D’après l’Organisation mondiale de la santé, la pandémie de Covid-19 a entraîné une augmentation de 25 % des niveaux de troubles anxieux dans le monde, en particulier chez les femmes, les adolescents, les jeunes adultes, les personnes ayant des pathologies chroniques et les professionnels de santé1. Qu’en est-il en France ?
Niveaux d’anxiété en population générale
Les données de l’enquête Coviprev, menée par Santé publique France tout au long de la pandémie de Covid-19, ont permis de suivre l’évolution d’indicateurs de santé mentale de la population française au long cours2. Pendant le premier confinement, entre mars et mai 2020, environ 20 % des personnes rapportaient ressentir des symptômes d’anxiété, ce qui correspond à des niveaux de prévalence deux fois plus élevés qu’avant 2020. Si les données concernant les niveaux de troubles anxieux en population générale en France sont très parcellaires, Esemed – la dernière grande enquête épidémiologique d’envergure (réalisée en 2001-2003) visant à établir les prévalences des troubles psychiatriques – a montré que près de une personne sur dix en France vit avec un trouble anxieux, les plus fréquents étant les phobies spécifiques (4,7 %), les états de stress post-traumatique (ESPT, 2,2 %), le trouble anxieux généralisé (2,1 %) et la phobie sociale3 (1,7 %). Il est important de noter que l’enquête Coviprev n’a pas mesuré non des troubles anxieux mais des symptômes d’anxiété, ce qui peut en partie expliquer les différences de niveaux observées par rapport aux données antérieures. Néanmoins, dès le début de la pandémie de Covid-19, une augmentation des symptômes de nervosité et d’anxiété a été observée chez de nombreuses personnes. Les niveaux d’anxiété ont ensuite fluctué avec les évolutions de la pandémie, avec en mai 2022 environ 25 % des personnes rapportant des symptômes d’anxiété. En septembre 2023, au moment de la dernière vague de l’enquête Coviprev, 23 % des personnes interrogées rapportaient être anxieuses. Nous constatons alors une tendance légèrement à la baisse, mais qui reste néanmoins préoccupante. Si l’ensemble de la population a réagi à la pandémie de Covid-19, les niveaux d’anxiété ont particulièrement augmenté chez les femmes, les jeunes adultes, les personnes ayant une situation sociale défavorisée (telle que le fait d’être au chômage ou d’avoir un faible niveau de diplôme ou de revenus), les personnes qui avaient des antécédents de difficultés psychologiques avant la crise sanitaire et celles qui ont été touchées par le Covid-19 – en particulier au début de la pandémie.
L’étude Coviprev est prospective, mais les participants ne sont pas les mêmes d’une vague d’enquête à la suivante, ce qui ne permet pas l’étude des trajectoires de santé mentale des personnes dans le temps. La cohorte Tempo, menée par l’Inserm, suit environ 1 300 adultes répartis dans toute la France depuis 2009. Elle permet de mesurer de manière détaillée les antécédents de santé mentale des personnes et l’évolution de leurs symptômes au moment de la pandémie de Covid-19. Elle offre aussi la possibilité d’étudier l’évolution de la santé mentale d’un groupe de personnes particulier dans le temps, en prenant en compte leurs antécédents. Les recherches menées à partir des données de cette cohorte tout au long de la pandémie de Covid-19 ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, les facteurs les plus fortement associés à une augmentation de symptômes internalisés – recoupant des signes d’anxiété et de dépression – ont été le fait d’avoir eu des difficultés psychologiques avant la pandémie de Covid-19, l’infection par le Covid-19, ainsi qu’une dégradation de la situation professionnelle et financière4. Une autre étude de cohorte – Epicov –, mise en place spécifiquement pour évaluer la santé de la population française pendant la pandémie de Covid-19 auprès de plus de 100 000 personnes, a également montré un lien entre symptômes de Covid-19 et niveaux élevés de symptômes d’anxiété ultérieurement5. Les données de la cohorte Tempo ainsi que celles du volet français de la cohorte Comet, mise en place pour évaluer les trajectoires de santé mentale pendant la crise sanitaire dans plusieurs pays dans le monde, ont montré que les sentiments d’isolement relationnel et de solitude ainsi que l’absence de soutien social ont fortement augmenté pendant la pandémie de Covid-19, ce qui a pu contribuer à l’augmentation des niveaux d’anxiété ressentis par la population6.
