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De l’errance au logement

Chantal LAUREAU - Volontaire-permanente d’ATD Quart Monde, Directrice du Centre de promotion familiale de Noisy le Grand.

Année de publication : 2007

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°27 – Au bord du logement (Juillet 2007)

Le Centre de promotion familiale de Noisy le Grand1, accueille pour une période de 2 à 4 ans, dans des logements disséminés dans un quartier, des familles en grande précarité ayant de jeunes enfants. Une équipe pluridisciplinaire soutient le projet de ces familles par un accompagnement personnalisé et par une présence offrant un environnement culturel et relationnel.

Karim et Patricia ont vécu plusieurs mois à l’hôtel avec trois petits enfants. Avec la peur… la peur de se faire remarquer, la peur d’être accusés d’être de mauvais parents… la peur du placement des enfants. Avec les contraintes de l’errance, l’urgence, la violence, la culpabilité.

« On a mangé froid pendant des mois. Moi, j’avais maigri. Jusqu’à maintenant je ressens le froid dans mon ventre. On en avait mal au ventre de toujours boire du cacao pour essayer de se réchauffer ». «  Pour les enfants, c’était difficile, dans un hôtel où il y avait des prostituées dans les couloirs, dans les douches ; dans la chambre d’à côté on entendait la violence. Les enfants en sont encore marqués ».

« On se dit que c’est la société qui nous met à l’écart, mais nous-mêmes on se met à l’écart. De tous les côtés, on voyait que les gens n’étaient plus avec nous. On se dit que c’est de notre faute si on est comme cela. Je me disais que je n’étais pas capable. On se dit « comment on en est arrivé là ? On a dû faire une bêtise ».

Après avoir vécu cela des mois, il faut réapprendre à vivre, à sortir, à occuper un logement, à faire le ménage, à faire la cuisine… Au Centre, nous mesurons le temps, l’accompagnement et l’environnement nécessaires pour retrouver une vie au milieu des autres. Karim dit : « Quand on a eu un logement, on était essoufflés, on avait le moral épuisé. Quand on a vécu sans logement, de tous les côtés on est épuisé. On croit et on ne croit pas. On veut profiter ensemble de cette vie de famille qu’on n’a pu avoir. » «  Quand j’ai récupéré mon bébé, dit Patricia, on voulait récupérer tout ce temps qu’on n’avait pas eu avec lui. J’ai voulu gâter mes enfants, leur donner tout ce qu’ils n’avaient pas eu ».

Retrouver des sécurités

« Quand tu es habitué à vivre chez les autres, t’as pas de responsabilités : EDF, tout ça… Tout ce qui t’inquiète, c’est de nourrir tes gosses. Le problème après, c’est gérer tout ça ».

L’équipe du Centre de promotion familiale cherche à donner aux familles, notamment à travers l’accès aux droits, un maximum de sécurité dans cette nouvelle étape de leur vie, tout en veillant à ce que les familles accueillies la considèrent vraiment comme une étape. C’est un risque et un défi, parce qu’elles doivent affronter le déracinement, même lorsqu’elles viennent de la rue : elles basculent d’un univers connu, dans des difficultés inédites, liées au passage de l’errance au logement. Cette transition leur donne de nouvelles responsabilités et suppose qu’elles trouvent d’elles-mêmes un nouvel équilibre.

Apprendre à habiter

« Quand on est arrivés, avec mon mari, on n’arrivait pas à l’habiter, ce logement. On dormait une nuit dans une chambre, par terre, et puis la nuit d’après dans une autre chambre, et on tournait comme ça. On n’arrivait pas à se dire qu’on était chez nous». Mme S.

« Quand on est arrivés ici, on n’a pas dormi tout de suite. On ne dormait pas, car pour nous c’était un rêve… «Peut-être on rêve ? … On va retourner dans le local pour voir! » … Mme M.

Dans les premières semaines, l’équipe met beaucoup d’énergie à soutenir les familles pour qu’elles puissent s’approprier leur logement dans les meilleures conditions : aide à l’aménagement, achat de meubles etc. Mais l’acquisition d’une culture de l’habitat est souvent longue, semée d’embûches : apprendre à occuper l’espace, l’entretenir, payer son loyer … tout un apprentissage qui s’étale sur des années.

Les familles, encore marquées par leurs fragilités, mettent du temps à se libérer de ce qu’elles ont vécu. Une personne, par exemple, dit en pensant à son expulsion qu’elle a toujours un œil fixé sur la porte d’entrée et qu’elle tressaille quand quelqu’un frappe plutôt que de sonner. Avec le logement, les familles nourrissent un sentiment de sécurité et de protection par rapport à un environnement globalement perçu comme menaçant, et qui conduit certaines d’entre elles à se replier sur elles-mêmes pour jouir en secret de ce que plusieurs appellent un nid. L’équipe cherche avec la famille un équilibre entre le respect de cette intimité retrouvée et la prévention du risque de repli sur soi.

Surmonter les crises inévitables

« Quand on était dans la galère, en foyer, ça allait mieux ». « Ça a été trop vite », dit un père de famille.

