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Maltraitance hébergeuse de compétences

Carole Le Floch - Conseillère technique (pair) à l’IRTS Paris Île-de-France, qualifiée au sein du Haut Conseil du travail social (HCTS), Experte de la HAS nommée dans la Commission de l’évaluation et de l’amélioration de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, Membre actif du CNPA

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°80-81 – Échos de la violence (juillet 2021)

« Moi, moi qui ai tellement subi de violence, et ce depuis mon plus jeune âge, comment aurais-je pu imaginer, que cela pourrait me servir un jour… » Dans cet article, je n’essayerai pas de vous dire qu’une violence, quelle qu’elle soit, peut être justifiée, et que nous devons accepter de la subir. Ici, à travers mon vécu de femme engagée sur les thèmes de la participation des personnes accompagnées, de la coformation, avec des pairs-aidants, du travail pair et du savoir expérientiel, je dessine comment j’ai pu, inconsciemment, en acquérir des aptitudes utilisables.

Les origines

À l’issue d’un parcours d’errance, je découvre la participation1 au sein de ma structure d’hébergement pour femmes victimes de violence par le biais d’un groupe d’expression. Assez rapidement, je m’inscris au sein des commissions d’usagers mises en place par le département. Dans la continuité, je m’implique au niveau régional et national au sein des conseils nationaux et régionaux de personnes accueillies/accompagnées ou l’ayant été (CNPA et CRPA2).

Durant ma fonction de déléguée au sein du CNPA avec d’autres délégués, j’ai eu l’occasion de prendre part à des cours au sein d’écoles de formation en travail social en tant qu’intervenante paire. Ma mission était d’informer sur notre mouvement et de sensibiliser les étudiants sur la participation des personnes en situation de précarité. Auprès des étudiants de première année, ce concept était comme inné et très bien accepté. Toutefois, j’ai très majoritairement été confrontée à des étudiants de troisième année, plus souvent incrédules, voire réfractaires quant à ma place de « sachante » dans cette classe.

Une expérience marquante

« Dès le début de notre intervention, ces étudiants annoncent qu’ils sont en désaccord sur le fond et la forme de notre démarche (de participation)3. La rencontre va se dérouler sur le ton de la confrontation, presque violente. Compte tenu des réactions, je me présente en tant que représentante des personnes qui, comme moi, subissent l’exclusion sociale. Par la force des choses, j’ai dû réadapter mon introduction : “Je viens afin d’importer les connaissances issues de mon vécu. Je peux vous parler des difficultés et des traumatismes qui découlent d’une rupture de vie, de ses causes et ses conséquences, mais aussi de la participation des personnes accompagnées, la pair-aidance et notre place dans la formation du travail social…

J’ai parlé de cette façon car j’en suis aujourd’hui capable, et parce que face à un public aussi réfractaire, si je ne m’affirme pas, je prends le risque de me faire manger tout cru. C’est par le biais d’un jeu de rôle que nous leur proposons d’apprécier le sujet suivant : “Comment imaginez-vous un premier accueil en centre d’hébergement d’urgence ?” Le but de cette démarche est de mettre en situation réelle ce que nous avons pu vivre à une époque de notre vie.

Moi qui les croyais insensibles, j’ai été très surprise de voir autant de larmes couler face à la maltraitance que nous avions pu ressentir. J’en déduis que leur réticence était probablement liée à la peur ou à l’ignorance. J’ai pris conscience que certains étudiants n’étaient pas prêts pour ce type de rencontre et que le fait d’être confrontés quotidiennement à des situations réelles sur le terrain risquait d’être difficile à vivre pour eux, et inévitablement pour nous aussi.

Le ton de cet engagement s’est déroulé dans l’argumentation, ce qui est très éprouvant. J’ai dû leur démontrer le bien-fondé de notre présence à partir d’exemples concrets et ainsi leur dévoiler de (trop) nombreux détails sur mon histoire. J’ai voulu leur faire comprendre que l’on ne peut absolument pas savoir comment on va réagir à un choc émotionnel, ça peut arriver à chacun d’entre eux. Malgré tout, une dizaine d’individus restent impénétrables, ne démordant pas de leur raisonnement négatif sur nous et notre présence dans ce cours en tant que “professeurs” de la participation. À la fin de cette journée, je finirais par leur dire ceci : “Ce que j’ai pu retenir de cette journée, c’est que l’humilité et la maturité s’acquièrent au fil des années et que tout le monde n’en est pas pourvu au même degré. Pour quelqu’un qui veut bien nous entendre et apprendre de personnes identifiées comme inférieures à soi, alors tout peut changer4.” »

Dans cette expérience, la première violence que je peux identifier est le témoignage. Parler de soi, se dévoiler pour faire ressentir ce que l’on a vécu, c’est-à-dire pour rendre le vécu de la personne transférable aux autres afin de les impliquer est quelque chose d’épuisant physiquement et psychologiquement. Il est pénible de toujours devoir se justifier et aller jusqu’au bout du bout pour que les personnes acceptent d’entendre que cela peut arriver à chacun d’entre nous, que nous sommes tous égaux face aux accidents de la vie et que le titre de professionnel ou de diplômé ne leur permet pas de sous-estimer nos capacités, même si elles ont besoin d’être réactivées. Je ne suis pas une “prise en charge”, j’ai seulement eu besoin d’un appui à un moment de ma vie.

Dans mon parcours, ce qui est paradoxal, c’est que le témoignage — qui a pourtant eu un impact négatif sur mon mental et qui peut être un exercice destructeur lorsqu’il est mal partagé — a participé à une forme de thérapie personnelle. L’autre — invraisemblable — enseignement que j’ai pu tirer de cette expérience est que j’ai réussi à identifier les compétences que ces violences m’ont permis d’acquérir. Par la suite, mon savoir expérientiel, qui s’est construit au fur et à mesure, m’a permis d’apprendre à rendre ces compétences productives et à les utiliser. Je ne peux cependant pas cautionner des expériences qui n’ont pas lieu d’être, comme celle relatée. Aujourd’hui, je suis persuadée qu’il existe d’autres moyens d’acquérir des connaissances qui n’abîment pas encore plus les personnes. Mon poste de conseillère technique au sein d’un institut régional de travail social (IRTS), dont ma fonction consiste à importer le savoir expérientiel au sein des formations du travail social, en est l’un des meilleurs exemples.

Notes de bas de page

1 Il s’agit de consulter et faire participer la personne, en tant qu’actrice de sa vie, à l’ensemble des décisions qui la concernent dans le respect de ses propres choix.

2 Décret n° 2016-1440 du 26 octobre 2016 relatif aux instances de concertation permettant d’assurer la participation des personnes prises en charge par le dispositif d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement vers l’insertion et le logement des personnes sans domicile.

3 « Nous avons des stages, de l’expérience de terrain, qu’allez-vous nous apprendre de plus ? On en connaît assez sur les pauvres et la pauvreté ! » étaient certaines remarques que j’ai pu entendre de la part de certains étudiants.

4 Ce passage est extrait de l’ouvrage : Le Floch, C. (2021). De la grande exclusion au pouvoir d’agir retrouvé. Le journalyseur. L’Harmattan.

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