Les enfants et les adolescents semblent également avoir été touchés par la pandémie de Covid-19 sur le plan psychologique, comme le suggère notamment l’augmentation des prescriptions de médicaments psychotropes7. Les recherches menées auprès des enfants des participants de la cohorte Tempo et de ceux participant à la cohorte Elfe – une étude de cohorte représentative de 18 000 enfants nés en France en 2011 – montrent que les principaux facteurs associés à leurs symptômes d’anxiété-dépression au cours de la pandémie de Covid-19 étaient familiaux, avec en premier lieu les difficultés psychologiques et financières des parents. Les enfants en contact avec une personne contaminée par le Covid-19 dans les premières phases de la pandémie ont également manifesté des niveaux élevés de difficultés émotionnelles. D’autre part, l’utilisation des écrans, qui a très fortement augmenté chez les enfants pendant la période de la crise sanitaire, a également été associée à une détérioration de la santé mentale, en particulier chez les adolescents8. L’étude Enabee menée par Santé publique France en 2021-2022, indique que, parmi les enfants scolarisés en France en école maternelle ou élémentaire, 5,6 % auraient un trouble émotionnel, c’est-à-dire des niveaux élevés de symptômes d’anxiété ou de dépression. Cela signifie que même depuis la pandémie de Covid-19 la prévalence reste élevée9. Chez les adolescents, on ne connaît pas la fréquence actuelle des troubles anxieux, mais les dernières données de l’étude Enclass, recueillies en 2022 auprès de plus de 6 000 collégiens et 3 500 lycéens et exploitée par Santé Publique France, montrent que 36,6 % des collégiens et 45,4 % des lycéens rapportent des symptômes de nervosité, respectivement 34,3 % et 39,9 % des symptômes d’irritabilité, et 43,0 % et 42,0 % des difficultés d’endormissement, avec des niveaux particulièrement élevés chez les filles10. L’ensemble de ces chiffres suggèrent que « l’épidémie d’anxiété », précipitée par la pandémie de Covid-19, est loin d’être terminée, surtout chez les jeunes.
Niveaux d’anxiété parmi des personnes faisant partie de populations spécifiques
Certaines populations pouvant être difficiles à inclure dans les grandes enquêtes nationales, alors qu’elles présentent des risques élevés de problèmes de santé mentale, ont nécessité des études spécifiques. Par exemple, les personnels soignants font partie des populations au sein desquelles les niveaux d’anxiété, voire de stress post-traumatique, ont été les plus élevés pendant la pandémie de Covid-19. Il existe d’importantes inégalités en fonction de l’appartenance à différentes catégories socioprofessionnelles, les aides-soignants et infirmiers étant plus fortement touchés que les médecins11. Par ailleurs, les populations dites « marginalisées », dont les étrangers en situation administrative précaire, les personnes à la rue, ou encore celles appartenant à des minorités sexuelles, ont également été fortement impactées sur le plan psychologique par la pandémie de Covid-19, sans pour autant bénéficier de repérage ou de prise en charge spécifiques. Ainsi, des populations spécifiques, déjà fragilisées avant la pandémie de Covid-19 (telles que les personnels soignants qui manifestaient massivement contre des conditions de travail difficiles en 2019, les personnes en situation de précarité et les étrangers en situation administrative précaire dont les conditions de vie sont très dégradées12), ont été frappées de plein fouet par la pandémie de Covid-19 et ses conséquences sanitaires, économiques et sociales, contribuant à une dégradation de la santé mentale. Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, peu de recherches se sont intéressées à la santé mentale des groupes marginalisés, mais il est probable que leurs niveaux d’anxiété restent élevés et que leur accès aux soins de santé mentale demeure limité.
