en parle dans la réunion du groupe. Un de ses camarades signale qu’il  entend beaucoup Tino téléphoner à sa mère. Tino se dit fatigué : il dormirait trop peu. M’appuyant sur la remarque précédemment faite, sentant au demeurant que le moment est venu de prendre mon élan, je déclare tout net à Tino que ce qui le fatigue, c’est sa mère. Elle tournicote autour de lui sans arrêt, lui dis-je en faisant une ronde de petits gestes vifs autour de ma tête (c’est bien la tête de Tino que je désigne en désignant la mienne : identification parlante !). Et d’ajouter : « Elle est comme ça, vous ne la changerez pas, vous n’allez quand même pas la ligoter, ni l’envoyer au diable ». Oui, mais que faire ? demande-t-on dans le groupe en parlant pour lui. « Votre seul moyen, lui dis-je, sur le ton autrement ambigu de la confidence en public, c’est de vous préserver un espace intérieur. Il faut vous construire un enclos personnel à l’intérieur de vous, un enclos inviolable. Cet enclos, vous allez le construire, vous-même, petit à petit ».

Que faisais-je avec Tino ? Dans le cadre du soin et plus précisément dans le cadre du groupe je lui proposais l’image d’un espace interne, qui répondrait en son for intérieur au cadre qu’il trouvait avec nous.

Vous voyez, lecteur, comme on commence par parler du cadre, et finit par un enclos.

Une question, pour finir, que l’on me pose : « Qu’y a-t-il dans le jardin secret ? ».

C’est un secret.

Il y a une suite à cette histoire. En même temps qu’un modèle, l’enclos est une image parlante. C’est l’image d’un cadre à l’intérieur de soi, bâti lui-même à l’image du cadre de soin.

Tino n’avait pas bien saisi cette image de l’enclos. Il restait perplexe.[…] Il reprit donc sur l’enclos (entre nous, ce n’est rien d’autre que le for intérieur). Je lui expliquai à nouveau qu’il s’agit d’un domaine privé, qui revient à chacun de nous ; ce domaine est en nous ; il est intérieur ; nous en avons besoin ; nous y avons droit ; lui-même, Tino, y a droit ; il en a besoin, par exemple, pour se mettre à l’abri des pluies de paroles maternelles ; au sein de cet enclos, il met ce qu’il veut ; et même rien, s’il le veut.

Tino m’écoutait avec ses oreilles et avec ses yeux ; il se mettait à comprendre.

Il n’était d’ailleurs pas le seul à entendre mon histoire : comme je le fais souvent, j’avais parlé pour d’autres en même temps que pour lui. C’est ainsi qu’Emilien, qui doit faire façon de difficiles problèmes d’identité personnelle, m’ayant attentivement écouté, déclara par la suite, au sein du groupe, qu’il en avait fait son miel.

Au demeurant, on aura certainement remarqué qu’en parlant aux patients de leur terrain d’identité, je parlais de l’identité de chacun.

Ainsi se vérifie une règle à laquelle je tiens, voulant que ce qu’il y a de plus spécifique en chacun rejoint ce qu’il y a d’universel chez tous.

Notes de bas de page

1 Racamier P-C., L’esprit des soins : Le cadre, Ed. Du Collège, 2002

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