Emmaüs Roya est une communauté Emmaüs paysanne, la seule en France dont les revenus se basent exclusivement sur des activités agricoles. Ici, pas de friperie ni de meubles ou de vaisselle à vendre. Aujourd’hui, c’est la préparation de chutneys et de confitures, pendant que la personne responsable des animaux ramasse les 700 œufs, les met en boîtes et nourrit poules et cochons, comme tous les jours. Demain, on récoltera des courges, des choux, des poireaux, des navets et des salades d’hiver, pour le marché d’après-demain…
Nous attendons avec une sorte d’impatience la récolte des olives, avec lesquelles nous ferons de l’huile et de la pâte d’olive. Il faudra ensuite tailler les oliviers, puis très vite le soleil reviendra avec le printemps, et ce sera le moment de préparer les semis pour la saison d’été, remplie de milliers de légumes colorés pour nos salades du midi et celles de nos clients… Ainsi passe l’année, au rythme des saisons qui guident notre travail de la terre. Les compagnes et les compagnons qui sont là depuis plusieurs années le savent bien et y ont trouvé petit à petit leurs repères.
Proposer un hébergement et une activité
Depuis 2019, cette communauté Emmaüs accueille 6 personnes en situation de précarité, pour des durées indéterminées. Chacun reste le temps dont il a besoin. Cet accueil inconditionnel comprend un hébergement, une activité hebdomadaire, un accompagnement social et juridique, une allocation mensuelle, une couverture sociale et des cotisations aux caisses de retraite et d’assurance maladie. L’agrément Oacas1 permet de proposer légalement cet accompagnement et cette allocation à tous, même à des personnes en demande d’asile ou sans papiers. C’est autour de ce statut spécifique et de l’envie de proposer un accueil pérenne aux personnes en migration que s’est créée l’association Emmaüs Roya, car l’histoire de ce lieu n’a pas commencé il y a trois ans. C’était avant tout le terrain d’un paysan, Cédric Herrou, qui, à partir de l’année 2016, a hébergé et aidé des centaines d’hommes et de femmes qui traversaient la frontière franco-italienne2.
Aujourd’hui, le lieu accueille encore de temps en temps des gens de passage, mais c’est bien un accueil sur le long terme qui a pris place. D’ailleurs, les personnes accueillies ne le sont plus forcément pour des raisons administratives, plusieurs d’entre elles sont françaises ou européennes et se sont trouvées marginalisées pour des difficultés sociales ou psychiatriques. Les compagnons travaillent, mangent et vivent ensemble, accompagnés par deux responsables de communauté salariés, une encadrante maraîchère et quelques bénévoles. Sans s’être choisis, ils se retrouvent à partager un moment de vie et des espaces collectifs.
La réhabilitation par l’activité et la vie communautaire
Ce changement de temporalité de l’accueil a fait émerger de nouvelles questions, notamment celle du « prendre soin ». Prendre soin les uns des autres, prendre soin de la communauté en tant qu’entité, prendre soin des lieux collectifs, des animaux, des végétaux, du vivant en général.
Les responsables de communauté ont vite compris que l’hébergement ne suffisait pas pour que les personnes accueillies se sentent bien. L’activité semble être un besoin tout aussi vital, au même titre que le cadre (horaires, règles de vie), qui s’est imposé naturellement à travers la vie communautaire. L’activité agricole a fortiori semble faire du bien aux personnes accueillies. Chacune selon ses affinités apprécie de s’occuper des animaux, tenir le stand du marché, cueillir les légumes, désherber, ramasser les olives ou cuisiner. Chacune prend confiance, à travers ces tâches répétitives et valorisantes. Peut-être parce qu’elles ont tout simplement du sens. Le mode de vie prôné par la communauté est simple, basé sur l’alimentation : se nourrir et nourrir les autres, avec de bons produits, localement et à des prix raisonnables. Lors du premier confinement, en mars 2020, ce fut alors une vraie fierté pour les compagnons d’occuper ce rôle nourricier, essentiel à la société. Ainsi, celles et ceux qui sont arrivés dévastés se relèvent et cohabitent, chacun avec ses particularités, acceptant celles des autres. C’est aussi la vie communautaire qui soigne et nous tentons de la soigner en retour.
Des bienfaits qui touchent aussi les bénévoles
Nous constatons également que les activités de l’Association font du bien aux bénévoles qui venaient au départ simplement pour aider. Depuis un an, ils sont de plus en plus nombreux à nous dire que les chantiers collectifs3 que nous proposons tous les samedis représentent des bouffées d’air frais, à travers le lien social et l’activité physique qu’ils offrent. De l’air et du lien qui leur ont manqué depuis que la crise du COVID-19 les a enfermés et isolés dans les villes.
Notes de bas de page
1 Les organismes d’accueil communautaire et d’activité solidaire (Oacas) font référence à un agrément national, spécifiquement créé en 2010 par Emmaüs France, qui confère une entité juridique à ses communautés.
2 Cédric Herrou a alors transformé son oliveraie en camping d’accueil d’urgence, tout en dénonçant les pratiques illégales de refoulement de ces personnes en exil.
3 Depuis le passage de la tempête Alex, qui a dévasté les vallées de la Roya et de la Vésubie le 2 octobre 2020, l’association Emmaüs Roya propose des chantiers bénévoles collectifs dans les villages alentour pour nettoyer la rivière, déblayer des terrains municipaux, reconstruire des murs, aider des particuliers…