Conclusion
Les recherches menées en France pendant la pandémie de Covid-19 montrent une forte prévalence des niveaux d’anxiété avec, en particulier, des augmentations inquiétantes chez les plus jeunes et certaines populations spécifiques telles que les personnes en situation de précarité. De nombreuses initiatives nationales et locales ont été prises pour favoriser l’accès aux soins en santé mentale (par exemple, le dispositif « Mon soutien psy », l’élargissement du 31 14 ciblé sur la prévention du suicide et le renforcement de certaines structures de santé scolaire et universitaire), mais, à date, ni leur utilisation réelle ni leur efficacité ne sont connues. C’est particulièrement le cas dans des groupes sociaux marginalisés qui ont à la fois les niveaux de risque les plus élevés et qui en même temps sont les plus éloignés des dispositifs de prévention et de soins. En parallèle du renforcement du système soins, en le rendant réellement accessible à tous et à toutes, des actions de prévention des problèmes de santé mentale devraient être développées, notamment chez les plus jeunes. Certains projets de recherche mis en place actuellement, tels que le projet européen Improva13, déployé notamment en France et visant à tester l’efficacité d’une application smartphone pour promouvoir une bonne santé mentale des adolescents, pourront apporter des éléments sur des actions concrètes à mettre en place à l’avenir.
Notes de bas de page
1 Organisation mondiale de la santé (2022). Les cas d’anxiété et de dépression sont en hausse de 25 % dans le monde en raison de la pandémie de Covid-19. Organisation mondiale de la santé.
2 Santé publique France (2022). CoviPrev : une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de Covid-19. Santé publique France.
3 Lépine, J.-P. et al. (2005). Prévalence et comorbidité des troubles psychiatriques dans la population générale française : résultats de l’étude épidémiologique ESEMeD/MHEDEA 2000/(ESEMeD). L’Encéphale, 31(2), 182-94.
4 Andersen, A. J. et al. (2021). Symptoms of anxiety/depression during the Covid-19 pandemic and associated lockdown in the community: longitudinal data from the Tempo cohort in France. BMC Psychiatry, 21(1), 381 ; Mary-Krause, M. et al. (2021). Impact of Covid-19 infection symptoms on occurrence of anxiety/depression among the French general population. PLoS One, 16(7) ; Hecker, I. et al. (2022). Impact of work arrangements during the Covid-19 pandemic on mental health in France. SSM Population Health, 20.
5 Rouquette, A. et al. (2023). Comparison of depression and anxiety following self-reported Covid-19-like symptoms vs SARS-CoV-2 seropositivity in France. Jama Network Open, 6(5).
6 Varga, T. et al. (2021). Loneliness, worries, anxiety and precautionary behaviors in response to the Covid-19 pandemic: a longitudinal analysis of 200,000 Western and Northern Europeans. Lancet Regional Health Europe, 2 ; Laham, S. et al. (2021). Impact of longitudinal social support and loneliness trajectories on mental health during the COVID-19 pandemic in France. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(23).
7 Weill, A. et al. (2021). Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de la Covid-19 – Point de situation jusqu’au 25 avril 2021. Étude pharmaco-épidémiologique à partir des données de remboursement du SNDS. Epi-phare (Groupement d’intérêt scientifique ANSM-Cnam).
8 Moulin, F. et al. (2022). Risk and protective factors related to children’s symptoms of emotional difficulties and hyperactivity/inattention during the Covid-19-related lockdown in France: results from a community sample. European Child and Adolescent Psychiatry, 31(7), 1-12 ; Moulin, F. et al. (2022). Longitudinal impact of psychosocial status on children’s mental health in the context of Covid-19 pandemic restrictions. European Child and Adolescent Psychiatry, 1-10 ; Monnier, M. et al. (2021). Children’s mental and behavioral health, schooling, and socioeconomic characteristics during school closure in France due to Covid-19: the Sapris project. Scientific Reports, 11(1), 22373 ; Descarpentry, A. et al. (2023). High screen time and internalizing and externalizing behaviours among children aged 3 to 14 years during the Covid-19 pandemic in France. European Child and Adolescent Psychiatry, 1-11.
9 Santé publique France. (2022). Enabee : étude nationale sur le bien-être des enfants. Santé publique France.
10 Santé publique France. (2024). La santé mentale et le bien-être des collégiens et lycéens en France hexagonale. Santé publique France.
11 Bertuzzi, L. et al. (2022). Longitudinal survey on the psychological impact of the Covid-19 pandemic in healthcare workers (PsyCOVer) in France: study protocol. BMJ Open, 12(1).
12 Camara, C. et al. (2022). Covid-19-related mental health difficulties among marginalised populations: A literature review. Global Mental Health, 10 ; Scarlett, H. et al. (2021). Depression during the Covid-19 pandemic amongst residents of homeless shelters in France. Journal of affective disorders reports, 6.
13 Nous vous invitons à visiter le site internet du projet Improva.