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L’accueil inconditionnel en centre d’hébergement et de réinsertion sociale

Karine YAYO - Éducatrice spécialisée, Référente administrative, Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Carteret, Alynea, Lyon

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°72 – Les animaux pansent (juillet 2019)

Le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Carteret propose un accompagnement psychosocial à des hommes isolés ou en couple sans enfants, pouvant avoir des animaux, fragilisés par un parcours d’errance et souffrant d’addictions multiples. Il s’agit d’un accueil en chambre individuelle avec sanitaires donnant chacune sur une terrasse, dans un hébergement collectif de plain-pied, afin de favoriser un espace dedans/dehors.

Rhizome : Quelle réflexion a amené votre structure à accueillir des personnes avec leurs animaux de compagnie ?

Karine Yayo : La Ville de Lyon avait lancé un appel à projets pour un accueil, initialement intitulé « bas seuil d’exigence », aujourd’hui renommé « haut lieu de tolérance », permettant l’hébergement inconditionnel d’hommes isolés et de couples ayant des chiens et présentant des addictions souvent multiples – des personnes qui jusqu’alors refusaient l’hébergement classique en CHRS1. La structure, si elle a évolué, a su garder le projet d’origine : donner une place à ces hommes et ces couples qui n’en ont plus, qu’ils soient accompagnés ou non d’animaux et quelle que soit leur situation administrative, en les accueillant à partir de l’endroit où ils se situent dans leur parcours et non de celui où nous voudrions qu’ils se trouvent. Les difficultés et les vulnérabilités des personnes accueillies sont prises en compte, leur accompagnement étant construit à partir de leurs capacités et de l’évaluation de leurs besoins propres. Ainsi, accepter l’animal d’une personne permet de la reconnaître en tant que telle, dans le sens où celui-ci représente un repère, leur seul lien social parfois, et où il signifie qu’elles sont en capacité d’être responsables de lui, ce qui représente une petite source d’estime d’elles-mêmes.

Rhizome : Que peuvent représenter les animaux de compagnie pour les résidents et quels rôles tiennent-ils ?

Karine Yayo : Les personnes que nous accueillons ont un parcours de désaffiliation douloureux, elles ont perdu confiance en l’autre et en elles-mêmes. Elles ont également perdu leur estime d’elles. Leur animal, souvent un chien, tient lieu de protecteur – de la personne et de ses affaires –, mais aussi de compagnon de route, de confident, ce qui leur permet de lutter contre la solitude, l’isolement, le froid, avec une présence rassurante.

L’animal est un lien social sauvegardé précieusement, un repère affectif qui a pu permettre aux personnes de survivre psychologiquement dans la rue (alors qu’elles n’avaient pas d’hébergement). En outre, elles ont pu être parfois regardées par d’autres au travers de lui, voire sollicitées pour un échange à son sujet, ce qui a pu permettre de perdre ainsi, l’espace d’un instant, leur invisibilité au regard du monde.

L’animal est également porteur d’un objectif, voire d’une mission. Il est celui dont la personne prend soin et il prend soin d’elle en retour, permettant à cette personne de s’inscrire dans une réciprocité valorisante. L’animal a besoin de son maître, ce qui lui octroie une responsabilité et, par là même, lui permet de penser la construction d’une place sociale, qui devient alors possible, et la sortie de son invisibilité aux yeux de la société. En outre, lors de l’entrée de la personne dans le CHRS, l’animal lui permet de ne pas se sentir seule face au risque de se retrouver, dans cet espace de vie collective, sous le regard de l’autre qui pourrait lui donner le sentiment d’être jugé ou exclu.

Rhizome : Comment, en tant que professionnel, la présence de l’animal peut-elle faciliter le lien avec le résident ?

Karine Yayo : L’animal a une place de médiateur du lien. S’intéresser à l’animal, en tant que professionnel, se soucier de sa santé, lui parler, le caresser, permet de créer un lien de confiance avec la personne. Ce lien ouvre la voie à la création d’un partenariat entre le professionnel et le résident dans la construction de son accompagnement. Nous observons que la responsabilisation des maîtres contribue au maintien de leur dignité. Nourrir son animal, décider des actes de soins à lui prodiguer et les assumer, conserver la laisse et, si besoin, la muselière dès la sortie du studio, veiller au bien-être de ceux qui ne possèdent pas d’animaux au sein du CHRS, participent de l’investissement dans le lien de la personne à son animal et au sein de son hébergement.

Des activités extérieures, avec les professionnels, sont réservées aux personnes qui ont des chiens. Elles sont donc pensées en ce sens, soit le plus souvent des ballades en dehors de Lyon ou au bord des lacs. Il s’agit alors de créer ou de réactiver un temps de plaisir avec son chien et avec d’autres maîtres, un temps de jeu avec son animal, de créer un groupe d’échange supplémentaire pour parler ensemble de son lien à l’animal, partager des savoir-faire, des conseils. Un partage qui amène souvent les personnes à parler d’elles, de leur parcours et de leurs projets de manière plus sereine.

Rhizome : Quelles problématiques l’accueil des animaux peut-il poser, notamment au niveau de la sécurité ?

Karine Yayo : La sécurité des personnes, qu’elles aient ou non un chien, mais également celle des animaux est une priorité. En ce sens, chaque maître est responsable de son animal. Celui-ci ne peut circuler seul dans l’établissement, il doit systématiquement être accompagné de son maître quand il sort de la chambre et être tenu en laisse. Si un chien n’est pas suffisamment habitué à la présence d’autres personnes ou d’autres animaux, et si, par conséquent, il se montre agressif, il devra porter une muselière. Par ailleurs, les chiens ne sont pas admis dans les espaces collectifs.