Effectivement passer d’un équilibre à un autre, de la rue à une vie familiale sous un toit, nécessite que le temps fasse son œuvre et que les personnes déploient une énergie considérable. Il y a souvent des hauts et des bas et on se prend à dire que c’était mieux avant. Avant, on passait toute son énergie à gérer l’urgence. Maintenant, tout se présente différemment : le temps, le budget, le quotidien, la vie ensemble. Et on ne peut éviter les crises.

Pendant cette période des couples se défont, d’autres se refondent dans la cité. Les hommes sont fragilisés quand le travail n’est pas au rendez-vous. L’errance était en elle-même un emploi. Elle occupait le corps et l’esprit, mobilisant toutes les énergies de certains pères de familles qui se trouvent maintenant désemparés à tourner en rond dans la cité.

Réapprendre la vie ensemble

« Quand je suis arrivée dans la cité, j’étais une vraie sauvage, j’insultais les gens qui me regardaient dans la rue. J’avais pas de pièce d’identité. Pendant six moi j’ai gardé les volets fermés. J’ouvrais à personne. Après, je ne voulais pas partir en vacances parce que j’avais peur de perdre ma seule sécurité : mon toit, surtout pour les enfants».

« Le fait d’avoir longtemps galéré sans domicile fixe (camping sauvage, cabane de jardin, voiture…), nous avait rendus sauvages. Mon mari travaillait comme agent de sécurité, mais nous, on ne nous donnait pas de logement. Personne n’assurait notre sécurité ! Alors que nous vivions sous une toile de tente, sous la neige, on nous a dit : « Vous savez, il y a des situations pires que la vôtre ! », alors qu’on ne demandait pas grand-chose, juste un toit. Qu’y avait-t-il de pire ? Je n’avais plus confiance en personne. Pourtant, il faut reconnaître que la Protection maternelle et infantile nous a bien aidés. Elle avait écrit au maire de la commune pour dire la honte de laisser ainsi deux personnes vivre dans une voiture et le risque de les retrouver carbonisées. En réalité, je me sentais très exclue. Je ne votais pas, je n’ai jamais voté et d’ailleurs je ne voterai pas. Il faut les entendre, les beaux discours des politiques. Après avoir vagabondé ainsi pendant trois ans, il nous a fallu réapprendre à savoir vivre en communauté ».

Une des finalités du travail de l’équipe de promotion familiale est de recréer du vivre ensemble. Toutes les activités proposées visent à permettre aux habitants, adultes et enfants, de se rencontrer, de nouer des liens : participer à des activités culturelles, à la vie du quartier, sortir ensemble. Cette mise en relation des personnes est facilitée par le fait que plusieurs volontaires permanents habitent dans le quartier avec leurs familles.

Réussir un projet familial

« Avec mes clés, je suis plus fort, je ne baisse plus la tête… Ici, il y a eu l’accompagnement. Ça veut dire, dès qu’on a un problème, on peut s’avancer. Alors qu’avant on ne s’avançait pas. Ici, on nous a mis en confiance pour qu’on aille de l’avant. Avant, on n’allait pas de l’avant : on reculait. … Depuis qu’on est ici, j’ai gardé un peu de force. Avant, je me baissais moi-même pour que la personne grandisse devant ».

Chaque famille accueillie est porteuse d’un projet qu’elle va progressivement mettre en œuvre. L’équipe du Centre accueille ce projet et aide la famille à le réajuster en fonction de ce qui est possible, des étapes et des réajustements nécessaires, des besoins de chaque personne de la famille. Le passage par la cité est souvent marqué par l’arrivée de nouveaux enfants, ou par le retour d’enfants placés ou confiés à des proches, même si le logement n’est pas à lui seul la garantie de récupérer des enfants placés. Les parents doivent aussi envisager leur responsabilité éducative sous un autre angle que la seule survie quotidienne : c’est une étape difficile.

Peu à peu, certaines familles refont des démarches pour trouver du travail, d’autres reprennent contact avec des enfants placés. Dans tous ces domaines, l’équipe les accompagne.

A travers la confiance créée, l’équipe est attentive à accompagner la succession de déséquilibres qui se créent, en offrant une proximité, en laissant le temps, et en partageant actions culturelles et communautaires. Elle cherche aussi à soutenir les familles dans leurs nouvelles responsabilités de parents, de locataires, de citoyens.

Le logement n’est donc pas qu’une question d’abri. Comme le mal logement qui exclut de tous les droits, le logement est porteur de risques pour les familles accueillies. Accéder au logement, ce n’est pas un aboutissement, c’est le début d’une nouvelle aventure, d’un nouveau défi qui peut échouer. L’accompagnement de l’équipe de promotion familiale est alors essentiel.

Notes de bas de page

1 Les citations des familles sont pour la plupart tirées du rapport d’activité 2004 du Centre de promotion familiale de Noisy le Grand portant sur le logement ; elles proviennent d’interviews faites à cette occasion. Ce rapport est disponible au Centre de promotion familiale de Noisy le Grand, 77 rue Jules Ferry, 93 160 Noisy le Grand. Site internet : atdnoisy@atd-quartmonde.org

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