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Vignette d’un élu : à propos d’une situation d’incurie chez une personne âgée

Bruno PHILIPPE - Adjoint au Maire, délégué à l’action sociale, la santé et la prévention - Mairie de Sceaux (92)

Année de publication : 2004

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL, SCIENCES MEDICALES, Gérontologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°17 – Ethique de l’intervention, conflits de légitimité (Novembre 2004)

Les faits

Logée par l’office d’HLM d’une ville moyenne de la région parisienne, cette personne de 71 ans vit seule, sans famille, si ce n’est un fils clochard qui semble passer plus de temps pour la dépouiller que pour autre chose.

Les pompiers, alertés par les voisins pour des fuites d’eau importantes et à répétition, découvrent que les robinets sont restés ouverts dans son appartement (elle ne savait pas « qui les avait ouverts »). Ils découvrent aussi que cette dame vit dans ses excréments, au milieu de « tonnes » de sacs, de cartons, de vêtements…et qu’elle présente des problèmes d’alcool et des troubles de raisonnement.

Pourtant elle sort pratiquement tous les jours de chez elle, avec une démarche discrètement titubante, mais bien mise et digne.

Les pompiers interviennent donc à son domicile, de même que les services de maintien à domicile, ceux  de la coordination gérontologique, ainsi que moi-même, l’élu à la santé de la ville, prévenu par les pompiers et par l’office d’HLM.

Habituellement, quand il y a une fuite d’eau, on appelle les pompiers, puis le plombier, mais ni l’élu ni les travailleurs sociaux. Cependant, lorsque les pompiers découvrent l’état d’insalubrité de l’appartement (le plombier ne pouvait pas entrer non plus), il n’était plus question de faire comme si on ne savait pas. L’incurie de cette vieille dame, ses effets sur le voisinage et son absence de demande deviennent un souci collectif.

Il y a des tas de gens qui ont une « apparence normale »…En fait, s’il n’y avait eu ces fuites d’eau à répétition, tout aurait continué comme avant, du moins un temps.

Les aides à domicile du service de gérontologie n’auraient alerté personne : il n’y avait pas de raison d’intervenir à domicile puisqu’elle se déplaçait.

Quant au médecin généraliste qui la suit, contacté, il aurait dit : « je n’ai aucune raison d’aller la voir ; ça fait huit mois que je ne l’ai pas vue ».

Comment intervenir ?

Cette personne n’est pas en position de demander de l’aide, elle est dans une situation d’abandon d’elle-même. Je pensais, avec la coordination gérontologie, à la possibilité d’une HO (Hospitalisation d’Office) ou d’une HDT (Hospitalisation à la Demande d’un Tiers). Mais on n’a trouvé personne pour valider cette orientation et on nous dit simplement : « il faut programmer petit à petit une hospitalisation vers un moyen séjour pour pouvoir faire un nettoyage du logement ».

Comment soigner cette personne contre elle-même ? A part une douche…et encore faut-il pouvoir la donner. Il est vrai que si on emmène cette personne directement aux urgences, on ne va pas la garder ;  sans demande, elle va faire illusion parce que si on la voit hors du cadre de son appartement, on ne comprendra pas le problème.

Quand l’élu « ne peut plus faire comme s’il ne savait pas »

Eventuellement il peut exercer un pouvoir, y compris celui de l’hospitalisation sous contrainte. A partir du moment où il sait, il doit prendre position. Il apprécie la situation ; soit il dit : « je ne bouge pas, il n’y a pas d’excrément (déni), c’est une simple fuite d’eau… il n’y a aucun danger pour la personne » ; soit il est convaincu que la personne représente un danger pour elle-même et qu’elle met en danger les autres, et il demande une HO. Mais il faudrait pouvoir mobiliser le secteur de psychiatrie et demander le passage d’un expert pour apprécier la situation. Il peut aussi demander une HDT.

Dans l’hypothèse d’une hospitalisation sur demande d’un tiers, qui est le tiers ?

L’élu peut-il être le tiers ? C’est compliqué avec la nouvelle réglementation, mais tout est possible. Est-ce que ça peut être l’office d’HLM ? En tout cas, celui qui peut intervenir doit être quelqu’un qui la connaît. Les voisins veulent bien la supporter, « à condition qu’elle soit aidée ». C’est compliqué.

S’introduire chez elle pour nettoyer son appartement constitue une violence, car cette personne n’a aucune demande ;  mais ne rien faire est aussi violent… De plus, si elle a une pathologie psychiatrique ou une démence, il faut bien amorcer un accès au soin d’une manière ou d’une autre.

C’est justement parce qu’elle ne demande rien  qu’il faut faire quelque chose pour elle. Mais ce qu’il faut faire pour elle n’est pas écrit dans les livres, on est obligé d’improviser.

Suites…

Nous, le réseau gérontologique et l’élu, avons convaincu cette dame de se faire hospitaliser, sans mettre en avant le problème psychiatrique. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, son fils se serait sûrement opposé à une HDT.

Une fois hospitalisée en hôpital général, elle a accepté très volontiers de se faire soigner. Un expert psychiatre a été désigné ; sa décision a été de nommer un mandataire spécial. A la suite de cette interaction, cette dame a accepté un placement en maison de retraite médicalisée en psychiatrie.

Lucide sur son incapacité à retourner chez elle, elle est aujourd’hui décrite par le personnel comme agréable ; elle a pris ses différents repères, et se sent bien dans cette maison de retraite.

Avec son accord, le congé a été donné pour son logement HLM. Son dossier APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) a été rempli en septembre.

Elle a souhaité ne plus rencontrer son fils et ne pas lui communiquer sa nouvelle adresse par crainte d’être dépouillée. Toutes ces décisions ont été prises en concertation avec elle.

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