Une difficulté inhérente à l’accueil des animaux peut apparaître quand, par exemple, un maître accède à un emploi, qu’il doit laisser son animal seul dans sa chambre et que celui-ci ne le supporte pas. En effet, celui-ci a bien souvent été habitué depuis longtemps à être constamment avec son maître. Nous allons le voir régulièrement, mais cela ne suffit pas toujours. Il est arrivé, par exemple, qu’un chien abîme la porte de la chambre ou cause des dégâts dans la pièce. Il peut également aboyer sans cesse, créant des nuisances sonores pour les autres hébergés. Cela nécessite donc un temps d’apprentissage pour le chien durant lequel la permanence vétérinaire peut représenter une aide.

Rhizome : Qu’avez-vous mis en place pour garantir la bonne santé des animaux accueillis ?

Karine Yayo : Des permanences vétérinaires sont ouvertes à des personnes de différents établissements de notre association et sont d’ailleurs organisées dans une autre structure que la nôtre. Nous permettons aux personnes de s’y inscrire et nous les accompagnons pour l’accès aux soins et à la nourriture (don de croquettes) de leur animal2. Ces rendez-vous sont l’occasion pour les vétérinaires de réaliser un bilan de santé des animaux, notamment de déceler par anticipation d’éventuels problèmes de santé et de tenir à jour leurs vaccinations. Cette consultation se veut rassurante et renforce le lien entre l’animal et son maître. Elle permet également d’apprendre, avec les maîtres, à identifier les besoins des animaux ou les signes d’un mal-être. Il s’agit également de conforter, valoriser et renforcer la responsabilité des personnes vis-à-vis de leur animal. Les vétérinaires peuvent apporter une aide si un maître rencontre des difficultés dans sa relation avec l’animal et des réponses à ses questionnements, l’animal pouvant présenter des séquelles de sa vie dans la rue. En effet, à l’instar de son maître, lorsque l’animal se pose enfin dans un lieu en sécurité, ses défenses peuvent s’amoindrir, il se relâche. Des problèmes somatiques peuvent alors survenir, tels que des infections engendrant des interventions chirurgicales, parfois des décès. Il ne s’agit pas là de la majorité des animaux, certains seulement ont montré ce type d’affections. La réaction la plus fréquente reste la difficulté de l’animal à supporter l’éloignement avec son maître.

Nous sollicitons systématiquement les maîtres pour qu’ils se rendent à la permanence vétérinaire, mais ce n’est pas une obligation. La vaccination des animaux par contre est obligatoire. En cas de manque de soins observés et si rien n’est négociable avec la personne, un signalement peut être fait à la Société protectrice des animaux (SPA).

En ce qui concerne l’alimentation des animaux, des croquettes gratuites sont en effet remises lors de la permanence vétérinaire. De plus, lorsque nous avons des restes dans le cadre des repas proposés aux personnes hébergées, nous pouvons les redistribuer aux personnes qui ont des chiens si elles le souhaitent. Chaque maître est également libre de choisir de nourrir son chien par lui-même avec ses propres ressources s’il préfère.

Rhizome : En cas d’hospitalisation ou d’absence prolongée du résident, comment et par qui l’animal est-il géré ?

Karine Yayo : Nous pouvons faire appel à la SPA le temps de l’hospitalisation, mais il est arrivé qu’une autre personne hébergée, ayant elle-même un chien, prenne en charge l’animal de son voisin, en accord avec celui-ci. Nous repérons globalement une certaine solidarité entre les personnes vis-à-vis des animaux lorsqu’elles sont en lien entre elles.

Rhizome : Comment se fait l’orientation des personnes accompagnées d’un animal jusqu’à votre structure ? Comment se déroule la sortie des personnes hébergées ?

Karine Yayo : Les personnes peuvent être orientées jusqu’à notre structure par le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO)3 ou par le Samu social 694.

La sortie des personnes est préparée avec elles en fonction de leurs difficultés, de leurs capacités, de leurs besoins, de leurs envies et des places disponibles. Elles peuvent partir en logement social, en résidence sociale, en pension de famille, en appartements de coordination thérapeutique (ACT), en établissements de la maison départementale et métropolitaine des personnes handicapées (MDMPH), ou d’hébergement pour personnes âgées (EHPA). En effet, quand elles ne s’envisagent pas seules, certaines personnes choisissent un lieu d’orientation semi-collectif, où elles bénéficieront d’un environnement plus sécurisant, craignant la solitude, souhaitant garder des liens avec d’autres, même si elles ont un studio indépendant. D’autres ont besoin d’un lieu de vie médicosocial en raison de leur état de santé.

Cependant, tous ces lieux n’acceptent pas les animaux, si bien que leurs propriétaires n’ont comme seule orientation possible que le logement social, quels que soient leur projet réel, leur état de santé, leur crainte de la solitude ou leur besoin d’étayage. La présence d’un animal peut donc être considérée comme un handicap à la sortie des personnes de CHRS, car il réduit de manière importante leur choix d’orientation.

Notes de bas de page

1 L’Association s’intéressait déjà à la question des personnes ayant un long parcours d’errance via le Samu Social et le CHRS Point Nuit, qui accueillait alors des femmes isolées désocialisées avec ou sans animaux.

2 Les permanences sont tenues par des étudiants de l’école vétérinaire. Les personnes doivent s’inscrire en amont.

3 Dans ce cas, le diagnostic peut se faire au SIAO ou dans toute structure partenaire, mais l’orientation doit être validée par le SIAO.

4 Deux places leur sont attribuées dans la structure.

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