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Le vieillissement des personnes en situation de handicap à l’épreuve des politiques catégorielles

Muriel DELPORTE - Sociologue Centre de recherche « Individus, Épreuves, Sociétés » (CeRIES – EA 3589), université de Lille, Conseillère technique au centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (Creai) des Hauts-de-France, Lille

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°74 – Vivre le vieillissement (décembre 2019)

L’augmentation de l’espérance de vie, notamment des personnes en situation de handicap, est un constat aujourd’hui bien établi. Toutefois, de profondes inégalités demeurent. Ainsi, si « les courbes d’espérance de vie des personnes handicapées des­sinent des profils de mortalité tendant à se rap­procher progressivement des courbes d’espérance de vie de la population générale1», les personnes présentant des troubles psychiques ont aujourd’hui encore des taux de mortalité deux à cinq fois supé­rieurs à ceux de la population générale et un taux de mortalité prématurée quadruplé2. Il semble donc essentiel d’étudier les déterminants de cette moindre longévité. Nous nous intéresserons principalement ici aux conséquences de l’organisation catégorielle des politiques publiques sur l’expérience du vieillissement des personnes présentant un handicap d’origine psychique.

Les personnes atteintes de troubles psychiques présentent, au cours de leur avancée en âge, une fragilité accrue et spécifique3. Cette dernière trouve son origine dans différents facteurs qui se conjuguent et se cumulent. Tout d’abord, la prise de traitements médicamenteux souvent ancienne induit de nombreux effets secondaires. Ensuite, des conditions de vie parfois précaires, qui peuvent s’accompagner d’habitudes de vie néfastes pour la santé (telles que la consommation de tabac, un mauvais équilibre alimentaire, etc.). Mais elles pâtissent également des conséquences d’un moindre suivi de santé somatique tout au long de la vie : les personnes suivies pour des troubles psychiques sont nettement plus nombreuses que la population générale à ne pas avoir de médecin traitant et le moindre accès aux soins somatiques croît avec la sévérité des troubles4. Des difficultés apparaissent aussi au fil du vieillissement, telles qu’un phénomène de ralentissement et de lassitude, le constat de pertes de mémoire et l’émergence de troubles cognitifs, une baisse de l’acuité visuelle et/ou auditive, des déficits moteurs. Par ailleurs, les troubles psychiques ne se stabilisent pas toujours au fil de l’avancée en âge. Les personnes qui en sont porteuses font donc souvent l’expé­rience d’un vieillissement difficile qui s’accompagne de problèmes de santé multiples associés à des interroga­tions quant à leur origine : est-ce dû à la maladie, aux traitements, au vieillissement ?

Différents facteurs aboutissent ainsi, tout au long du parcours de vie, à une perte de chance concernant la santé : les personnes présentant des troubles psychiques font face à de multiples difficultés, et le cumul et l’intrication des troubles contribuent à détériorer leur état de santé en vieil­lissant. Mais, en dépit d’un besoin croissant, leur accès aux soins reste délicat, ce qui concourt à accélérer cette dégradation. Le secteur sanitaire est en effet organisé sur un mode catégoriel qui complique la coordination des soins, les personnes vieillissantes atteintes de troubles psychiques se trouvant à l’articulation de trois champs : la santé mentale, la santé somatique et la gériatrie.

Les personnes présentant un handicap d’origine psychique se trouvent aussi à la croisée de deux champs d’intervention : le sanitaire et le médicosocial. Les dispositifs médicosociaux sont également organisés sur un mode catégoriel : certains établissements sont médicalisés et proposent une offre de soins, d’autres non, comme si les résidents de ces derniers, au cours de leur parcours de vie, ne devaient jamais présenter de problèmes de santé plus ou moins graves ou durables. On objectera qu’ils peuvent, comme les personnes vivant à leur domicile, recourir aux professionnels de santé du champ hospitalier ou libéral. Mais là aussi, un cloisonnement persiste entre le secteur social, médicosocial et sanitaire, et certains professionnels de santé ne sont pas formés à l’accueil de personnes en situation de handicap.

Plus largement, il nous semble nécessaire de souligner la partition opérée par les politiques publiques entre handicap et vieillissement. On distingue ainsi le champ des « personnes handicapées » et le champ des « personnes âgées » sur un critère d’âge : la barrière des 60 ans. La question se pose donc de savoir de quel champ administratif relève une personne handicapée arrivant à cet âge de la vie. Ces catégories administratives ont un impact direct sur la vie des individus, puisqu’elles déterminent les prestations (financières, humaines, matérielles) dont ils peuvent bénéficier. Mais surtout, cette organisation catégorielle concourt à envisager le vieillissement sous un prisme chronologique et à vouloir distinguer les effets du handicap et ceux du vieillis­sement chez une personne et en fonction de son âge, alors que ces effets se conjuguent de façon différenciée selon les individus et leur parcours de vie5. Elle induit une fracture entre vieillesse et handicap, comme si l’on ne devait être que l’un ou l’autre, mais pas l’un et l’autre.

Notes de bas de page

1 Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) (2010). Aide à l’adaptation et à la planification de l’offre médicosociale en faveur des personnes handicapées vieillissantes (Dossier technique), 9-10.

2 Coldefy, M. et Gandré, C. (2018). Personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée. Question d’économie de la santé, 237, 1.

3 Delporte, M. (2018). Vieillir avec des troubles psychiques : des difficultés croissantes, un manque de réponses adaptées (Étude menée pour le Creai Hauts-de-France à la demande du Crehpsy).

4 Coldefy, M. et Gandré, C. (2018). Personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée. Question d’économie de la santé, 237, 6.

5 Chamahian, A. et Delporte, M. (2019). Le vieillissement des personnes en situation de handicap. Expériences inédites et plurielles. Gérontologie et société, 41(159), 9-20.

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